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Immigration : 
qui a vraiment les chiffres ?
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Polémique

Marine Le Pen a publié ce week-end ce qu'elle juge être "les chiffres officiels de l'immigration pour janvier 2011". Des chiffres erronés selon le ministère de l'Intérieur. Tentons d'y voir plus clair...

Michèle Tribalat

Michèle Tribalat

Michèle Tribalat est démographe, spécialisée dans le domaine de l'immigration. Elle a notamment écrit Assimilation : la fin du modèle français aux éditions du Toucan (2013). Son dernier ouvrage Immigration, idéologie et souci de la vérité vient d'être publié (éditions de l'Artilleur). Son site : www.micheletribalat.fr

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Alors que Marine Le Pen assène des chiffres sur le nombre de titres de séjour accordés en janvier 2011 (elle avait fait de même pour l'année 2010), on ne connaît pas encore, par des voies normales de publication, les chiffres de 2009.

Chiffrer l'immigration : les différentes sources disponibles

Il existe trois sources principales de diffusion des chiffres sur les entrées d’étrangers en France.

La plus officielle est celle du ministère de l’Intérieur - et un temps du ministère de l’Immigration et de l'Identité nationale supprimé en novembre 2010 - qui doit publier un rapport annuel au Parlement. Le dernier rapport publié, le sixième du nom, porte sur les délivrances de premiers titres de séjour en 2008. Jusqu’en septembre 2009, le ministère de l’Intérieur « voyait passer » dans son fichier informatisé centralisé appelé AGDREF (acronyme "d'application de gestion des dossiers des ressortissants étrangers en France"), tous les étrangers dans l’obligation de détenir un titre de séjour. Depuis, les étrangers disposant d’un visa de long séjour avec mention "vie privée et familiale", "visiteur", "étudiant", "salarié" sont dispensés d’un passage en préfecture la première année. Ils doivent, à leur arrivée en France faire une démarche auprès de l’OFII (Office français de l’immigration et de l’intégration).

La deuxième source est le rapport annuel de l’OFII, qui compte encore en séparant des entrées dites temporaires des entrées dites permanentes, d’après les procédures d’entrée, à partir principalement de données recueillies lors de ses activités, notamment la visite médicale obligatoire. Plus personne ne compte ainsi car la délimitation entre temporaire et permanent à partir des procédures est arbitraire et n’est plus nécessaire depuis la mise en place du fichier centralisé AGDREF. Le chiffre diffusé par l'OFII est très généralement inférieur à celui du ministère de l’Intérieur. Le dernier rapport publié donne des informations sur l’année 2009. Mais cette source ne me paraît pas adéquate pour évaluer l’immigration étrangère en France, car il minimise, sans raison, le flux d’entrées d’étrangers.

La troisième source provient (provenait) du travail de Xavier Thierry à l’Ined, principalement  à partir d’une copie anonymisée du fichier du ministère de l’intérieur (AGDREF), c’est-à-dire d'un fichier qui ne permet pas de trouver, d’une manière ou d’une autre, l’identité des personnes (celles-ci sont associées à un identifiant numérique). Il appliquait une définition que lui et moi avons essayé de faire valoir, sans succès, pour harmoniser la production statistique sur les flux d’immigration en France : un comptage par la durée de validité du titre de séjour ou la durée du séjour réel. Cette bataille a été gagnée par l’Europe puisque c’est un règlement européen de 2007 qui a contraint la France à fournir à Eurostat des données fixant, comme Xavier Thierry le faisait depuis des années, la durée à un an. Les données élaborées par Xavier Thierry sont en ligne sur le site de l’Ined. Elles s’arrêtent en 2008 elles-aussi, car Xavier Thierry a « rendu son tablier » pour se consacrer à un tout autre sujet. Le manque de reconnaissance a eu raison de sa bonne volonté. L’Ined n’a donc, sur la question, plus rien à offrir et semble décidé à abandonner la partie alors même qu’il a été moteur de bien des progrès accomplis dans la manière de compter.

