Compétitivité et rapport Gallois : quel rapport de force entre gauche réaliste et gauche idéaliste ?<!-- --> | Atlantico.fr
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Louis Gallois doit remettre lundi ses propositions sur la compétitivité au gouvernement.
Louis Gallois doit remettre lundi ses propositions sur la compétitivité au gouvernement.
©Reuters

Dilemne

Louis Gallois remet ce lundi son rapport sur la compétitivité au gouvernement. Réduire les charges des entreprises et peser sur les ménages ? Avant même la publication de ce rapport, le gouvernement et la majorité étaient partagés.

Jean Peyrelevade

Jean Peyrelevade

Jean Peyrelevade fait partie de l'équipe de campagne de François Bayrou pour l'élection présidentielle.

Ancien conseiller économique du Premier ministre Pierre Mauroy, il fut également directeur adjoint de son cabinet.

Économiste et administrateur de plusieurs sociétés françaises et européennes de premier plan, il est l'auteur de plusieurs ouvrages sur l’évolution du capitalisme contemporain.

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Atlantico : Les dernières hésitations de la gauche sur la compétitivité révèlent un désaccord de la gauche française. Pourra-t-elle, à terme, faire la synthèse entre idéalisme et réalisme ?

Jean-Marc Daniel : Elle le pourra pour trois raisons. Tout d'abord, car il y a des pays en dehors de la France où la gauche a réussi à faire cette synthèse en réfléchissant à une gestion réaliste conforme à ses idéaux. Deuxièmement, elle est obligée de définir ses idéaux, car les outils traditionnels qu'elle a utilisés, comme réduire le temps de travail ou donner des semaines de congés payés supplémentaires, sont aujourd'hui épuisés. Le programme réaliste traditionnel arrive aujourd'hui à son terme. Troisièmement, auparavant, elle disposait d'un outil économique, le keynésianisme. Lui aussi est arrivé au bout de ses capacités car il n'apporte plus de croissance. En effet, quand on augmente la dette publique, on n'a aucun résultat en terme de croissance.

Il va donc falloir évoluer. La gauche doit aujourd'hui raisonner comme l'avaient fait certains travaillistes européens en réinterprétant les outils traditionnels de la politique économique. Tout d'abord, il faut considérer qu'il ne s'agit pas de lutter contre les riches, mais d'agir en faveur des pauvres. C'est l'erreur que commet aujourd'hui la gauche en France, que de vouloir augmenter les impôts des riches pour réduire les inégalités. Le bon outil n'est donc pas la fiscalité, mais l'utilisation des dépenses pour favoriser les pauvres. Il s'agit donc de regarder poste de dépense par poste de dépense, pour comprendre où agir. Je préconiserais par exemple la privatisation de l'enseignement supérieur, pour le rendre efficace tout en améliorant le système de bourse, pour le rendre accessible aux couches populaires de la population. Dans un deuxième temps, la fiscalité devrait être utilisée de manière incitative et non punitive pour lutter contre les externalités négatives. La gauche veut préparer l'avenir, elle doit donc taxer ce qui met en danger l'avenir, comme la pollution par exemple, avec une taxe carbone. Enfin, il ne faut pas que la gauche se trompe d'ennemi. En effet, elle doit se concentrer sur le fait de favoriser les talents. C'est ce que disait la toute première gauche du début du XXe siècle.

Jean Peyrelevade : Une chose est sûre : le retour au réalisme est indispensable et, d'une certaine manière, exclusif. C'est-à-dire qu'on ne peut pas à la fois dire au peuple que tout va bien se passer sans effort excessif, et redresser nos insuffisances en matière productive. Ce redressement va nécessiter des efforts. Des efforts considérables. C'est pourquoi ce double discours me semble intenable à terme.

André Bercoff : Il est tout d’abord intéressant de souligner que le mot "compétitivité" n’existait pratiquement pas dans la campagne présidentielle. Beaucoup d’éléments du rapport Gallois ont déjà fuité et cela fait maintenant un mois que ce rapport crée la polémique à gauche. Les uns disent qu’il faut l’enterrer, les autres se disent favorables au fameux "choc de compétitivité".

