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Polémique autour des contrats EDF en Chine : la France est-elle trop naïve en matière de transferts de technologie ?
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L'atome dans tous ses états

Henri Proglio est actuellement mis en cause dans le cadre de la signature d'un accord avec Areva et son équivalent chinois, le CGPNC, qui déboucherait sur un transfert de technologie estimé largement à l'avantage de ces derniers.

Ali Laidi

Ali Laidi

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Ali Laidi est chercheur à l'IRIS, docteur en science politique (relations internationales) de l'université Paris 2 et diplômé de l'Ecole de journalisme de Paris. 

Il est notamment l'auteur de "Aux sources de la guerre économique" (Armand Collin) paru en décembre 2012. 

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Atlantico : EDF est actuellement mise en cause dans le cadre de la signature de l'accord avec Areva et son équivalent chinois, le CGPNC, qui déboucherait sur un transfert de technologie largement à l'avantage des Chinois. La vente de Rafales à l'Inde se négocie aussi à ce prix. Peut-on dire que la France a une stratégie relativement naïve en termes de transferts technologiques ?

Ali Laidi : Je commencerai par dire qu’il existe aujourd’hui trois moyens de développer les acquis technologiques pour un pays : on peut soit copier des savoir-faire déjà existants, soit investir dans la recherche et le développement, ce que fait la France, soit acheter directement des connaissances à l’étranger via le fameux transfert des technologies.

Pour ce qui est de la France, il ne s’agit pas tellement d’une supposée naïveté que d’une évolution des positions quant au partage de ses connaissances sur des secteurs stratégiques. Au début des années 2000, l’Hexagone a toujours affirmé qu’il ne souhaitait pas faire de transferts sur sa technologie nucléaire, en particulier sur le fameux EPR, ou encore militaire, en protégeant notamment sa dernière génération de Rafales. L’idée qui prévalait jusqu’alors était de dire qu’en fournissant le partenaire d’aujourd’hui, on ne ferait qu’améliorer la compétitivité du concurrent de demain, d’où une certaine méfiance vis-à-vis de transferts trop abusifs. Il y a eu cependant ,depuis, un certain revirement qui est tout simplement lié aux réalités de la mondialisation, la compétition entre les différentes entreprises nationales s’étant fortement renforcée.

Cette multiplication de l’offre a fait que la demande est devenue de plus en plus exigeante, la demande n’hésitant pas à ainsi à faire jouer la concurrence pour obtenir en plus du produit fini une partie voire l’ensemble des technologies permettant d’optimiser son utilisation. Face à cette évolution les Français ont tout simplement fini par comprendre que leur fermeté sur le transfert des technologies leur coûtait de nombreux marchés, ce qui a logiquement poussé Paris à revoir sa position à terme.

M. Machenaud, directeur de la production d'EDF, affirme que "Ne pas signer cet accord faisait courir le risque de voir un certain nombre de contrats importants nous passer sous le nez". Cette logique, profitable au court-terme, n’est-elle pas néanmoins risquée pour la haute technologie française ?

Il est effectivement important de garder en laboratoire les technologies les plus récentes pour conserver un train d’avance sur les autres pays. Cependant, contrairement à ce que l’on pourrait croire, cette maxime s’applique de manière quasi automatique dans les différents transferts qui se font aujourd’hui, les gouvernements se refusant logiquement à livrer leurs technologies de dernier cri. Ainsi l’exemple du Rafale, où certains ont pu critiquer un transfert abusif de savoir-faire envers l’acheteur indien, correspondait totalement à cette logique puisque la prochaine génération d’avions de combats sera principalement composée de drones, le Rafale étant de fait aujourd’hui un outil qui n’est plus à la pointe du secteur, même lorsqu’il est accompagné de toutes les optimisations techniques actuelles.

C’est un peu moins le cas pour les technologies liées à l’EPR (que la Chine cherche actuellement à acquérir auprès d’EDF NDLR), puisqu’il s’agit là effectivement de connaissances de pointes sur lesquelles la France est particulièrement bien placée. Cependant, comme dans d’autres secteurs, l’hégémonie de la France (partagée avec les Etats-Unis) sur la technologie nucléaire n’est plus ce qu’elle était, et la perte d’un contrat nucléaire de 20 milliards de dollars en 2009 aux Emirats Arabes Unis par EDF au détriment du Sud-Coréen Kepco a été un signal fort de cette perte de puissance.  Il y a donc  aujourd’hui une véritable volonté de rattrapage de la part des entreprises énergétiques hexagonales, qui ont bien conscience qu’elles doivent aujourd’hui offrir d’avantage pour supplanter leurs rivaux.

Il semble y avoir aujourd'hui un désenchantement des entreprises françaises, dont certaines ont dû littéralement brader leurs savoir-faire pour décrocher des contrats. L’émergence de la Chine et son achat croissant de technologie n’est-elle pas à l’origine de cette évolution ?

La Chine a une stratégie d’intelligence économique effectivement très agressive, ce qui l’incite à mettre dès qu’elle le peut autant de concurrents que possible en compétition pour obtenir à la fin le meilleur « deal » possible. Cela a notamment été le cas sur la construction de la ligne à grande vitesse Pékin-Canton inaugurée hier, qui a été l’objet d’une rude passe d’armes entre Kawasaki (constructeur du Shinkansen japonais ndlr) Siemens et Alstom, ce qui a débouché sur une surenchère de transferts technologiques que Siemens, vainqueur du contrat, compare aujourd’hui à un véritable pillage technologique.

Il s’agit là d’un exemple évocateur et qui fait que l’on peut comprendre aujourd’hui le désenchantement de certaines entreprises françaises vis-à-vis du transfert de technologies, mais il ne faudrait pas tomber néanmoins dans une logique de fermeture qui serait extrêmement préjudiciable à terme. Il est aujourd’hui impossible de vendre du matériel de pointe sans fournir les technologies qui vont avec, on l’a vu notamment lors de la vente de sous-marins Scorpène au Brésil qui s’est accompagnée d’un transfert de compétences mais aussi de la création d’une chaîne de montage locale. Le plus souvent on voit aussi des programmes de formations des scientifiques du pays acheteur par le pays offreur, ce qui aurait été absolument inenvisageable en pleine Guerre Froide par exemple. Le monde ne se partage plus aujourd’hui en quelques puissances écrasant toutes les autres et dans ce contexte il ne faut pas s’étonner de voir les entreprises françaises vendre une partie de leur savoir-faire, parfois au-delà de ce qui était prévu, pour s’aligner sur la concurrence internationale. 

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