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Non, ce que fait la gauche au pouvoir n'a rien à voir avec une réforme fiscale
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Tour de vis fiscal

Le terme de "réforme fiscale" n'a jamais été autant utilisé par le gouvernement actuel. Et jamais il n’a été autant galvaudé.

Frédéric Tristram

Frédéric Tristram

Frédéric Tristram est historien et spécialiste de la politique fiscale en France.

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La réforme, pour être véritable, suppose une transformation importante de la législation fiscale portant sur un ensemble assez large de dispositions. Elle exige la mise en œuvre d’un principe nouveau : la progressivité, par exemple, avec création de l’impôt sur le revenu en 1914 ou la neutralité avec l’adoption de la TVA en 1954. Elle doit enfin avoir des effets budgétaires considérables, de l’ordre de quelques dizaines de milliards d’euros, qu’ils soient d’ailleurs immédiats ou différés dans le temps. Aucune des mesures votées l’été dernier ou inscrites dans le projet de loi de finances pour 2013 ne répond à ces critères.

Ce à quoi on assiste aujourd’hui est en réalité un très classique tour de vis fiscal, sur le modèle de ceux réalisés en août et novembre 2011 le gouvernement de François Fillon. Mais confronté à une situation budgétaire il est vrai de plus en plus tendue et refusant pour des raisons idéologiques de tailler nettement dans les dépenses, le nouveau pouvoir doit désormais faire feu de tout bois et tirer le maximum du système en vigueur. Il mobilise pour cela une multitude de recettes de poches, élève le taux des impôts existant ou traque dans les moindres recoins des éléments mineurs ayant jusqu’ici échappé à l’attention du fisc. Cette quête éperdue fait ressortir des tiroirs toute une série de propositions battues et rebattues, comme l’assujettissement à la redevance des résidences secondaires, encore évoquée cette semaine, ou l’inclusion des oeuvres d’art à l’ISF, votée en commission des finances le 10 octobre dernier. Elle créée un climat de pression et d’improvisation susceptible à tout moment de dégénérer en mouvement de franche contestation, comme l’épisode rocambolesques des patrons « pigeons » l’a bien montré.

Ce constat n’est pas rassurant. La réforme fiscale serait donc impossible ? Non, mais pour être menée à bien, elle doit respecter un certain nombre de règles qu’il n’est pas inutile de rappeler.

Première règle : la réforme fiscale prend du temps. Elle est par nature progressive. Voté en 1914, l’impôt sur le revenu n’a trouvé son point d’équilibre qu’au début des années 1930. D’abord limitée, en 1954, au secteur industriel, la TVA a été étendue à presque toutes les activités de commerce et de service au terme d’un processus qui a mis plus de 20 ans. Plus près de nous, la CSG a été établie en 1990 avec un taux très faible (1,1%) et un rendement de 4,5 milliards de francs. Elle rapporte aujourd’hui plus de 80 milliards d’euros. Certes, François Hollande nous avait annoncé, durant la campagne présidentielle, une oeuvre au long court : la fusion de la CSG et de l’IR, sans jamais d’ailleurs en préciser le contenu ou les modalités pratiques. Les rumeurs incessantes concernant la prochaine hausse de la CSG sont-elles le prélude à une telle réalisation ? Va-t-on dans ce cas vers une progressivité de la CSG, ce qui serait conforme à l’objectif annoncé d’un grand impôt sur le revenu et pourrait se justifier par le taux élevé de la taxe (7,5%) frappant les très bas salaires. Mais alors, pourquoi ne pas l’annoncer clairement et fixer un cap ?

