



La crise sans fin : l’Europe est-elle condamnée à alterner cycles de croissance squelettique et récession ?
Atlantico : Le PIB de la zone euro a été en baisse de 0,1% au troisième trimestre 2012 selon les chiffres publiés par Eurostat jeudi 15 novembre. La zone euro est-elle officiellement entrée de nouveau en récession ? Peut-elle se maintenir ?
Jean-Marc Daniel : Trois niveaux de lecture sont possibles. Tout d'abord, nous sommes dans une imprécision des chiffres qui est telle qu'il n'y a pas véritablement de sens à parler de "récession". Nous sommes avant tout dans une période où l'absence de croissance s'installe durablement en zone euro.
Deuxième point important, cette situation dépasse largement la zone euro, des pays comme la République Tchèque ou la Hongrie étant également touchés alors qu'ils sont pourtant considérés comme des économies émergentes caractérisées par un phénomène de rattrapage à une forte croissance. Hors Europe, le Japon rencontre également des difficultés en termes de croissance. Enfin, les économies touchées par ce ralentissement font toute face à un même syndrome : un manque d'investissement du fait d'une détérioration des situations financières des entreprises.
Philippe Waechter : Avec deux trimestres consécutifs de baisse de l'activité, la zone euro est entrée techniquement en récession. Ce qui est préoccupant dans les chiffres publiés est le repli très marqué de l'activité aux Pays-Bas et dans une moindre mesure en Autriche. La baisse de l'activité ne se cantonne plus aux pays dits périphériques. C'est en cela que ces chiffres du 3ème trimestre sont préoccupants. En outre, l'Allemagne n'a plus la capacité à maintenir un chiffre robuste pour la zone euro puisque son activité ralentit aussi de façon significative. Quant à la France elle a contribué positivement au 3ème trimestre mais après trois trimestres médiocres.
En d'autres termes, la fragilité de la croissance affecte tous les pays de la zone. C'est le point le plus préoccupant car aucun ne semble capable d'inverser la tendance.
Alors que le taux de chômage en zone euro a atteint 11,6% en septembre selon les chiffres publiés par Eurostat fin octobre, quelle conséquence cette nouvelle récession aura sur l'emploi ? Certains pays seront-ils davantage touchés que d'autres ?
Jean-Marc Daniel : Nous entrons dans une phase où le chômage s'installe du fait d'un manque de capacité de production. Le taux d'utilisation des capacités de production s'élèvent à 80% dans certains pays comme la France, ce qui laisse penser que les entreprises pourraient embaucher assez rapidement. En réalité, des secteurs entiers sont victimes de disparition d'entreprises ce qui entraine un manque d'opérateurs économiques prêts à créer des emplois d'autant plus que la croissance reste faible.
Les pays d'Europe du Sud, comme l'Espagne ou la Grèce, sont très fortement affectés par le chômage et sont même victimes du départ d'une partie de la population active vers d'autres pays. La France est pour sa part dans une situation qui reflète une économie en crise sans pour autant qu'elle "s'auto-détruise" comme c'est le cas avec la Grèce par exemple. Enfin, les économies comme l'Allemagne connaissent des taux de chômage stables, voire en recul. Un phénomène qui est en partie dû au vieillissement de la population.
Philippe Waechter : La hausse du chômage est la conséquence la plus immédiate et la plus facilement perceptible lorsque l'activité reste durablement faible. Cette problématique est complexe car on ne peut s'y soustraire. On l'a vu en Grèce où le repli fort de l'activité depuis 2010 s'accompagne encore d'une baisse de l'emploi et d'une hausse du chômage (chiffres d'aout 2012).
L'enjeu est sur cet aspect car un taux de chômage trop durablement élevé est un risque fort sur la stabilité sociale. Et cette question va se poser à tous. L'impact immédiat ne sera pas le même cependant, car le point de départ n'est pas identique. On observe cependant que même en Allemagne la dynamique du marché du travail s'est inversée depuis le printemps avec une hausse continue du nombre de chômeurs.
C'est cela la principale inquiétude qui peut infléchir la trajectoire de l'économie de la zone euro accentuant alors les risques de divergence au sein de cette même zone Euro.
Les mesures d'austérité sont-elles responsables de ces mauvais résultats ? L'Allemagne et la France sont-elles désormais victimes des cures d'austérité imposées à leurs partenaires européens ?
Jean-Marc Daniel : Effectivement; l'Allemagne et la France sont en partie victimes de la sévérité avec laquelle ils ont traité leurs partenaires européens. Les cures d'austérité qui y ont été menées ont conduit à de fortes hausses d'impôts et, à contrario, de faibles réductions de dépenses publiques alors l'expérience prouve qu'une stabilisation économique par la rigueur est plus efficace si le second levier est actionné. L'Allemagne est ainsi victime d'une contraction de ses débouchés au point qu'Angela Merkel propose de les compenser par une hausse de la demande intérieure.
