


Anniversaire de la mort de Georges Marchais : qui de Mélenchon ou de Le Pen est son meilleur héritier ?
Atlantico : 15 ans après sa mort, Georges Marchais demeure dans les esprits l'un des leader les plus emblématiques du Parti communiste français. Aujourd'hui, beaucoup ose la comparaison avec Jean-Luc Mélenchon, mais aussi avec Marine Le Pen. De qui aujourd'hui Georges Marchais serait le plus proche idéologiquement ?
Sylvain Crépon : Si on pouvait poser la question à Georges Marchais aujourd'hui, il répondrait sans hésiter et sans détour Jean-Luc Mélenchon. D'autant qu'il est le représentant de ce qui reste de la famille politique de Georges Marchais. Jean-Luc Mélenchon a aussi beaucoup copié la gouaille de Georges Marchais, il a capté son héritage communiste et son côté provocateur, notamment en soutenant des régimes que l'on peut qualifier de totalitaire, comme Cuba ou le Vénézuela.
Toutefois, il est étonnant de constater que Marine Le Pen se réclame elle aussi de Georges Marchais. Elle y prend même un malin plaisir. Lorsque j'ai eu l'occasion de l'interviewer, elle n'a pas hésité à affirmer cet héritage, notamment sur le made in France, la défense des travailleurs français et la lutte contre l'immigration et plus particulièrement celle qui pénaliserait les Français en tirant les salaires à la baisse. Georges Marchais avait repris à cette époque quelques thèses édictées par le Front national bien avant, notamment dans les années 70 à travers François Duprat, principal stratège du Front national.
Pour Marine Le Pen, il est stratégiquement intéressant de se revendiquer dans la ligne de Georges Marchais car l'électorat frontiste a beaucoup évolué ces dernières années en devenant le premier parti chez les ouvriers, les chômeurs ou plus largement les plus précaires et les plus fragiles socialement et économiquement.
Le Front national a repris le flambeau du vote contestataire qui était, auparavant, dévolu au parti communiste. Lorsque Georges Laveaux se demandait à quoi servait le parti communiste, il sous-entendait qu'il n'avait qu'une fonction tribunitienne que Georges Marchais exerçait à merveille, dans le but de canaliser le vote protestataire. Aujourd'hui, c'est très clairement le Front national qui joue ce rôle, sauf que, contrairement au PC, le report des voix aux seconds tours des élections, notamment présidentielles, est beaucoup moins net. Le Front national refuse de choisir entre la droite et la gauche et souhaite sortir de ce clivage conventionnel.
Georges Marchais a été rendu célèbre, entre autres, par ses fameux coups de gueule, notamment face aux médias et ses qualités de tribun. Dans le style, peut-on vraiment le comparer à un des deux leaders du Front de Gauche et du Front national ?
Il existe évidemment un côté Marchais chez Mélenchon. Ce qui est intéressant de constater, c'est le fait qu'à l'origine, ce dernier était un social-démocrate, qui avait voté oui à Maastricht et qui par la suite a pris des accents très populistes que pouvait avoir Georges Marchais. Il demeure toutefois une différence notable résidant dans le fait que Georges Marchais drainait le vote populaire, des ouvriers et des précaires alors que l'électorat de Jean-Luc Mélenchon est très peu populaire. C'est un électorat de la classe moyenne du secteur public, très politisé à l'inverse de celui de Marine Le Pen qui est sociologiquement proche des abstentionnistes. Ce n'est pas vraiment la voix du peuple. Marine Le Pen l'est beaucoup plus.
"Il faut stopper l'immigration officielle et clandestine. Il est inadmissible de laisser entrer de nouveaux travailleurs immigrés en France alors que notre pays compte près de 2 millions de chômeurs français et immigrés." C'est ce que déclarait Georges Marchais lors d'une réunion publique en 1980. Le Parti communiste est aujourd'hui beaucoup plus ouvert à l'immigration tandis que le Front national a pris un virage économique beaucoup moins libéral et plus protectionniste. Le FN n'est-il pas finalement plus proche du parti communiste originel que le Front de Gauche ?
Oui et non. La seule boussole idéologique du Front national, c'est l'identité. Tout se décline autour de cela : la lutte contre l'immigration, les frontières, l'Europe, la mondialisation... Ce n'était pas le cas pour le parti de Georges Marchais. Il était dans une optique purement électoraliste quand il abordait le thème de l'immigration mais cela n'était pas dans son ADN idéologique. Il faut se rappeler qu'il défendait l'Union soviétique dans le contexte de Guerre froide. On peut dire que de ce point de vue, Marine Le Pen reprend ces thématiques, mais le contexte a changé et la structuration du champs politique aussi. On ne peut pas dire qu'elle est l'héritière de Georges Marchais.
Quand Mélenchon, qui se réclamait de Georges Marchais, a été interrogé sur les idées nationalistes de son mentor et de son rapprochement avec les thèses développant la préférence nationale, il a tout de suite dit que ce n'était pas ce Georges Marchais là dont il se réclamait. Marine Le Pen au contraire souhaite précisément capter cet héritage. Elle a bien compris que cette dimension identitaire séduit énormément les classes les plus populaires.
Propos recueillis par Célia Coste