Prévisions économiques pour 2013 : le gouvernement Ayrault prisonnier de la politique de la "méthode Coué"<!-- --> | Atlantico.fr
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Jean-Marc Ayrault espère une reprise économique imminente.
Jean-Marc Ayrault espère une reprise économique imminente.
©Reuters

Modèle de l'autruche

Si Jean-Marc Ayrault espère une reprise économique imminente, d'autres restent sceptiques. Les outils utilisés pour calculer ces projections sont en effet particulièrement optimistes.

Jacques Sapir

Jacques Sapir

Jacques Sapir est directeur d'études à l'École des Hautes Études en Sciences Sociales (EHESS), où il dirige le Centre d'Études des Modes d'Industrialisation (CEMI-EHESS). Il est l'auteur de La Démondialisation (Seuil, 2011).

Il tient également son Carnet dédié à l'économie, l'Europe et la Russie.

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Article initialement publié sur le blog de Jacques Sapir.

Le Premier ministre, Jean-Marc Ayrault, s’obstine à maintenir ses objectifs de croissance et de déficit et ceci envers en contre toutes les prévisions, y compris celles provenant des organismes les plus officiels comme le FMI[1]. Si l’on peut comprendre que l’on se fixe des objectifs ambitieux, le réalisme devrait cependant à un moment donné retrouver ses droits. La « méthode coué » est-elle donc devenue la seule politique du gouvernement ?

Dans de précédentes notes[2], on avait exploré les raisons d’un choix fait au début de cet automne et qui conduit la France à la crise la plus grave depuis l’après-guerre. Il s’agit tout d’abord du « pari » soi-disant pascalien, et en réalité stupide[3], du président de la République. Ce pari est supposé reposer sur une théorie « cyclique » de l’économie (théorie ramenée à sa plus simple expression : après la pluie, le beau temps…) et sur l’espoir, assez vain, d’une forte croissance de l’économie américaine en 2013. En fait, les contraintes fiscales et budgétaires qui pèsent sur l’économie américaine sont telles qu’une forte croissance est désormais à exclure[4]. Il s’agit, ensuite, de la croyance en des prédictions faites par un modèle utilisé par l’INSEE, « MESANGE ». Le fait que l’un des responsables de ce modèle soit aujourd’hui une secrétaire nationale du PS a beaucoup fait pour cette croyance. Mais, ce modèle est en réalité obsolète[5], en particulier pour sa valeur du multiplicateur des dépenses publiques[6], et l’INSEE lui-même vient de commencer à rectifier très sérieusement ses prévisions pour 2013[7]. Il s’agit, enfin, d’une attitude considérant que l’aggravation de la situation économique est le prix à payer pour assurer le maintien de l’euro, et qu’il convient de ne pas désespérer d’emblée la population. On lui fait donc miroiter l’espoir d’une hypothétique reprise après l’été 2013, tout en sachant que celle-ci et moins que probable, en espérant ainsi éviter une révolte ouverte au printemps prochain.

La situation apparaît aujourd’hui très fortement dégradée, et ceci va continuer pour l’ensemble de l’année 2013. Les nouveaux chiffres publiés par l’INSEE, et qui font état d’une croissance très faible (moins de 0,3% contre les 0,8% prévu par le gouvernement) correspondent à un scénario qui reste aujourd’hui relativement optimiste. En fait, à l’exception du bâtiment, où la baisse d’activité est plus modérée, c’est à un véritable effondrement que l’on assiste qu’il s’agisse de l’industrie ou des services.

Graphique 1

Source : INSEE

Une analyse des différentes données montre que l’INSEE s’est contenté d’extrapoler les chiffres de 2013 à partir de ceux de la fin 2012. Mais on a de bonnes raisons de penser que la demande intérieure va baisser bien plus vite durant le premier semestre de la nouvelle année que ce que l’on pense. Il y a à cela deux raisons.

La première est d’ordre interne. Il faut s’attendre, sous les hypothèses de revenu faites par l’INSEE, à un déplacement vers l’épargne et au détriment de la consommation. Plusieurs raisons militent pour cela : la fin d’année est traditionnellement une période de forte consommation, et l’on ne peut en induire le niveau de consommation après les fêtes de fin d’année ; de plus, les menaces explicites pesant aujourd’hui sur les prestations de retraites vont conduire les Français qui le peuvent à faire un effort important d’épargne. Ceci avait déjà été observé en 1995. Ajoutons à cela que les prévisions d’accroissement du chômage faites par l’INSEE ne semblent pas cadrer avec la réalité. Alors que le chômage augment d’environ 45000 personnes par mois (soit à peu près 1500 nouveau chômeurs par jours), la prévision pour l’ensemble du 1er semestre n’est que de 75000, soit un peu plus de 12000 par mois. Comment le chômage est-il censé décélérer de 45000 à 12000 en quelques mois, mystère…Même si le nombre moyen des chômeurs se réduisant à 30000 par mois eu 1er semestre de 2013, nous aurions un accroissement de 180 000 chômeurs. D’une manière générale, cette forte hausse du chômage ne peut qu’inquiéter encore plus les salariés conservant un emploi et devrait les pousser à accroître leur propension à épargner, et ceci indépendamment du problème des retraites.

