Pas de vacances pour Monsieur Hollande : le destin de la France dépend-il vraiment du temps de travail du Président ?<!-- --> | Atlantico.fr
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"En se rendant à Rungis, François Hollande met surtout ses pas dans ceux de Nicolas Sarkozy"
"En se rendant à Rungis, François Hollande met surtout ses pas dans ceux de Nicolas Sarkozy"
©Reuters

Il est cinq heures, Hollande s'éveille

Levé dès l'aube pour aller à Rungis, le Président entend qu'on sache qu'il travaille pour ne pas rééditer à Noël son erreur du mois d'août. Mais qui, du storytelling ou de l'action politique, impose son rythme à l'autre ?

David Valence et Jacques Séguéla

David Valence et Jacques Séguéla

David Valence est professeur agrégé d'histoire.

Il enseigne à Sciences-Po Paris depuis 2005. Il anime le blog trop-libre.fr qu'il a créé avec Chistophe de Voogd dans le cadre des activités de la Fondation pour l'innovation politique.

A lire notamment sur son blog : ce billet sur le centrisme.

Jacques Séguéla est un publicitaire, cofondateur de l'agence de communication RSCG en 1970 (absorbée par le Groupe Havas en 1996). 

Il s'est impliqué dans la communication de nombreuses personnalités politiques.

Il a récemment publié Le pouvoir dans la peau, Plon, 2011.

Voir la bio »

Atlantico : François Hollande a mis un point d'honneur à ne pas prendre de vacances en cette période de fêtes et il ne manque pas de le faire savoir avec cette visite matinale à Rungis. Que faut-il voir dans cette opération de com' : une stratégie médiatique de crise liée à son niveau de popularité catastrophique ou, plus grave, un leurre pour faire oublier un défaut d'efficacité de son action politique ?

David Valence: François Hollande s'était, avant et pendant la campagne présidentielle, présenté comme un homme libre et "normal", pour accentuer l'effet de contraste avec un Nicolas Sarkozy devenu "anormal", selon lui, à force d'user de toutes les ressources de la communication politique. Les proches de François Hollande insistaient alors volontiers sur le fait que le "candidat normal" élaborait lui-même sa communication, en toute liberté, sans se laisser dicter sa conduite par un ou plusieurs "spin doctors"... Un peu à la manière dont Valéry Giscard d'Estaing avait décidé lui-même de sa stratégie de communication en 1974 !

Or, une fois élu, François Hollande a persisté dans cette attitude. Il a, ce faisant, trop fait confiance à son "flair" politique, et a commis une très grave erreur de communication, qui était aussi une erreur d'analyse sur l'état de l'opinion. En août, trois mois après sa victoire, il a continué de communiquer sur sa "normalité" en se laissant prendre en photographie en tenue décontractée, simple, dans le Var, et en prenant de longues vacances pour reprendre des forces après une campagne éprouvante. Mais, probablement plus lucide sur la gravité de la crise que la gauche ne le pensait, l'opinion a  sanctionné ce choix, en reprochant à François Hollande de n'être pas vraiment devenu président de la République, et de laisser, comme Nicolas Sarkozy au début de son quinquennat mais dans un autre style, l'homme privé l'emporter sur l'homme public le temps d'un été.

En multipliant les messages et les images d'un président "au travail" même pendant la trêve des confiseurs, l'Elysée entend montrer aujourd'hui que les leçons de l'été ont été retenues. Mais l'image de la cigale Hollande devenue subitement fourmi avec l'hiver convaincra-t-elle les Français? Rien n'est moins certain. Il suffit de se rappeler combien Nicolas Sarkozy avait échoué à effacer le souvenir de son été 2007 à Malte, sur le yacht de Vincent Bolloré, pour comprendre la difficulté de "redresser" une image après qu'elle s'est imprimée sur la rétine des Français...

Jacques Séguéla : L’un ne va pas sans l’autre, et cela témoigne d’une véritable crise de confiance face à laquelle on fait appel à la communication. Cette opération est pourtant une triple erreur dont la première est d’avoir dérogé à la règle fondamentale de la communication mitterrandienne : on ne parle qu’à condition d’avoir quelque chose à dire. François Hollande semble avoir oublié cette loi essentielle tout comme Nicolas Sarkozy l’avait fait avant lui. J’ai l’impression que dans notre pays, plus la maitrise de la communication progresse et plus les hommes politiques régressent. Cela m’évoque un proverbe japonais : « Avant de parler, assure-toi que ce que tu as à dire soit plus important que le silence ».

La seconde faute de communication dans cette prise de parole est qu’elle risque de faire rater à François Hollande le rendez-vous des vœux de fin d’année avec les Français. Ce discours classique de la vie politique française est le moment de l’année auquel nos concitoyens attendent un discours d’espérance. C’est le moment où il faut être capable de changer sa communication et d’essayer de tourner la page pour lutter contre la désespérance historique des Français dont deux tiers rejettent leur président et leur premier ministre.

