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Liste Lagarde et révélation des noms évadés fiscaux grecs : délation ou patriotisme économique ?
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Lynchage médiatique

Le journaliste Kostas Vaxevanis a été arrêté pour avoir livré à la vindicte publique les noms d'évadés fiscaux potentiels. Mais personne ne s'est plaint lorsque les Grecs ont été appelés à dénoncer les constructions illégales et les revenus cachés de leurs voisins.

Joëlle Dalègre

Joëlle Dalègre

Joëlle Dalègre est maître de conférences à l'INALCO, spécilisée en civilisation de la Grèce. Elle est notamment l'auteur de La Grèce inconnue d'aujourd'hui, de l'autre côté du miroir, l'Harmattan 2011, 252p. En collaboration avec 4 doctorants ou docteurs de la section grecque de l'INALCO.

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Depuis plus de deux ans les gouvernements grecs cherchent à réduire les déficits publics par une série de mesures impopulaires ; depuis juillet dernier, le gouvernement Samaras négocie pied à pied avec la Troïka de nouvelles économies de 13 milliards d'euros... réduire une indemnité, supprimer des prestations sociales, supprimer des emplois... le ministre de l'Économie souffre de surmenage et chaque jour des manifestants se retrouvent dans les rues d'Athènes. Mais un nouveau sujet occupe les médias depuis plus d'un mois : la liste Lagarde. De quoi s'agit-il ?

Pour lutter contre l'évasion fiscale – ou pour en avoir l'air -, en août 2010, la Grèce demande à la France de l'aider à obtenir une liste des Grecs qui ont des dépôts dans les banques suisses. Par l'intermédiaire d'un employé, la ministre de l'Économie, Mme Lagarde fournit à son homologue grec une liste de 1991 noms de déposants grecs à la HSBC. Là commence le feuilleton. Le CD/clé USB (les versions divergent) est transmis au directeur du SDOE (Service des Poursuites contre la Fraude Économique) qui déclare ne pouvoir utiliser une liste obtenue par des moyens illégaux ; ce même directeur dira par la suite que le ministre ne lui a transmis que 10 noms. Quant à la clé USB conservée au ministère de l'Économie, elle se perd, les trois ministres qui se sont succédé depuis 2010 assurent n'avoir jamais examiné son contenu (quelle curiosité !) et l'avoir égarée ! À la fin du mois d'octobre 2012, faute d'accord entre la Grèce et la Suisse, l'actuel ministre en poste demande même à la France une copie de la liste... Et voici soudain qu'un journaliste, Kostas Vaxevanis, publie, y compris sur le net où le document est accessible à tous (site HotDoc) la fameuse liste, qui comprend cette fois-ci 2059 noms. Immédiatement, le 28 octobre, pourtant jour de fête nationale, il est arrêté pour divulgation de données personnelles, laissé libre mais doit comparaître en flagrant délit le 1er novembre.

L'affaire de la liste depuis plus d'un mois provoque une foule de débats à plusieurs niveaux. Sur le simple plan concret : la liste publiée est-elle exacte alors qu'elle comprend le nom d'un ancien ministre mort en 2004 ? N'est-elle pas trop ancienne alors que depuis deux ans, des millions d'euros sont sortis de Grèce pour aller se réfugier un peu partout et souvent dans l'immobilier londonien ? N'expose-t-elle pas à la vindicte publique des dépôts effectués légalement et non répréhensibles, arguments que ne manquent pas de développer les 300 à 400 familles d'armateurs, d'hommes d'affaires et de grandes entreprises à l'activité mondiale qui y figurent ? Un second niveau concerne la déontologie : un journaliste peut-il ainsi donner en pâture au public les noms de personnes peut-être innocentes ? C'est ce qui valut à K. Vaxevanis son arrestation, mais personne n'a bougé quand on a appelé les Grecs à venir dénoncer des constructions illégales, les revenus cachés de leurs voisins, quand on a publié certaines déclarations fiscales truquées dans la presse ?

Plus grave est le tsunami politique déclenché par l'affaire : la perte peu crédible de la clé USB, l'inactivité des services en sa possession pendant près de deux ans, le fait que soit impliqué E. Venizélos, chef du PASOK, l'un des deux alliés d'Andonis Samaras, les déclarations contradictoires des ministres, les promesses d'enquête auxquelles personne ne croit... mettent en danger le gouvernement. Le DIMAR, troisième élément de la coalition, s'en prend violemment au PASOK, l'opposition - SYRIZA et parti communiste – ne laisse pas passer l'occasion. Catastrophique est l'effet dans l'opinion : le rejet des hommes politiques de tout bord et la conviction d'une complicité entre les riches et les politiciens pour faire payer les réformes aux classes moyennes ne font que s'accentuer. Le premier gagnant est le parti fasciste de l'Aube Dorée. Pour ce parti qui sait exploiter toutes les défaillances de l'État et se montre chaque jour plus agressif, cette liste disparue est une aubaine. Et là, ce qui est en question, ce n'est pas quelques millions d'impôts en plus, c'est la cohésion sociale et la démocratie grecque déjà en grand danger.

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