Le gouvernement français est pour sa part entré dans une contradiction en votant un projet de loi de finances qui augmente de 10 milliards d'euros les impôts sur les entreprises tout en annonçant un pacte de compétitivité qui baisse ces mêmes impôts. Nous devons diminuer nos déficits car nous ne pouvons plus accumuler éternellement de la dette. Mais les plans d'austérité ont des effets récessifs qui sont d'autant plus forts que nous augmentons les impôts au lieu de les baisser.
Philippe Waechter : L'austérité c'est réduire les dépenses publiques alors que les acteurs privés de l'économie n'ont pas envie de dépenser. Si dans le même temps pour un pays donné les exportations ne peuvent pas servir d'exutoire, le risque est de voir la demande adressée aux entreprises s'infléchir et engendrer un repli de l'activité. C'est probablement la raison de la chute d'activité en Espagne, en Italie et au Portugal. C'est le cas aussi du Royaume-Uni même s'il est sorti de récession cet été.
Pour la France et l'Allemagne ce sont des débouchés qui se réduisent et donc une contrainte supplémentaire dont l'impact est significatif sur la conjoncture de ces pays.
Alors que Mario Draghi a déjà annoncé un programme d'achat de dettes souveraines via le programme OMT (Opération monétaire sur titre) en sus de taux faibles, les politiques budgétaires sont sous contraintes des marchés et des exigences de Bruxelles et de l'Allemagne. Quelle marge de manoeuvre reste-t-il pour que les économies européennes retrouvent la voie de la croissance ?
Jean-Marc Daniel : En ce qui concerne la politique monétaire, les taux d'intérêts ne peuvent pas être plus bas et l'injection de nouvelles liquidités ne relancera en rien la croissance. Sur le volet budgétaire, il n'est plus possible d'augmenter les déficits. Il faut alors diminuer les impôts des entreprises et faire porter la charge de l'austérité sur les ménages car seules les sociétés peuvent investir et créer des emplois et générer ainsi de la croissance.
Enfin, nous pouvons utiliser l'"arme Cameron-Monti" qui consiste à générer de la croissance par la pression qu'exerce la concurrence sur les entreprises. Pour que ces dernières investissent, il faut qu'elles ressentent le besoin d’accroître leur efficacité - et donc générer des gains de productivité et de la croissance - par rapport à leurs concurrents.
Philippe Waechter : Pour l'instant les marges de court terme sont réduites. C'est une problématique de demande insuffisante. La réduction des déficits n'est pas une réponse à cette problématique. A moyen terme on peut envisager des effets positifs de réformes structurelles mais cela ne sera pas suffisant pour éviter une inflexion de l'activité cet hiver.
Le probleme est donc la vitesse et l'ampleur des ajustements qui est mis en oeuvre. Il n'y a pas à court terme de relais de demande. Les exportations ne peuvent pas avoir ce rôle car le commerce mondial progresse lentement (+0.2% entre aout 2011 et aout 2012). On doit donc envisager une activité réduite pendant plusieurs mois.
La zone euro risque-t-elle de connaitre une longue phase de stagnation économique avant d'envisager une sortie de crise ?
Jean-Marc Daniel : Plusieurs modèles démontrent que l'Europe, comme les Etats-Unis, entrent dans une phase de "pallier technologique" au sein de laquelle la croissance ne repartira que par un choc d'innovation. Si outre-Atlantique les entreprises ont retrouvé des marges de manoeuvre pour un tel choc, l'austérité en zone euro pèse encore trop sur les entreprises. L'Europe se tire une balle dans le pied et accumule du retard sur les Etats-Unis.
Philippe Waechter : Au début des années 1980, l'Eurosclérose était le terme à la mode en Europe et l'on se posait les mêmes questions. Deux économistes américains avaient diagnostiqué un manque de demande et la nécessité de réformes structurelles. La demande a été rejetée comme facteur de sortie de crise. Cependant avec la reprise de la croissance américaine et la baisse du prix du pétrole (contrechoc pétrolier) l'activité était repartie rapidement.
La question est un peu la même aujourd'hui mais l'on est incapable de savoir d'où viendra le supplément de demande salvateur. Il va donc vraiment falloir que l'économie européenne retrouve de l'autonomie de croissance. Cela pourra être bénéfique mais ce sera long et surement douloureux.
Avec 2 trimestres consécutifs de baisse de l'activité, la zone Euro est entrée techniquement en récession. Ce qui est préoccupant dans les chiffres publiés est le repli très marqué de l'activité aux Pays Bas et dans une moindre mesure en Autriche. La baisse de l'activité ne se cantonne plus aux pays dits périphériques. C'est en cela que ces chiffres du 3ème trimestre sont préoccupants. En outre, l'Allemagne n'a plus la capacité à maintenir un chiffre robuste pour la zone Euro puisque son activité ralentit aussi de façon significative. Quant à la France elle a contribué positivement au 3ème trimestre mais après trois trimestres médiocres.
En d'autres termes, la fragilité de la croissance affecte tous les pays de la zone. C'est le point le plus préoccupant car aucun ne semble capable d'inverser la tendance.
Propos recueillis par Olivier Harmant