Enfin, cette opération avait évidemment pour but de montrer la proximité de François Hollande qui si elle était forte pendant la campagne s’est complètement distendue depuis son élection. La troisième erreur du président et de ses équipes de communicants est donc leur incapacité à analyser les erreurs de Nicolas Sarkozy. Ce dernier a réalisé cinq cents déplacements au cours de son mandat soit environ cent par an et cela ne l’a pas aidé à conserver l’amour des Français. C’est en comprenant leurs problèmes et en se positionnant clairement pour lutter contre que l’on se rapproche des Français, pas en serrant des mains.

Nicolas Sarkozy avait déclaré vouloir rencontrer « la France qui se lève tôt » et François Hollande lance « la grande bataille de l’emploi ». Ces opérations et ces effets d’annonce cachent-ils l’incapacité des politiques à sortir la France du marasme ? 

David Valence : En se rendant à Rungis, François Hollande met surtout ses pas dans ceux de Nicolas Sarkozy, puisque le marché international avait été érigé par l'ancien président de la République en symbole de "la France qui se lève tôt". Ce mimétisme signe l'échec du pari initial de François Hollande pour sa communication présidentielle : le retour à la rareté de la parole du chef de l'Etat, telle que François Mitterrand puis Jacques Chirac l'avaient théorisée, est impossible. Plutôt que le signe d'une impuissance des autorités politiques, je vois cette hyper communication comme une forme de lucidité : oui, le rapport des Français à la politique a changé, ils sont plus exigeants et moins passivement "monarchistes" qu'avant. Le pouvoir doit désormais composer avec leur exigence de transparence et d'action.

Mais c'est aussi le rapport des responsables politiques aux médias qui est en train de changer, au-delà des cas de François Hollande et de Nicolas Sarkozy : il leur faut alimenter "la soif de nouvelles, d'images et de mots" des médias, mais ces derniers ont, à leur égard, une distance critique bien plus grande qu'auparavant. On peut même trouver cette distance excessive, en France, puisqu'on y est en peine de trouver un journal, une radio ou un site d'information qui reproduise vraiment le verbatim des discours ou déclarations du président de la République. Celles-ci ne sont plus guère transmises au public que "tamisées" par un regard critique, sans que l'information elle-même soit toujours délivrée. Les médias français confondent souvent l'exigence critique avec un impératif de scepticisme à l'égard de toute annonce émanant du pouvoir politique

Jacques Séguéla : Les hommes politiques, et en l’occurrence François Hollande, ont encore tout à fait le pouvoir de lutter contre la crise à condition de redresser la barre rapidement. Il lui faut mettre en place une imposition plus claire et plus équitable, il faut expliquer plus clairement aux Français ce que l’on fait et revenir à tout prix vers la positivité lucide plutôt que de s’enfermer dans la violence du discours et de la fiscalité aveugle. Les modifications apportées à cette dernière par exemple ne sont supposées toucher qu’un Français sur dix mais une immense majorité d’entre eux se sent touché. Il est peut-être temps pour François Hollande de changer de logique et d’équipe ministérielle pour récréer une confiance qui ne reviendra pas avec des annonces comme celles des différents membres du gouvernement ces derniers mois.

Ce discours de confiance qu’attendent les Français ne peut venir que de la vérité. Il faut sortir de la politique politicienne du XXème siècle qui consiste à croire que l’on doit à tout prix se tenir à ses promesses de campagne. Plus personne n’y croit et les Français n’en ont rien à faire qu’on leur répète que l’on tiendra des objectifs de 3% de déficit public alors que même Bruxelles n’y croit pas. Ce que veulent nos concitoyens, c’est une véritable action et que le président se préoccupe du chômage et du pouvoir d’achat. Pour l’instant, le désespoir est passif mais il pourrait devenir révolutionnaire. Ainsi, 2013 pourrait artificiellement devenir l’année de tous les dangers pour la France alors que la situation de celle-ci est loin d’être si dramatique que ce que l’on veut bien dire. Le gouvernement doit arrêter de mettre de l’huile sur le feu et de créer de la haine entre les classes, il faut revenir à un discours positif et concret sans quoi la situation ne peut qu’empirer.

La politique est-elle encore autre chose que de la communication ? Et comment est-on arrivé là : les excès du storytelling ont-ils tué la politique ou s'est-il imposé parce qu'elle était déjà morte ?

David Valence : Je suis très méfiant vis-à-vis de ces lieux communs sur la fin de la politique. Ceux qui les colportent prétendent situer notre rapport à la politique dans une grande fresque qui raconterait l'histoire d'un effacement. Mais leurs généralités sont bien peu fidèles à l'histoire, précisément !

Nous avons certes connu, en France, en Grande-Bretagne et aux États-Unis, une période d'hyperpuissance politique au lendemain de la seconde Guerre mondiale, avec le keynésianisme triomphant. Mais on peut aussi considérer cette période comme une parenthèse, les années 1980 ayant ouvert une ère de déprise relative de la politique sur le quotidien des citoyens, comme un retour à la normale.   Avec déjà un certain recul, on peut dire que les responsables politiques étaient déjà moins puissants dans les années 1990 que dans les années 1950. C'est vrai! Mais en France, comme du reste aux États-Unis et en Grande-Bretagne, la puissance publique reste beaucoup plus présente dans le quotidien des citoyens qu'à la fin du XIXe siècle, par exemple. Pour le dire de manière très provocante, François Hollande a bien plus de leviers en main pour agir sur le quotidien des Français que Jules Ferry ou Georges Clemenceau, à l'époque desquels les revenus issus de la redistribution, comme la capacité d'intervention économique de l'Etat, étaient très réduits.     