Les chiffres publiés... et ceux qui ne le sont toujours pas

Est-ce que ces chiffres de l’année 2009 manquent à quelqu’un, à part moi ? J’en doute fort. Toute l’énergie médiatique des dernières semaines a été consacrée à démentir les allégations chiffrées de Marine Le Pen. On a même vu Le Monde voler au secours du ministère de l’Intérieur, ce qui n’est pas très fréquent :Immigration : les chiffres du FN ne sont pas un secret d’État.

Il est normal que les données de 2010 ne soient pas publiées. Celles collectées à partir des délivrances de titres de séjour ont toujours nécessité quelques mois de recul pour que les retraits de titres soient enregistrés. Quant à aux premiers titres accordés au mois de janvier 2011, leur nombre ne peut être connu avec fiabilité. Il ne s’agit pas là de retard ou de volonté de camoufler. La précipitation de Marine Le Pen à mettre la main sur des chiffres qui ne peuvent être donnés avec certitude dénote une fébrilité de sa part. C’est tout.

Par contre, celles de 2009 devraient l’être. Il est inadmissible que le 7ème rapport au Parlement ne soit pas encore rendu public. La seule information que je possède sur 2009 est une augmentation de l’ordre de 5 %, selon la manière de compter du ministère de l’Intérieur. Si l’Ined était raisonnable, il y mettrait du sien pour prolonger et enrichir la série de données établies par Xavier Thierry.

Plus de transparence pour contrer Marine Le Pen

La cacophonie est accrue par le retard qu’a pris la mise en place de l’application informatique AGDREF 2, qui doit mutualiser les informations de diverses sources. Sa mise en service était prévue pour 2008, elle ne se sera pas avant 2012, pourvu que la Cnil donne son accord. Le ministère de l’Intérieur doit donc, désormais, revenir au bricolage antérieur à la mise en place, en 1993, de la première application informatique AGDREF, en allant chercher une bonne partie des informations sur les entrées d’étrangers auprès de l’OFII.

Par ailleurs, il paraît imprudent de tirer des informations sur toute l’année 2011 à partir du seul mois de janvier.

Enfin, il me semble que la plus grande transparence devrait être de mise pour éviter les coups médiatiques sur cette question, en publiant les données dès qu’elles sont en mesure de l’être. Pour la clarté des débats de la campagne de 2012, les données de 2010 devraient être alors connues.

Marine Le Pen s’intéresse habilement à l’année 2011 car elle fait le pari qu’aucun chiffre ne sera rendu public sur cette année lorsque la campagne présidentielle battra son plein. La seule stratégie possible est donc de procéder à une estimation des entrées de 2011 en données provisoires au printemps 2012 afin de ne pas laisser le Front national diffuser des informations fantaisistes à la place de ceux qui sont en position de diffuser des données bien établies.

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Note d'Atlantico :

Ce que les autorités constatent sur le terrain de l'immigration :
  • En Italie, les arrivées d'immigrants irréguliers ont augmenté depuis le début de l'année. Entre le 1er janvier et le 3 mars - derniers chiffres disponibles -  7020 Tunisiens sans papiers sont arrivés en Italie sur l'île de Lampedusa (359 en janvier, 5950 en février et 711 sur les 3 premiers jours de mars). 
  • La plupart de ces migrants sont placés dans des centres de rétention situés en Italie. Un nombre limité parvient à gagner la France. En janvier 2011, 217 Tunisiens en situation irrégulière ont été interpellés dans l'hexagone, ce qui est proche de la moyenne mensuelle constatée en 2010 (269).
  • On constate cependant une augmentation des flux récemment avec l'interpellation de 528 Tunisiens sans papiers entre la fin février et le 2 mars. Cette augmentation est tout particulièrement sensible dans le département des Alpes-Maritimes avec 210 Tunisiens en situation irrégulière interpellés en février 2011 contre 81 en février 2010.
  • Concernant la Libye, le traité italo-libyen signé en août 2008 avait permis de réduire les arrivées d'immigrés en Italie par mer (de 30 000 en 2009 à 10 000 en 2010). Aucun chiffre n'est encore disponible pour 2011.

(source : ministère de l'Intérieur)

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