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Préférence française pour le chômage : quand ouvrira-t-on les yeux sur la nécessité d'un vrai marché du travail ?
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Lacune

C'est aux salariés et aux employeurs de se rencontrer sur le marché du travail pour convenir contractuellement d'un prix. Mais ils en sont empêchés parce qu'il n’existe pas de marché du travail digne de ce nom. Premier épisode de notre série sur le marché du travail. (1/6)

Jacques Bichot

Jacques Bichot

Jacques Bichot est Professeur émérite d’économie de l’Université Jean Moulin (Lyon 3), et membre honoraire du Conseil économique et social.

Ses derniers ouvrages parus sont : Le Labyrinthe aux éditions des Belles Lettres en 2015, Retraites : le dictionnaire de la réforme. L’Harmattan, 2010, Les enjeux 2012 de A à Z. L’Harmattan, 2012, et La retraite en liberté, au Cherche-midi, en janvier 2017.

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Un marché est un lieu où offreurs et demandeurs peuvent se mettre d’accord pour une transaction, et notamment fixer le prix de ce qui est acheté et vendu.

LE prix. Quand il y a un prix pour l’acheteur et un autre pour le vendeur, ce n’est plus un marché, car le mécanisme d’ajustement entre l’offre et la demande qui caractérise les marchés fait défaut.

Sur le soi-disant marché du travail, l’offreur (le candidat à l’embauche) s’intéresse à son salaire net, et le demandeur (l’employeur) au salaire super-brut, somme du salaire brut et des cotisations sociales patronales. Le premier ne représente qu’une fraction du second : de l’ordre de 55 %, en France, dans le cas général. Il y a donc deux prix, séparés par ce que l’on appelle souvent le « coin social et fiscal ». Entre ces deux prix se situe un ectoplasme juridique, le salaire brut, qui figure dans les contrats de travail.

L’employeur subit les cotisations patronales, fixées par l’État ou par des conventions collectives nationales (cotisations ARRCO et AGIRC). De ce fait, le prix qu’il paye est susceptible de varier, à la hausse ou à la baisse, selon le bon plaisir du prince. Là encore, les conditions d’un marché du travail ne sont pas réunies. Et les organisations patronales en sont réduites à quémander auprès du dit prince un « choc de compétitivité » sous forme de modération des taux de cotisations employeur. Cela est extrêmement malsain.

Où se situent les racines du mal ? Il en existe principalement deux :

- Les cotisations sociales ont été assimilées à des impôts (prélèvements obligatoires sans contreparties) alors qu’elles pourraient être conçues et organisées comme le prix à payer pour les services de protection sociale.

- Une idée obsolète perdure, selon laquelle il reviendrait aux employeurs de payer une partie (plus ou moins importante selon les pays) du coût de la protection sociale.  

Pour disposer d’un véritable marché du travail, la première condition est donc de sortir d’un modèle social basé sur les « droits à », de construire ou reconstruire des mécanismes de contributivité. Nous étudions ce problème depuis 30 ans : les solutions existent.

La seconde condition est de mettre fin à la pratique des cotisations employeur : que chaque personne s’assure contre les risques de l’existence, prépare sa retraite et paye ce qu’elle doit aux générations précédentes ; si cette personne est salariée tout cela ne concerne pas son employeur.

Dès lors il existerait UN prix du travail, ce que l’on appelle aujourd’hui le salaire super-brut ; le salarié payerait ses cotisations (incluant les actuelles cotisations patronales), dans un premier temps par retenue à la source, puis (après les changements techniques requis) par prélèvement automatique sur son compte en banque. Il serait alors clair aux yeux de chaque travailleur ou candidat à l’embauche que sa rémunération est bien le salaire super-brut.

Cela fait, en ce qui concerne le coût du travail et les problèmes de compétitivité qui s’y rattachent les représentants des entreprises et autres employeurs n’auraient plus à faire antichambre dans les ministères ou à l’Élysée : il s’agirait uniquement, pour eux, de se positionner correctement à l’interface du marché du travail et de celui des biens et services.

Certes, beaucoup d’autres problèmes devraient être abordés pour faire le tour de la question, depuis le SMIC jusqu’aux réformes systémiques de notre système de protection sociale. Construire un vrai marché du travail requiert d’importants changements, une sortie du modèle bureaucratique et ubuesque dans lequel nous nous sommes laissés ficeler au cours des décennies. Raison de plus pour abandonner les façons étriquées et fragmentaires que nous avons de nous attaquer aux problèmes, pour adopter une démarche systémique et la hauteur de vue qu’elle requiert. Des jeux de chaise musicale entre différentes formes de prélèvements obligatoires sans contreparties et de déficits ne suffiront pas à redresser notre économie.

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