Pour autant, je ne crois pas que l’affrontement sur le thème de la compétitivité se fera entre la "gauche réaliste" et la "gauche utopiste". A mon avis, ce duel aura lieu entre la gauche qui dit 'on a compris que la compétitivité est essentielle' et celle qui dit 'nous sommes en train d’abandonner notre esprit de campagne'.

Or, à l’intérieur du PS, personne n’est contre la compétitivité, y compris des gens comme Montebourg, qui se fait le chantre du protectionnisme et du "fabriquons français". Certes, Benoît Hamon, Henri Emmanuelli ou Marie-Noëlle Linhman ne voient pas ce "choc" de compétitivité d’un bon œil, mais l’opposition la plus forte viendra de l’extérieur du PS. La gauche de la gauche, représentée par Mélenchon, va sortir du bois et en profiter pour dire : 'Attention, vous êtes en train de vous trahir, vous ne considérez plus la finance comme un ennemi, vous cédez aux entrepreneurs pigeons etc.'

Je surtout l’impression que la gauche se débat avec elle-même : le gouvernement freine des quatre fers comme s’il disait 'on va le faire, mais il ne faut surtout pas le dire'. La gauche du gouvernement est persuadée qu’il faut en passer par là, mais refuse de prononcer les mots "rigueur" ou "austérité". Ce déni de réalité est tout à fait frappant. Je crois réellement qu’ils sont tous persuadés de la nécessité d’un choc de compétitivité, mais qu’ils ont peur qu’on les accuse de se trahir et d’adopter un discours de droite.

Le rapport Gallois sera rendu public le 5 novembre prochain. Ce rapport peut-il être appliqué sans déclencher une bronca au sein du PS ?

Jean-Marc Daniel : Il va inévitablement déclencher un tollé au sein du peuple de gauche, car il focalise tout sur le coût du travail. La gauche traditionnelle a raison de dire qu'au nom du travail, on crée un devoir de misère. Le véritable enjeu est de dire quel est le bon prix du travail, déterminé par la concurrence. Ce n'est donc pas le coût du travail, mais la rigidité sur le marché du travail. François Hollande avait d'ailleurs déclaré être en faveur de la flexisécurité lors de son passage au JT de 20 heures sur TF1.

Jean Peyrelevade: L'affrontement est inéluctable au sein de la gauche. Dès que le gouvernement va prendre la direction d'un vrai redressement de l'économie française, le clivage interne apparaîtra nécessairement. Problème : compte tenu de la manière dont les affaires ont été menées jusqu'à présent - en essayant de concilier les inconciliables - je pense qu'un changement de ligne et l'adoption du principe de réalité imposeront un changement de gouvernement.

André Bercoff : La vraie question est "vont-ils appliquer ou pas ce rapport ?" Hollande a dit qu’il ne fallait pas parler de "choc" mais de "pacte". On retrouve ici la stratégie qui consiste à dire 'pas d’affrontement, pas de mots qui fâchent' : toujours le consensus.  

La gauche parlementaire française est-elle ainsi condamnée à ne jamais être en phase avec les réalités économiques du XXIe siècle ?

Jean-Marc Daniel : C'est effectivement une malédiction française liée à plusieurs facteurs. Tout d'abord, cela est lié au poids qu'avait pris le Parti communiste sur l'échiquier politique à la Libération. Il avait un prestige lié à son rôle dans la Résistance, qui lui a permis d'imposer une sorte de dictature intellectuelle sur la production des programmes de gauche jusque dans les années 80. Il y a encore aujourd'hui le sentiment que l'extrême gauche est très présente dans les idées françaises. Cela crée une pression permanente sur la gauche socialiste.

Deuxièmement, Mendès-France a été trop honnête par rapport à Mitterrand, il a donc perdu la bataille idéologique à gauche. Le mendésisme n'a donc pas réussi à percer. Enfin, il y a un poids lié à la sociologie de la gauche française. Les partis qui se sont réformés sont ceux qui ont une vraie base ouvrière, comme en Allemagne ou en Grande-Bretagne. En France, la gauche représente surtout les membres de la fonction publique. Elle a donc une vision rentière des choses.

