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Japon : le poids des images
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Fascination pour les catastrophes

La masse d'images de plus en plus terribles relatant la catastrophe japonaise pousse le téléspectateur à une surconsommation de l'horreur et réveille en lui une nouvelle forme d'imaginaire.

Bertrand Vidal

Bertrand Vidal

Bertrand Vidal est sociologue de l’imaginaire, membre du Laboratoire d’Etudes et de Recherches Sociologiques et Ethnologiques de Montpellier, et spécialiste des catastrophes.

Il est aussi gestionnaire de la revue Rusca-MSH et rédacteur aux Cahiers Européens de l’Imaginaire (éditions du CNRS).

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Effroyable, titanesque, horrible, tragique, apocalyptique… Les mêmes mots reviennent dans toutes les bouches pour transcrire la transe mass-médiatique que nous éprouvons face aux images de cet insupportable événement, retransmis en direct depuis vendredi matin.

Le pouvoir séducteur de la catastrophe

Cependant, nous ne pouvons décrocher les regards des écrans de télévision, nous zappons d’informations en informations, nous sommes avides d’images et de témoignages, nous écrivons à nos amis et connaissances sur place, nous consultons frénétiquement les réseaux sociaux et les sites de partages de vidéo à la recherche de la dernière source d’horreur ou de soulagement. Il nous en faut toujours plus. Certes, il y a un zeste de solidarité qui s’esquisse après la catastrophe, mais pas uniquement.

Edgar Allan Poe avait raison, nous sommes toujours animés par le démon de la perversité. La gratuité du cataclysme et sa violence intrinsèque nous attirent en tant que telles. Nourris par les mythes modernes du Progrès et du Bonheur, curieusement, le chaos nous séduit en tant que capacité momentanée d’être « autre » et dénégation de l’ordre établi : il est la possibilité que les choses changent radicalement, ou alors, le spectacle non moins radical d’une métamorphose en train de se faire.

Le désir de la catastrophe

En étant cynique, on peut dire que la catastrophe c’est de l’audimat assuré, du chiffre garanti. Mais au-delà de cette affirmation, qui ne manquera pas d’en choquer quelques uns, l’année 2010 et ce début 2011 ne peut que le confirmer : nous sommes profondément subjugués par le désastre et la brutalité des éléments qui nous frappent de plein fouet, parfois même, nous pouvons penser que nous désirons la catastrophe (boursière avec Eric Cantona, politique avec Marine Le Pen, etc.).

De surcroît, dans les images de ces vagues de boue, charriant à une vitesse incroyable, détritus, décombres, poteaux électriques, voitures mais aussi containers, bateaux, maisons, il y a quelque chose de la saturation esthétique. Ce que le sociologue et philosophe Jean Baudrillard aimait appeler de l’obésité et de l’obscénité. Démultiplication à l’infini des détails qui, paradoxalement, s’exprime comme un mode de disparition du territoire et des hommes qui l’ont façonné. Et dans le même temps, masse confuse et crudité spectaculaire de toutes les structures retournées, exhibées, renversées, où tout ce qui sous-tendait l’organisation matérielle et sociale est rendu visible en un instant devenu éternel : 14h44, le 11 Mars 2011.

Quand le quotidien rencontre l’extraordinaire

Toute catastrophe participe d’un imaginaire apocalyptique : événement brutal, souvent bien difficile à croire, mais qui demeure pour le meilleur ou pour le pire de l’ordre de la révélation. La catastrophe est une sorte de cauchemar éveillé, elle nous réveille de notre torpeur quotidienne pour nous plonger dans l’extraordinaire. Toute imagination du désastre nous éveille au monde par sa crudité, sa monstruosité informe et, par-là, nous incite à sortir du sommeil, penser le monde tel qu’il est et non tel qu’il doit être, tout en nous invitant à accepter le pire, la part d’ombre inhérente à tout chose. Fût-ce au prix de l’épouvante et de la "surréalité" les plus sidérantes. « Que serait le miel sans le vinaigre ? »

Mais qu’est-ce que ce spectacle traduit sociologiquement pour nous, les témoins de l’horreur à distance ? N’est-on pas en présence d’un phénomène cathartique d’acceptation du pire par sa surreprésentation, à l’exemple de la continuelle et incessante reproduction télévisuelle des attentats du World Trade Center ? Les images de la catastrophe, qu’elles soient issues de la fiction ou malheureusement bien réelles, agissent comme un ravissement esthétique qui, par une tendance à l’euphémisation, présentent l’unique exutoire du mal, une manière thérapeutique de se libérer de ses traumatismes intimes et d’intégrer l’incompréhensible et l’inacceptable pourtant là.

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