La seconde règle, c’est qu’il est toujours plus difficile de réformer en temps de crise. On peut même considérer que la transformation du système d’imposition et la recherche de nouvelles recettes sont deux objectifs totalement contradictoires. Pour une raison simple : la réforme fiscale se traduit toujours par un transfert de charges. Au terme du processus, certains y auront gagné et d’autres perdus. Or, l’opinion publique supporte très mal ce phénomène. L’Etat a donc pris l’habitude de le compenser en acceptant, dans un premier temps au moins, une baisse de ses recettes. Ce n’est que plus tard, une fois le nouvel impôt monté en charge, que des gains éventuels peuvent apparaître. A l’inverse, l’Etat, quand il a vraiment besoin d’argent, court au plus pressé et augmente la fiscalité existante, avec le risque parfois - c’est ce qui se produit en ce moment - de provoquer une surchauffe.

La réforme est donc très rare en période de pression budgétaire ou de faible croissance. C’est pourtant bien dans ce contexte tendu qu’a eu lieu la dernière véritable transformation du système fiscal français et elle doit être mise au crédit du gouvernement de François Fillon. En 2009 en effet, la fiscalité locale des entreprises a été radicalement modifiée : une nouvelle contribution pesant sur la valeur ajoutée a été introduite, conduisant à une meilleure répartition des charges et un allégement sensible des montants prélevés. A l’époque, la réforme avait été fortement contestée, à gauche, mais aussi à droite, certains élus criant à la paupérisation des collectivités locales et à leur perte d’indépendance financière. Aujourd’hui, elle est totalement entrée dans les moeurs et il n’est plus question d’y toucher. Peu connue du grand public, totalement éludée durant la campagne présidentielle, peu ou pas revendiquée par ceux-là mêmes qui l’avaient décidée, elle restera certainement une date importante dans l’histoire fiscale du pays.

Dernière règle : il faut parer au plus pressé et se concentrer sur ce qui va le plus mal. Or, c’est la fiscalité locale sur les personnes et la fiscalité du capital qui, sans conteste, conjuguent le plus imperfections techniques, d’effets anti-économiques et d’injustices sociales. Dans le passé, des personnalités socialistes s’étaient prononcées en faveur d’une taxe locale sur le revenu qui aurait remplacé une taxe d’habitation en comas dépassé. Ces bonnes idées ont malheureusement disparu dans l’ivresse du pouvoir et le fait que de nombreuses collectivités soient désormais dirigées par gauche n’y est certainement pas pour rien. Concernant l’ISF, le gouvernement de Jean-Marc Ayrault s’est contenté de revenir, dans un réflexe d’antisarkozysme pavlovien, sur la modification du barème introduite par son prédécesseur en 2010. Ce faisant, non seulement il n’a pas réglé les deux principaux défauts de ce très mauvais impôt (une assiette beaucoup trop étroite où les biens fonciers sont surreprésentés et une échelle de taux beaucoup trop élevée) mais il les a même aggravés.

Reste une disposition inscrite dans le projet de loi de finances pour 2013 qui, si elle était votée, pourrait constituer une véritable réforme fiscale. Il s’agit de l’intégration dans le barème de l’IR des revenus du capital. Sur le fond, rien ne s’oppose à ce principe et on chercherait en vain des raisons qui justifieraient une discrimination au profit des revenus de l’épargne. Il est même assez cocasse de voir un gouvernement socialiste mettre en oeuvre le vieux principe libéral de neutralité : « à revenus égal, impôt égal ». Le problème, c’est que cette mesure n’est possible qu’avec des taux de taxation modérés. Sinon, les capitaux circulant désormais librement, elle provoque une évasion massive. Et c’est bien là que le bas blesse. Car la mesure va à l’encontre de la hausse à 45% du taux marginal, à laquelle s’ajoute un prélèvement social, lui aussi en hausse à 15,5%. Et que dire de la taxe à 75%, qui limité aux revenus d’activité réintroduit la discrimination contre laquelle le gouvernement socialiste prétend lutter ?

On peut donc terminer cette chronique par un pari pas trop risqué : mal préparée, cette égale taxation des revenus du capital et du travail ne passera pas le cap de la discussion budgétaire ou, si tel devait être le cas, une série de dispositions techniques viendra, au cours de l’années 2013, la vider de son contenu. A l’image de la récente volte face du gouvernement sur les plus values de cession.

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