La seconde raison est d’ordre externe. Le montant de la consommation tirant la production est diminué des importations mais augmenté des exportations. Il est donc facteur du degré de compétitivité générale de l’économie française. Or, comme expliqué dans la dernière note publiée, la France va être soumise à une pression concurrentielle importante que ce soit hors de la zone Euro, en particulier du fait de la probable dévaluation japonaise, mais aussi à l’intérieure de la zone Euro du fait des politiques de déflation menée par l’Espagne et l’Italie.

Graphique 2

Source: INSEE

Il faut donc s’attendre à une contraction relativement importante de la consommation, que ne pourra pas équilibrer l’investissement, qui restera déprimé.

On doit donc s’attendre à ce que la situation économique se détériore durant l’année 2013[8]. De ce point de vue, même des chiffres compris entre 0,4% et 0,2%, soit très inférieurs aux prévisions gouvernementales, nous semblent pêcher par optimisme. En l’absence de nouvelles mesures d’ajustement budgétaires, la croissance française devrait se situer entre -0,2% et -0,4%, soir un écart de 1 à 1,2 points avec les prévisions du gouvernement de J-M. Ayrault. Rappelons qu’un tel écart aura des conséquences importantes sur le déficit budgétaire, qui devrait se situer vers -3,8% du PIB en lieu et place des 3,0%. Le poids de la dette en pourcentage du PIB augmentera donc mécaniquement de 1,75%. De plus, soumis à cette double pression concurrentielle tant extérieure à la zone Euro qu’intérieure à cette même zone, le tissu industriel français continuera à se dégrader comme il le fait depuis maintenant dix années au moins. Nous perdrons de plus en plus ces emplois relativement bien payés au profit d’emplois de services qui sont, dans leur immense majorité, très mal payés. Il faut ici le rappeler, une société sans industrie est une société où les inégalités de revenus se développent sans contrôle ni mesure. La choix de l’industrie est aussi et désormais avant tout un choix social. Il faut alors revenir sur la signification de l’apparent entêtement de J-M. Ayrault (et de François Hollande) à affirmer que la France tiendra, coûte que coûte, ses objectifs que ce soit pour la croissance économique ou le déficit budgétaire. Il est peu probable qu’aujourd’hui ils entretiennent encore des doutes sur la possibilité d’atteindre ces objectifs. Ils savent vraisemblablement que leur politique est un échec. Mais il est bien plus probable qu’ils se refusent à admettre la réalité car celle-ci ne laisserait alors que l’alternative suivante.

Soit la France doit à son tour entrer dans une politique de « dévaluation interne » pour tenter de tenir ses objectifs et retrouver sa compétitivité, mais ceci impliquera une telle chute de la demande intérieure que l’on connaîtra une hausse du taux de chômage vers les 4,5 millions à l’horizon de 2014 ou du premier semestre 2015.

Soit la France doit sortir de la zone Euro et par une forte dévaluation rétablir instantanément sa compétitivité.

La première hypothèse est, à l’évidence, impossible à assumer socialement pour un gouvernement qui se dit « de gauche ». Comment peut-il expliquer à ses électeurs que l’avenir passe par une aggravation du chômage de masse et un démantèlement toujours plus rapides des droits sociaux ? La seconde est politiquement contradictoire à toutes les proclamations faites depuis mai dernier.

Il ne reste donc plus que la « méthode Coué »….



[1] « Ayrault maintient ses prévisions de croissance et de déficit malgré le FMI et l’INSEE ! », le 24/12/2012, Boursier.com, URL : http://www.boursier.com/actualites/economie/ayrault-maintient-ses-…oissance-et-de-deficit-malgre-le-fmi-et-l-insee-17971.html?sitemap

[2] Ces différentes notes ont été publiées sur le carnet RussEurope.hypotheses.org depuis septembre dernier.

[3] Jacques Sapir, “Les paris stupides (II) (Blaise Pascal, Jacques Prévert et les choix de François Hollande) ”, RusseEurope. Le Carnet de Jacques Sapir sur la Russie et l’Europe (Hypotheses.org), 23 septembre 2012. [En ligne] http://russeurope.hypotheses.org/113.

[4] Jacques Sapir, “Zone Euro : pourquoi le potentiel de croissance est-il faible dans le reste du monde?”, billet publié sur le carnet Russeurope le 19/12/2012, URL:http://russeurope.hypotheses.org/617

[5] Jacques Sapir, “Faut-il croire les modèles de prévision?”, billet publié sur le carnet Russeurope le 12/11/2012, URL: http://russeurope.hypotheses.org/458

[6]  Il table sur une valeur proche de 0,7 alors que des valeurs de 1,7 à 2,2 sont enregistrées ces dernières années dans les pays subissant des politiques d’ajustement budgétaire. Même le FMI admet désormais que ce multiplicateur peut varier fortement et se trouver largement au-dessus de 1 dans les circonstances économiques exceptionnelles que nous connaissons aujourd’hui..

[7] INSEE, Note de Conjoncture, Décembre 2012, 13 décembre 2012, Paris.

[8] P. Artus, Pourquoi il est difficile d’être optimiste pour la croissance de la zone euro en 2013, Flash-Économie, NATIXIS, n°868, 18 décembre 2012.

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