Jean Peyrelevade : Je pense que les racines de l'archaïsme français en matière économique sont très profondes et fermement ancrées dans notre culture ; cela a d'ailleurs des conséquences aussi bien à droite qu'à gauche. Un exemple : la Constitution française ne reconnaît à aucun moment la liberté d'entreprendre. L'économie de marché n'est reconnue nulle part explicitement, à la différence des Etats-Unis bien sûr, mais aussi de l'Allemagne. De mon point de vue, le travail des Français sur eux-mêmes nécessite une analyse historique approfondie des raisons pour lesquelles nous sommes si réticents à appliquer ce principe de réalité.

Donc la question n'est pas tant "est-ce que la gauche va changer ?" mais "est-ce que la France va changer ?" Le peuple français a-t-il conscience que les seules richesses marchandes qui sont produites, sont produites par des entreprises ? Je ne suis pas sûr que cet intitulé simple (et à mon avis irréfutable) ne soit pas considéré comme réactionnaire par une large partie de l'opinion publique française. Tant que cette pédagogie élémentaire ne sera pas faite, il n'y a aucune raison pour que les choses changent en profondeur.

La gauche veut ignorer le principe de réalité mais la droite n'est pas non plus à la hauteur de ses responsabilités. Dix ans de Jacques Chirac, cinq ans de Nicolas Sarkozy : qu'est-ce qui a été fait pour redresser l'appareil productif ? Rien, sauf le crédit impôt recherche. Une mesure en quinze ans !

André Bercoff : La gauche est complètement au fait de ce qui se passe mais elle n’arrive pas à se départir de son vocabulaire timoré et consensuel. Je crois qu’une grande partie de son électorat  serait prête à l’écouter, si seulement elle adoptait les bons mots pour dire les choses. La gauche connaît la réalité mais fuit les mots de la réalité, ce qui est encore plus grave.

Le FMI, l'Europe, les grands patrons, ainsi qu'une bonne partie de la droite et du centre, pressent de toutes parts le gouvernement d'engager des réformes audacieuses en vue du fameux "choc de compétitivité". La gauche ne risque-t-elle pas de se retrouver isolée politiquement si elle persiste dans ses hésitations ?

Jean-Marc Daniel : Dans le rapport Gallois, le terme "choc de compétitivité" est employé à tort et à travers. On ne retient donc que le fait de baisser le coût du travail. Or, l'économie n'a pas besoin de cela, mais plutôt davantage d'investissements. Le véritable enjeu pour la gauche est plutôt de raisonner en termes de croissance et de revenir au fait de favoriser les talents. Mais Hollande se heurte au fait qu'il est plutôt, dans son discours, "mendésiste", mais il ne trouve pas de véritable soutien, ni dans son parti, ni dans l'opposition. Personne ne veut accepter les réalités de l'économie moderne, prônées par le FMI et l'Europe, qui sont la concurrence, le talent et l'investissement. La gauche est donc dans une situation délicate car elle craint de heurter sa base sans être sûre de récolter le soutien de ses ennemis. Il n'y a pas de véritable bloc moderniste en France.

Jean Peyrelevade : Si elle ne bouge pas, la gauche risque en effet de se retrouver isolée. Mais l'échec de la gauche ne sera pas un progrès pour le pays. Le progrès de voir une ligne économique ferme et réaliste apparaître, à droite comme à gauche. De plus, se débarrasser de la gauche, changer de gouvernement et changer de politique ne se fera pas du jour au lendemain. Il faudra encore beaucoup de temps pour rétablir notre économie. Et nous n'avons pas ce temps.

André Bercoff : Le gouvernement pourrait se dire 'nous avons été élus sur un programme de gauche  et nous allons l’appliquer'. Ce qui impliquerait une hausse des dépenses, un protectionnisme économique etc. A mon avis, une telle politique irait droit dans le mur, mais elle aurait le mérite d’être cohérente. 

Mais le gouvernement peut aussi rester entre deux chaises comme c’est le cas actuellement en disant 'on peut donner ça, mais pas plus'. Ce qui est le plus étonnant c’est qu’ils vont appliquer la rigueur mais sans aller jusqu’au bout et on leur en tiendra, de toutes parts, énormément… rigueur.

Propos recueillis par Célia Coste

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