Le discours habituel sur l' "impuissance des hommes politiques" est beaucoup moins présent en Grande-Bretagne, aux États-Unis ou en Allemagne, par exemple. En France, il tient lieu de cache-sexe pour une forme de résignation paradoxalement chauvine à la médiocrité. "Si les politiques ne peuvent plus rien faire, c'est qu'il faut accepter notre sort et surtout ne rien faire pour le changer..." Ce discours masque mal un conservatisme fondamental de certaines élites françaises, qui refusent d'envisager le monde qui vient autrement que sur un mode catastrophiste, défensif et démissionnaire. Certes, il ne faut pas tout attendre des responsables politiques. Mais ils peuvent beaucoup, à condition de prendre le risque de déplaire à leurs opinions publiques : il suffit pour s'en convaincre de dresser le bilan du gouvernement de Mario Monti en un an à peine!          

Enfin, ce discours sur l'impuissance des hommes politiques traduit un doute sur le modèle démocratique qui n'a rien de rassurant, alors que l'autoritarisme politique continue de se porter très bien en Russie, en Chine ou en Algérie par exemple...

Jacques Séguéla : La communication n’est qu’un outil, elle ne créé rien si ce n’est de l’imaginaire. Elle amplifie simplement les bonnes et les mauvaises nouvelles et une mauvaise utilisation de la communication en temps de crise peut être dangereux. C’est pour cela que, plus que jamais, il faut s’appuyer sur des preuves factuelles et non pas sur des faux semblants. Il n’y a aucun intérêt à raconter que le président ne prend pas de vacances ou à baisser son salaire car ce n’est pas ce que lui demandent les Français. Ce qui lui est demandé est d’une part de ne pas stigmatiser une classe privilégiée qui quitte le pays et d’autre part de s’attaquer par tous les moyens possibles à l’hémorragie du chômage qui ne cesse de s’aggraver. Il y a évidemment encore du fond dans la politique et elle est la seule à pouvoir nous sortir de la crise, c’est elle qui doit montrer le chemin.Ce n’est pas parce que l’on a pas voté pour François Hollande qu’on lui souhaite de se planter, bien au contraire, mais le grand reproche qu’on peut lui faire est cette communication complètement opaque. Il parle de cap mais ne l’explique pas clairement. Il m’évoque le capitaine d’un bateau ne disant pas aux passagers que le drame est arrivé, pas étonnant alors que les gens se noient.  

La période des fêtes de fin d’année est celle qui fait apparaître les plus grandes disparités financières entre les Français. Comment expliquer ce choix paradoxal du temple de l’agroalimentaire quand se nourrir n’a jamais couté aussi cher ?

David Valence : Nous sommes en France, ne l'oublions pas! La cuisine, la nourriture sont au cœur de la culture nationale. Au surplus, Rungis n'est pas un marche du luxe alimentaire, enfin pas particulièrement : François Hollande n'est pas allé saluer les vendeuses de chez Fauchon ou de chez Hediard! Le quotidien des Français, même des plus modestes, a beaucoup à voir avec la nourriture en cette fin d'annee : la tradition des deux dîners de réveillon, les 24 et 31 décembre, n'est pas prête de disparaître...    

Je ne vois donc aucune maladresse dans cette visite à Rungis, au contraire. Mais je le répète : il n'est pas certain que la communication hivernale de François Hollande fasse oublier sa communication estivale, et l'impression de dilettantisme qu'elle a laissée aux Français...

Jacques Séguéla : Avant tout, François Hollande n’aurait pas dû aller à Rungis et ainsi suivre l'exemple de Nicolas Sarkozy dont il a critiqué la communication pendant cinq ans. Cela m’évoque un autre proverbe asiatique, chinois celui-ci, qui dit « Ne marche pas dans les pas de celui qui te précède ou tu n’irais nulle part ». Au delà de cela, la faute ne vient pas tant du choix de l’endroit que du mouvement en lui-même. Il aurait dû faire le choix de l’immobilité jusqu’à ses vœux de fin d’année. En allant dans ce temple de la surconsommation qu’est Rungis alors qu’il prône la déconsommation, François Hollande ne pouvait pas ignorer qu’il s’attirerait des critiques. A l’inverse, s’il était allé voir des nécessiteux on lui aurait reproché de faire semblant de se rapprocher des pauvres alors qu’il passe les fêtes au chaud. Il n’y avait donc pas de bon mouvement mais à choisir il aurait mieux fallut jouer les Abbé Pierre que les Nicolas Sarkozy.

Propos recueillis par Jean-Baptiste Bonaventure

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