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Pourquoi a-t-on encore besoin en France de campagnes pour prendre conscience de l’ampleur du phénomène du viol ?
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Le monde du silence

La féministe Clémentine Autain vient de lancer un manifeste regroupant les signatures de 313 femmes ayant été violées afin de sensibiliser les victimes qui sont encore enfermées dans le silence. Malgré une prise de conscience progressive de notre société, le viol reste un crime trop souvent tu qui nécessite encore des progrès.

Véronique Le Goaziou

Véronique Le Goaziou

Véronique le Goaziou est titulaire d'un DEA de philosophie, d'une licence d'ethnologie et d'un doctorat en Sciences Sociales. Elle a écrit plusieurs articles et essais sur la question du viol en France

Elle est notamment l'auteur de "La violence : Idée reçues" (Le cavalier bleu) et "Le viol, aspects sociologiques d'un crime" (La documentation française)

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Atlantico : Clémentine Autain vient de lancer avec 313 femmes un manifeste visant a sensibiliser sur la question du viol. Pourquoi de telles campagnes sont encore nécessaires aujourd'hui en France ?

Véronique Le Goaziou : Nous vivons aujourd’hui un paradoxe. D’un côté, les violences sexuelles n’ont jamais été autant dénoncées – le viol étant même devenu quelque chose comme le crime absolu – et l’on n’en a jamais autant parlé. Mais en même temps, le voile du silence demeure insistant et la parole très corsetée. Pour plusieurs raisons, trois en particulier. D’abord, le viol révèle et touche souvent à des sujets intimes, troublants et complexes, à savoir le désir, le consentement, le sexe. Et même si la loi pénale pose des interdits, donne des définitions et tente d’introduire rigueur et clarté, les thématiques que recouvre le viol n’en demeurent pas moins floues. Ensuite, la grande  majorité des viols sont commis par des hommes sur des personnes (enfants, adolescents, femmes) de leur entourage, autrement dit des liens souvent très étroits unissent les protagonistes. Le viol est une violence du proche et dénoncer les auteurs, c’est aussi dénoncer les siens. Enfin, le tout-venant des viols n’est pas soluble dans les représentations souvent très manichéennes que nous en avons. Le violeur en série par exemple ressemble beaucoup moins à l’étranger pédophile qu’au bon père de famille. 

Quels résultats ont été obtenus sur ces trente dernières années en terme de sensibilisation et de lutte contre l'abus sexuel ?

C’est une excellente question dont je serais curieuse de connaître la réponse, à condition que des études aient été réalisées pour identifier et évaluer ces résultats – ce que j’ignore. Ce que je perçois c’est que l’affichage politique et la dénonciation médiatique ont leur intérêt mais aussi leurs limites. Et si une campagne de sensibilisation pousse à l’expression (d’une souffrance et même ici d’un crime) alors il faut s’assurer qu’on ait réellement mis en place des moyens de recueil de la parole et d’accueil de celles et ceux qui la portent.

Peut-on imaginer aujourd'hui des méthodes de prévention plus poussées ?

Je pense tout d’abord que nous touchons aux limites de la pénalisation des violences sexuelles.  Depuis la loi de 1980 sur le viol, un arsenal juridique très offensif a été mis en place et je ne vois pas comment nous pourrions aller plus loin. Mais le viol est sans doute le crime le plus difficile à établir : il faut prouver à la fois la pénétration sexuelle et l’absence de consentement. Lorsque les faits sont récents, que l’auteur et la victime ne se connaissent pas et que les traces matérielles du forçage peuvent être recueillies, alors le viol est difficilement contestable. Mais dans la majorité des cas les faits sont anciens, aucune trace ne demeure et auteurs et victimes entretenaient des liens. Que reste-t-il alors ? La parole de l’un contre la parole de l’autre… comme on l’a vu lors du récent procès de viol collectif à Créteil. C’est pourquoi le passage en justice est souvent une redoutable épreuve pour les victimes. Et ce qui manque, c’est qu’elles soient véritablement accompagnées. Or où sont les lieux d’accueil et les accompagnants ? Quels recours une victime de viol a-t-elle pour peu, par exemple, qu’elle ait de faibles ressources ? La levée du voile du silence demeure encore aujourd’hui trop souvent une souffrance qui redouble, voire excède la souffrance du viol initial.

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