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Taxer la bière, une affaire rentable depuis qu’elle s’est imposée au royaume du vin
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Glou glou

Pendant que la taxe sur la bière continue d'alimenter les débats, le "pain liquide" continue sa trajectoire de revalorisation et de diversification régionale. Histoire du succès d'un produit universel.

Pascal  Chevremont

Pascal Chevremont

Pascal Chevremont est délégué général des brasseurs de France, association professionnelle des producteurs de bière français regroupant plus de 80% de la production nationale.

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Atlantico : Alors que la taxation sur la bière fait débat en France, les micro-brasseries et les productions régionales ne cessent de se multiplier. Comment expliquer cet incroyable développement de la bière dans notre pays ?

Pascal Chevremont : Structurellement, la France est un petit consommateur de bières mais dont la production est alimentée par de fortes différences identitaires régionales. Dans le Nord, la France est évidemment influencée par la tradition belge de la même manière que les départements de l’Est notamment l’Alsace sont le sont par la culture germanique. La tradition de la bière n’est pas nouvelle dans notre pays mais elle a été cyclique. Avant 1914, il y avait plus de trois mille brasseries en France, on en compte aujourd’hui plus de quatre cents après une crise du secteur dans les années 70 pendant lesquelles le chiffre est tombé à une vingtaine. Le refleurissement actuel des micro-brasseries artisanales est en fait le signe d’une tendance qui correspond à celles du vin ou du fromage. En effet, dès qu’il s’agit de gastronomie, les Français ne se satisfont pas d’une offre trop homogène et réclament une plus grande variété des produits. Cela témoigne de ce besoin de retour au terroir, et plus généralement à l’identité régionale, qui se développe depuis une vingtaine d’années. Le mouvement est naturellement parti d’une des régions ayant la plus forte culture identitaire, la Bretagne, foyer du régionalisme français. Ce qui est intéressant c’est de constater que la production de bière est présente dans toutes les régions de France et pas seulement dans celles y sont liées historiquement. Il est aujourd’hui possible de trouver des bières du Pays Basque, de Provence ou des régions viticoles comme la Bourgogne. La grande championne est la région Rhône-Alpes, ce qui s’explique par les très nombreuses sous identités culturelles qui la caractérisent, le Dauphiné, la Drome, l’Ardèche, la ville de Lyon entre autres. Et chacune d’entre elles s’est dotée de sa propre brasserie. Ce phénomène se traduit également dans les portefeuilles de produits des grandes entreprises de brasserie comme Kronenbourg qui cherchent à répondre à la demande des Français en terme de gouts, de saveurs ou de liens sociaux. Un même consommateur peut choisir de boire une bière différente en fonction de la personne avec qui il la boit.

Au royaume du vin, comment expliquer l’anoblissement de la bière et de sa consommation pourtant longtemps assimilée à une forme de prolétariat ?

Le fait que l’offre se soit diversifiée a encouragé différents publics à se reconnaître dans les produits proposés par les brasseurs. Quand un segment de marché ne propose que trois ou quatre produits en grande partie consommés par une classe sociale mal considérée, il est impossible pour le reste des consommateurs de se projeter dans cette consommation. Le marché actuel permet aux consommateurs de créer leur propre panthéon des bières et donc de s’identifier par là aux différents groupes culturels qui composent notre identité. Les sociologues s’accordent à dire que l’on ne peut pas définir un individu à travers un seul cercle d’influence, c’est de cela que témoigne effectivement la diversité de l’offre de bière sur le marché français. La bière se consomme désormais de nombreuses façons, en groupe dans un contexte festif, comme un produit noble et puissant à savourer entre connaisseurs, avec un ami qui nous fait découvrir la production de sa région ou auquel nous faisons découvrir la notre. C’est cette logique de choix et de différenciation qui a permis à la bière de recevoir ses lettres de noblesse en offrant aux consommateurs la possibilité d’en revendiquer la consommation.

Au-delà du marché français, l’aspect fascinant de la bière est sa dimension transculturelle. Du Ghana à la Chine en passant par l’Amérique du Sud et l’Océanie, il est possible de trouver des productions de bières partout dans le monde.

La raison essentielle de cette dimension transculturelle est avant tout historique.  Il existe en effet des traces de la consommation de bières six mille ans avant Jésus Christ. Les Egyptiens de l’antiquité cultivaient les céréales dans la vallée du Nil et laissaient ce qui s’apparente aux premières formes de bière à l’air libre. Celui-ci y apportait une fermentation. On appelait à l’époque la bière « le pain liquide » puisque celle-ci n’était pas filtré et était consommée entre autre pour sa valeur nutritive. On retrouve également dans le code d’Hammourabi des traces de fabrication d’un breuvage à base de céréales fermentées et de levure. A partir  d’un terreau culturel ayant irrigué l’ensemble de l’Asie, l’Afrique et l’Europe, ces pratiques se sont répandues à travers le monde par le biais de ces carrefours majeurs d’échanges. Le phénomène s’est ensuite répandu en Amérique et en Océanie par la voie de la colonisation.

Cette universalité de la bière peut être comparée à celle du pain dont on trouve des formes différentes sur tous les continents en fonction de habitudes culturelles et des ingrédients à disposition, le sorgo en Afrique ou le riz en Asie. La production de la bière est profondément liée à la culture des céréales, c’est à dire à la sédentarisation des êtres humains. Ce n’est qu’après qu’elle a été allongée à l’eau, filtrée puis aromatisée à l’aide de nouveaux ingrédients, fleur d’oranger, fruits ou autres. C’est d’ailleurs comme cela qu’a été ajouté le houblon au XVème siècle. Les brasseurs allemands avaient établi à cette même époque que la bière devait uniquement se composer de quatre ingrédients : l’eau, le malt d’orge, le houblon et la levure. La demande du marché est en train de bouleverser ces règles en répondant à une appétence de la variété des saveurs (miel, chèvrefeuille, sureau etc). C’est particulièrement vrai en France où les idées viennent toujours des traditions gastronomiques locales qui caractérisent nos régions mais aussi les nombreux pays producteurs.

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