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La France, un pays sous tutelle dans une Europe en échec
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Souveraineté

La France a-t-elle encore les instruments pour agir sur son destin ?

Pierre-Henri d'Argenson

Pierre-Henri d'Argenson

Pierre-Henri d'Argenson est haut-fonctionnaire. Il a enseigné les questions internationales à Sciences Po Paris. Il est l’auteur de "Eduquer autrement : le regard d'un père sur l'éducation des enfants" (éd. de l'Oeuvre, 2012) et Réformer l’ENA, réformer l’élite, pour une véritable école des meilleurs (L’Harmattan, 2008). Son dernier livre est Guide pratique et psychologique de la préparation aux concours, (éditions Ellipses, 2013).

 

 

 

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La France, en tant qu’Etat-nation, n’existe plus. Hormis son armée, elle ne possède plus aucun des attributs de souveraineté qui sont l’apanage des nations et des Etats. Elle a renoncé à sa monnaie, dont elle ne contrôle ni le taux de change, ni la quantité en circulation. Elle a renoncé à sa politique commerciale, entièrement transférée à la Commission européenne, qui n’a pour seule préoccupation en la matière que l’abaissement de toute forme de défense commerciale européenne. Elle ne maîtrise plus sa politique migratoire, régie par des directives européennes et par la jurisprudence de la Cour européenne des droits de l’homme, qui ne tolèrent que des restrictions absolument mineures à la libre entrée et à l’installation des migrants extra-européens sur notre sol. Enfin elle est en passe de perdre sa souveraineté budgétaire, qui sera prochainement remise entre les mains des euro-juristes.

Soyons lucides : que nous reste-t-il comme moyen concret d’action sur notre destinée, dès lors que nous ne pouvons plus réguler les conditions de nos échanges commerciaux, les mouvements des personnes entrant sur notre sol, notre masse monétaire, notre niveau d’inflation, les taux de change de notre monnaie, et notre budget ?

Certes, nous avons consenti à tous ces transferts de souveraineté, mais au nom d’un pacte implicite, qui n’a pas été respecté : que l’Europe prenne le relais en construisant à ses frontières la carapace qu’elle avait ôtée aux Etats-membres, qui est le seul moyen de donner un sens à la notion de Communauté ou d’Union européenne. Autrement, pourquoi former une communauté si elle est ouverte à tous ? Pourquoi s’unir si c’est pour se priver d’agir ? Pourquoi constituer un marché de 500 millions de consommateurs si nous ne pouvons imposer les conditions auxquelles nos concurrents peuvent y accéder ? Pourquoi créer l’espace Schengen, si ses frontières externes sont si poreuses qu’elles en sont quasi fictives ? Pour quelles raisons adopter une monnaie unique, si l’Europe s’interdit toute politique offensive de taux de change au profit de son économie ? A quoi bon financer une énorme bureaucratie bruxelloise, si cette dernière consacre plus de temps à grignoter les compétences des Etats-membres plutôt qu’à défendre les intérêts et la sécurité des Européens ?

Pendant des années on a expliqué aux peuples européens que les nations, isolées, étaient devenues trop faibles, et qu’ensemble nous serions plus forts. Or, il faut se rendre à l’évidence : le logiciel mis en œuvre par les élites européennes continue de refuser de dissocier l’ouverture intérieure entre les Etats-membres de l’ouverture européenne au reste du monde. Les instruments de souveraineté qui ont été remis à l’Union européenne n’ont pas été mis en commun au service d’une Europe plus forte, mais consciencieusement détruits, comme autant de répliques diaboliques de l’anneau de Sauron, par des idéologues convaincus de leur éternelle et ontologique nocivité.

Dans une mondialisation de plus en plus hostile, ce projet est pourtant suicidaire, car il expose les nations européennes à ses courants les plus déstabilisateurs : la guerre monétaire entre le dollar et le yuan, à laquelle l’euro sert de variable d’ajustement ; le grand mouvement de migrations Sud-Nord, qui bouleverse en profondeur les sociétés européennes et crée des tensions de plus en plus visibles, économiques et identitaires ; l’offensive industrielle et commerciale de grande ampleur engagée par les pays émergents, déjà bien émergés et bientôt submergeants, qui profitent de notre ouverture pour écouler leur production et aspirer notre appareil productif vers leurs territoires. Notre ministre du Redressement productif aura beau se porter au chevet de tous les plans de licenciements, il ne dispose plus du moindre outil de politique économique permettant de stopper l’hémorragie de nos dernières richesses.

Avant le "choc de compétitivité" que prône le rapport de Louis Gallois, c’est d’un choc de souveraineté dont la France aurait besoin, car elle est en réalité devenue un pays sous tutelle, c’est-à-dire qu’elle ne gouverne plus son destin, pas plus d’ailleurs que la plupart des pays de l’Union. Face à cette impuissance organisée, il ne nous reste plus qu’un moyen d’agir : oser, comme le général de Gaulle en 1965, la politique de la chaise vide, jusqu’à ce que l’Europe se décide enfin à s’intéresser au sort des Européens et se dote des politiques et des institutions à même de garantir sa survie sur la scène de la Realpolitik mondiale.

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