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Le quinquennat et les bouleversements des institutions ont-ils tué le Premier ministre ?
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Démocratie

L'élection du Président de la république au suffrage universel direct fête ses cinquante ans le 28 octobre. Malgré la distribution des rôles dans la Constitution, les relations entre le Président et son Premier ministre restent fortement dépendantes de la personnalité du chef de l'Etat.

Didier Maus

Didier Maus

Didier Maus est Président émérite de l’association française de droit constitutionnel et ancien maire de Samois-sur-Seine (2014-2020).

 

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Atlantico: Qu'est-ce qui a changé dans le rôle du Président de la République avec le suffrage universel direct ?

Didier Maus : Rien n’a vraiment changé pour le général de Gaulle. Tout a changé pour ses successeurs. En 1962 le général de Gaulle a été, de fait, confirmé par le référendum du 28 octobre et la victoire de l’UNR-UDT aux élections législatives de novembre. Il a exercé son pouvoir de la même manière avant et après le référendum, mais avec un horizon plus dégagé. La séquence de l’automne 1962 (renversement du gouvernent Pompidou, dissolution de l’Assemblée nationale, référendum, élections législatives, le tout en moins de deux mois) est la dernière étape de la crise politique et institutionnelle ouverte le 13 mai 1958. Raymond Aron a d’ailleurs considéré qu’il s’agissait de la deuxième naissance, la vraie, de la Ve République. Avant le référendum, il y  avait un risque de retour vers la IVe République, même avec la Constitution de 1958 ; après il y a une confirmation de l’adhésion des Français au nouvel équilibre des pouvoirs.

Il n’en demeure pas moins que c’est à cause du changement de mode d’élection du Président de la République que le général de Gaulle a été mis en ballotage en décembre 1965, qu’il a été obligé de faire campagne au second tour contre François Mitterrand et que, même s’il a gagné, il n’est plus « au-dessus » des partis. Le parcours ultérieur de François Mitterrand (le Programme commun de la gauche de 1972, sa victoire en 1981) découle directement de sa position de chef de l’opposition, née de ses 44,5% le 19 décembre 1965.

L’élection du Président de la République au suffrage universel direct a profondément transformé non seulement le statut du Président, mais a bouleversé la vie politique française. Elle est devenue l’élection centrale, reléguant, sauf périodes de cohabitation, les élections législatives au second rang. Désormais le Président de la République est obligé de tirer la logique de son extraordinaire légitimité démocratique. Il ne peut plus se mettre en retrait. Son dialogue avec les Françaises et les Français constitue nécessairement le socle de son programme et engage sa responsabilité s’il se représente à l’élection suivante. Les défaites de Valéry Giscard d’Estaing en 1981 et de Nicolas Sarkozy en 2012 répondent à cette logique.

L'équilibre des pouvoirs entre le Président et le Premier ministre a-t-il été bouleversé suite à l'adoption du quinquennat ?

La modification essentielle est la coïncidence des calendriers. Le Président de la République, la majorité de l’Assemblée nationale et le Gouvernement ont désormais le même horizon. La disparition, pour l’instant, des élections politiques intermédiaires aligne la durée de l’exercice du pouvoir en France sur la moyenne des autres pays européens. Il est évident que si le Président de la République envisage de se représenter, il est obligé de « diriger » l’action du Premier ministre et du Gouvernement. Il leur appartient, ensuite, d’aménager leurs relations en fonction des circonstances et, surtout, de leurs tempéraments. Le Premier ministre demeure responsable devant l’Assemblée nationale, c’est-à-dire en fait de devant sa majorité.

Il sera intéressant, un jour, après 2017 peut-être, de voir comment fonctionne la relation Président/Premier ministre lors du second mandat du Président, puisqu’il sera dans l’impossibilité de se représenter et que le Premier ministre aura une tendance naturelle à se considérer come un candidat potentiel.

On a beaucoup parlé de "l'hyperprésidence" de Nicolas Sarkozy. Était ce du à sa personnalité ou au fonctionnement des institutions?

 Il y a nécessairement conjugaison entre le statut constitutionnel et la personnalité. Il est incontestable que Nicolas Sarkozy s’est comporté en véritable chef de gouvernement et de majorité. Il a poussé le plus loin possible l’emprise du Président de la République sur le système de décision, au risque, parfois, d’aller vraiment trop vite et trop loin. A partir du moment où la majorité de l’Assemblée nationale est obligée (à tort ou à raison) d’être disciplinée autour du Président et que l’existence du Gouvernement, à la fois dans son être collectif et dans les situations individuelles, dépend totalement du Président de la République, il y a une situation de fait qui dépasse les mécanismes constitutionels. 

Les difficultés actuelles du gouvernement de François Hollande et Jean-Marc Ayrault (baisse de popularité, couacs) peuvent-elles s'expliquer par une ambiguïté dans la distribution pouvoirs?

Non. Je crois que les difficultés d’aujourd’hui, réelles, proviennent avant tout d’un  fonctionnement encore mal organisé du processus de décision interne au trio Président/Gouvernement/Majorité. Il y a des différences fondamentales entre la manière dont l’autorité s’exerce dans un parti politique, surtout dans l’opposition, et la manière dont fonctionne l’État. Il est indispensable que le Président bénéficie d’une autorité non seulement constitutionnelle, mais également naturelle à l’égard du Gouvernement, de la majorité et des partis de la majorité. Lorsqu’il est devenu Président de la République en 1981 François Mitterrand était le chef incontesté de l’Union de la gauche. Il savait incarner le pouvoir à l’égard de sa majorité et, le cas échéant, faire preuve d’autorité, par exemple en 1983/1984, avec les changements de gouvernement et le départ des ministres communistes.

Soit il faut que les décisions essentielles soient véritablement prises par le Président, soit que celles du Premier ministre bénéficient automatiquement du soutien du Président. 

Avec le Comité Balladur, Nicolas Sarkozy avait entamé une réforme des institutions, faut-il aller jusqu'au bout et adopter un régime présidentiel à l'américaine?

J’ai toujours considéré que le régime présidentiel « à l’américaine », qui n’existe dans aucun pays de l’Union européenne, est impossible en France. Il y a une différence fondamentale entre la France et les États-Unis : le fédéralisme. Les États-Unis sont une fédération de 50 entités (les Etats) qui ont délégué une partie de leurs compétences (le moins possible) aux institutions centrales, Président, Congrès et Cour suprême. La réalité du pouvoir politique (fiscalité, droit civil, droit pénal,  services sociaux,…) quotidien se trouve dans les états. Il y a aux États-Unis une crainte maladive d’un trop grand pouvoir central.

L’histoire de la France est totalement différente. Elle s’est faite autour d’un pouvoir central fort, même parfois très fort. On voit bien que même les plus ardents partisans de la décentralisation veulent mettre en place des mécanismes nationaux de solidarité. Dans ces conditions le régime présidentiel, qui est plus faible que l’on le croit, n’est pas l’idéal de la République. Il serait bien préférable de se demander comment évoluer vers un régime parlementaire stable et efficace. C’est impossible, en France, avec l’élection du Président de la République au suffrage universel direct.

Propos recueillis par Alexandre Devecchio et Ann-Laure Bourgeois

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