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Les tensions sur le budget européen vont-elles pousser le Royaume-Uni vers la sortie ?
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Sommet européen

Alors que le sommet européen s'ouvre jeudi à Bruxelles, François Hollande a dénoncé les pays qui "viennent chercher leur chèque, leur rabais, leurs ristournes". Une remarque s'adresse à David Cameron, opposé à toutes hausses du budget européen, pris en étau entre ses partenaires européens et la base conservatrice de son parti.

Jean Quatremer

Jean Quatremer

Jean Quatremer est journaliste.

Il travaille pour le quotidien français Libération depuis 1984 et réalise des reportages pour différentes chaînes télévisées sur les thèmes de l'Europe.

Il s'occupe quotidiennement du blog Coulisses de Bruxelles.

Il est l'auteur de Sexe, mensonges et médias (Plon, 2012)

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Atlantico : Le président français a dénoncé les pays qui "viennent chercher leur chèque, leur rabais, leurs ristournes", des propos qui visent directement le Royaume-Uni qui réclame des coupes dans le budget européen. Une référence au  "rabais' sur sa participation au budget européen dont bénéficie l'île depuis 1985, grâce à Margaret Thatcher. Quels sont les enjeux de ce budget et les sujets de divisions entre Européens ?

Jean Quatremer: Pour comprendre la pièce qui va se jouer, il faut d'abord préciser le cadre dans lequel elle va se dérouler. Les cadres financiers sont adoptés pour une durée de six ans depuis 1988 afin d'éviter des crises à répétition, comme ce fut le cas avec Margaret Thatcher, entre 1979 et 1984, lorsqu'elle clamait "I want my money back". C'est en juin 1984, lors du sommet de Fontainebleau, que le problème britannique fut résolu: un rabais sur sa contribution, le fameux chèque, lui a été consenti, car la Grande-Bretagne était bien plus pauvre qu'elle ne l'est aujourd'hui et la structure de son économie (une secteur agricole faible, une forte consommation interne) faisait qu'elle contribuait beaucoup plus au budget qu'elle n'aurait dû par rapport à ce qu'elle en recevait. Surtout par rapport à des pays comme l'Allemagne ou la France.

Ensuite, le budget est alimenté sur une contribution assise sur le PIB, c'est à dire sur la richesse nationale, mais aussi sur des ressources propres qui évoluent indépendamment de la volonté des Etats (une fraction de la TVA, les droits de douane, etc).  Mais, au fil du temps, la ressource PIB est devenue prépondérante, ce qui signifie que le budget européen est financé par des chèques signés par les Etats: autrement dit, il n'y a aucune automaticité et surtout c'est très douloureux car chaque pays voit très clairement ce qu'il verse. D'où la volonté de chacun d'un "juste retour", c'est-à-dire de récupérer une bonne partie de ce qu'il verse en bénéficiant des politiques communes de l'UE. Enfin, les dépenses sont étroitement contrôlées par les Etats: à chaque politique (politique agricole commune, aide aux régions pauvres, recherche, etc) est affecté une enveloppe budgétaire pour la période dont il est quasiment impossible de s'affranchir pendant la durée du cadre financier. Les budgets européens sont donc d'une rare lourdeur à négocier, car il faut trancher le moindre détail,  et d'une rigidité inimaginable dans un cadre nationale.

Les enjeux des négociations sur le cadre financier 2014-2020 qui s'ouvrent jeudi portent sur divers points:  la fixation du niveau des dépenses (plus ou moins 1 % du PIB communautaire, 1075 milliards d'euros sur la période comme le propose la commission ou 886 milliards comme le veulent les Britanniques), la répartition des dépenses entre les différents postes (PAC, innovation...), la création de nouvelles ressources propres à l'Union européenne (taxe sur les transactions financières, taxe carbone...) - l'objectif étant de réduire la part du chèque payée par chaque Etat membre - et, enfin, le rabais accordé aux Britanniques trente ans après son invention alors que leur économie a profondément changé. Ce dernier point est particulièrement sensible car ce rabais (entre 7 et 8 milliards d'euros par an) accordé aux Britanniques est financé par des pays comme la France ou même des pays plus pauvres comme la Roumanie ou la Bulgarie.

Alors que 56% des britanniques se déclarent favorables à une sortie de leur pays de l'Union européenne, un échec de David Cameron pourrait sérieusement remettre en cause la place de la Grande-Bretagne au sein de l'Union ?

La Grande-Bretagne arrive avec des lignes rouges qui rendent quasiment impossible un accord. Le premier ministre David Cameron doit en effet compter avec sa majorité conservatrice de plus en plus eurosceptique voire europhobe. Il souhaite diminuer le budget à un niveau particulièrement bas. Alors que Herman Van Rompuy, le président du Conseil européen, propose un compromis à 985 milliards d'euros, il souhaite l'abaisser à 886 milliards d'euros. Soit une coupe de 200 milliards par rapport aux propositions de la Commission. De même, Cameron refuse de renoncer à son chèque - pour éviter de payer davantage - et la création de nouvelles ressources propres. Au moment où la zone euro et l'Union prennent conscience que la solidarité financière est une nécessité, le Royaume-Uni - soutenu par la Suède - prend le chemin inverse.

Face à Londres, on trouve deux autres camps. L'Allemagne, les Pays-Bas, la Finlande ou l'Autriche se contenterait d'un gel du budget à son niveau actuel, mais veulent une baisse de leurs contributions. Enfin, les pays les plus pauvres (et ceux qui sont redevenus pauvres comme la Grèce ou le Portugal) soutiennent les proposition de la Commission. La France est à mi-chemin de ces camps: elle souhaite un gel des dépenses, mais pas au détriment de la PAC et des aides régionales, mais militent pour la création de vraies ressources propres, des impôts européens si vous voulez. 

Un échec des négociations est-il possible ? Quelles en seraient les conséquences ?

Nous allons très probablement vers un échec des négociations. C'est la première fois qu'elles se tiennent vraiment à vingt-sept et il faudra réunir l'unanimité. Surtout, un accord au conseil européen sera insuffisant: pour la première fois, le Parlement européen devra donner son "avis conforme", ce qu'il ne fera que si le budget présenté est jugé sérieux.

Pour qu'un compromis soit atteint, il faut que les Britanniques acceptent de faire un geste. Au mieux, ils accepteront un gel des dépenses au niveau de 2013. Mais on n'en est pas encore là. Ce sera dans la nuit de jeudi à vendredi que l'on connaîtra réellement les lignes de fractures. Si les 26 pays s'opposent au Royaume-Uni, l'île sera alors plus isolée que jamais et la pression sera maximale. Ils n'auront plus d'allié en Europe.

Si aucun accord n'est atteint d'ici la fin de l'année 2013, le budget 2013 sera alors reconduit à l'identique - y compris le chèque britannique - avec pour seule différence que l'Allemagne, la Finlande, les Pays-Bas et l'Autriche devront contribuer davantage au financement du rabais accordé aux Britanniques.

 Propos recueillis par Olivier Harmant

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