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Mahomet : une vie dénuée de toute faute et de toute culpabilité
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Bonnes feuilles

Dans cette biographie, Tilman Nagel revisite l'image dogmatique de la vie de Mahomet transmise par les traditions musulmanes. Extraits de "Mahomet : Histoire d'un Arabe, Invention d'un Prophète" (2/2).

Tilman  Nagel

Tilman Nagel

Tilman Nagel est islamologue. Ses recherches portent sur l’histoire et l’histoire religieuse du monde islamique. Dans ses travaux, Nagel s’efforce de prendre toujours en compte l’intégralité de l’histoire islamique, et donc de comprendre l’islam contemporain à partir de ses racines historiques. C’est également cette démarche qui caractérise ses dernières publications sur Mahomet : elles analysent la figure historique et ses effets jusque dans le présent.

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"Puisque la vie de Mahomet exprimait le contenu rendu public et ayant fait ses preuves (dans la pratique) du message de l’islam, l’accès privilégié à l’univers spirituel de l’islam consiste dans la connaissance du Prophète. De la naissance à la mort, l’expérience de l’Envoyé unit, libre de toute forme de tragique humain, l’appel à la foi, la mise à l’épreuve parmi les hommes, l’humilité et la recherche de la paix avec l’Un."


Telle est la perspective dans laquelle un musulman vivant en Europe cherche à expliquer la vie du Prophète à ses frères dans la foi ainsi qu’aux croyants d’autres religions cherchant des maximes de vie simples et lisses.

"Libre de toute forme de tragique humain" : une biographie qui, parce qu’elle a été vécue en relation ininterrompue avec le Très-Haut, n’a jamais
connu d’égarement, d’impasse ou d’enchevêtrement dans la faute.

"Pendant les vingt-trois ans de sa mission, Muhammad a cherché la voie de la liberté et de la libération spirituelle. Il recevait la Révélation, étape par étape, aux détours des circonstances de la vie, comme le Très-Haut dialoguait avec lui dans l’Histoire, pour l’éternité. Le Prophète L’écoutait, Lui parlait, et contemplait Ses signes le jour comme la nuit, dans l’entourage chaleureux de ses compagnons comme dans la solitude du désert d’Arabie. Il priait quand le monde des Hommes dormait, invoquait Dieu quand ses frères désespéraient, et restait patient et persévérant devant l’adversité et l’insulte quand tant d’êtres tournaient le dos. Sa spiritualité profonde l’avait libéré de la prison du moi, et il ne cessait de voir et de rappeler les signes du Très Rapproché aussi bien dans l’oiseau qui vole que dans l’arbre qui se dresse, le crépuscule qui s’installe ou l’étoile qui brille." (*)

Tout ce qu’on apprend aux hommes de la vie de Mahomet est en lien immédiat avec Allah, rectiligne, infaillible ; au risque de nous répéter, cette vie est libre de toute faute et de toute culpabilité ; il n’y a rien de tel dans tout ce qui touche la personne de Mahomet. Tous les prophètes vécurent sans être pris dans les péchés. Adam, le premier d’entre eux, et Eve mangèrent des fruits défendus ; Satan les avait séduits, et ils durent quitter le paradis. C’est ce qui se trouve dans le Coran (sourate 2, vv. 35s.). L’obtention de la connaissance de ce qui est bien et mal n’était toutefois pas liée à la violation de l’interdiction. Au lieu de cela, au moment où il a été chassé sur la terre, il reçut "de son Seigneur des paroles (de la promesse), et Allah se tourna de nouveau vers lui […]" (sourate 2, v. 37, cf. ci-après, chapitre XI). Tout n’est qu’une question de réceptivité pour la droite direction d’Allah, pas une question de faute – et qui se serait ouvert plus inconditionnellement à la droite direction d’Allah que son dernier Prophète ?

"Libre de toute forme de tragique humain" : tous les musulmans ne sont pas prêts à adopter implicitement une telle perspective amorale et à comprendre la biographie de leur Prophète comme une suite d’événements et d’actes qui doivent être par définition "justes", c’est-à-dire dignes de louanges et exemplaires, puisqu’ils ont été accomplis sous une droite direction divine ininterrompue. Dans son livre 23 Jahre. Die Karriere des Propheten Muhammad, l’Iranien Ali Dashti (1896-1981) entreprend de passer en revue les textes-sources les plus importants sans cette précompréhension dogmatique qui doit faire passer même les forfaits les plus répugnants, comme le massacre de la tribu juive des Banû Quraiza pour le fruit d’une spiritualité en communication constante avec Allah. On comprend sans peine qu’on ne peut satisfaire à cette exigence sans un ratiocinage parfois désagréable. Dashti s’en libère. A ses yeux, Mahomet était un homme ordinaire, avec les forces et les faiblesses propres au genre humain. Il sortait de l’ordinaire tant par sa fermeté, sa persévérance et par la fi délité aux tâches qu’il se voyait chargé d’accomplir que par son absence de scrupules quand il s’agissait de réaliser ses ambitions de pouvoir. Arroser tout cela de la lumière merveilleuse d’une droite direction divine immédiate ne fait pas honneur à Mahomet et ne rend pas service à l’humanité. Cela sert uniquement à affermir le pouvoir des érudits musulmans qui confisquèrent l’héritage du prophète, se posèrent en imitateurs zélés et fidèles et empêchèrent ainsi toute critique, de leurs actions et de leurs discours, qu’auraient pu exprimer les musulmans. Les notices de Dashti sur la carrière de Mahomet circulaient en Iran depuis 1973. Aussitôt après la victoire de la révolution des mollahs en 1979, Dashti fut arrêté et torturé ; il mourut des blessures subies à cette occasion en 1981.


Le scientifique européen peut – encore ? – se consacrer à son travail sans se heurter à des prétentions à la vérité fondées religieusement. Il peut et il doit, s’il veut rendre justice à son éthos de chercheur, rassembler ce que les diverses sources lui communiquent sur son objet et examiner ces informations objectivement et sobrement de lege artis, rendre transparents les critères de cet examen et présenter ses résultats dans un ensemble plausible, tenant compte de ce que les sources peuvent déclarer. Mais cela n’est pas la seule tâche que doit remplir la recherche portant sur la vie de Mahomet. Outre l’établissement de ce qu’on peut dire de Mahomet et de la naissance de l’islam en respectant les standards de la recherche historique, elle doit encore renseigner sur la « seconde » vie du Prophète musulman, c’est-à-dire sur la formation et le contenu de la croyance à Mahomet. C’est seulement de cette façon que l’on comprend comment s’est mise en place la perspective dogmatique sur Mahomet et pourquoi la dépasser est si difficile à beaucoup de musulmans, ou est même considéré par quelques-uns comme une exigence inacceptable.

* Tariq RAMADAN, Muhammad. Vie du prophète. Les enseignements spirituels et contemporains, Paris, Presses du Châtelet, 2006, pp. 321 __________________________________________________________________

Mahomet, Histoire d'un Arabe, Invention d'un Prophète de Tilman Nagel, aux éditions Labor et Fidès, pp.15-18


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