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Retour au Moyen-âge : la Salafisation du Nord-Mali mène-t-elle à un nouvel Afghanistan ?
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De Kaboul à Bamako

Un leader Jihadiste du Nord-Mali a menacé la vie des otages français qu'il retient mais aussi celle du président de la République, François Hollande. Otages, groupes armés retranchés, partition du pays, le Mali est-il devenu l’Afghanistan d'Afrique ?

André  Bourgeot

André Bourgeot

Professeur et directeur de recherche émérite à l'EHESS, chercheur au CNRS, André Bourgeot est un spécialiste de l'Afrique où il a fait la majeure partie de sa carrière.

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Atlantico : Le leader jihadiste Oumar Ould Hamaha, membre du MUJAO (Mouvement pour l’unicité et le Jihad en Afrique de l’Ouest) a déclaré que François Hollande menaçait la vie des otages français en soutenant une opération d’intervention contre les forces jihadistes dans le Nord-Mali. Ambitieux ou provocateur, l’homme a aussi menacé le président Hollande lui-même. Bien que ces déclarations paraissent surréalistes, qu’en est-il réellement des forces jihadistes dans le nord du Mali ?

André Bourgeot : Ce genre de propos excessifs fait parti des menaces et du chantage habituels dans de tels contextes de tensions politico-militaires. A chaque nouvelle déclaration d’un dirigeant qui va dans le sens d’une opération d’éradication des forces jihadistes, les réponses sont toujours très virulentes afin de ce donner une sorte de crédibilité politique. En réalité, cette déclaration a surtout pour but un objectif régional car le MUJAO est actuellement en alliance avec un émir local, Mokhtar Ben Mokhtar qui a été mis sur la touche dans le cadre d’une relation de compétition de leadership entre l’émir Abou Zeid et lui. Ce dernier ayant perdu l’avantage dernièrement, le MUJAO a tout intérêt à s’affirmer politiquement et médiatiquement afin de reprendre le contrôle par la menace et le chantage en faisant une petite démonstration de force. Quant à leurs forces réelles c’est très complexe à évaluer, selon les chiffres on entend parlé de 100 ou 200 hommes jusqu’à 2000 combattants (lourdement armés grâce au pillage des stocks lybiens, ndlr). Sans pouvoir parler d’une armée, il ne s’agit pas non plus d’une petite bande de pillards. Ils n’ont cependant pas du tout la capacité de tenir un pays grand comme le Mali avec leurs forces actuelles, loin de là.

Ce mouvement séparatiste et la prise de contrôle du Nord-Mali par les intégristes musulmans a souvent donné lieu à une comparaison avec l’Afghanistan. Le leader jihadiste disait lui-même que le MUJAO allait créer un nouvel Afghanistan, une nouvelle Somalie.

L’analogie entre l’Afghanistan et le Mali n’est pas si évidente car il est tout à fait impossible de comparer les régimes politiques de ces pays. L'organisation politique et territoriale du Mali n’a rien de commun avec les Pachtounes et Talibans. La seconde chose, c’est le rapport à l’Islam. Dans la région Saharo Sahélienne, l’Islam en place était un Islam sunnite modéré qui n’avait pas de prévalence à la violence et à l’extrémisme comme cela pouvait être le cas en Afghanistan qui un pays habitué à une vision de la religion plus extrême. Cela dit, on ne peut pas parler de somalisation ou d’islamisation rampante de la région Saharo Sahélienne car il s’agit d’une zone déjà majoritairement musulmane, on parle plutôt de salafisation. De plus, le Mali a connu ces dernières années une stabilité politique relative.

Quant à la topographie du terrain, le Nord Mali n’est pas le Djebel mais il ne faut pas omettre cependant que AQMI est sanctuarisé dans une zone qui comprend de nombreux reliefs, des grottes, de nombreux endroits où se cacher pour mener une résistance, c’est une région volcanique dont l’accès est très difficile. Cependant, le réel problème est qu’avant d’atteindre ces zones là, pour déployer une force militaire, il faut traverser les villes de Tombouctou, de Kidal et de Gao qui sont aux mains des jihadistes. Il faudra donc commencer par cela pour ensuite accéder ensuite aux poches de résistances les plus dures. Ces groupes n’ont probablement pas une puissance comparable avec celles des Talibans Afghans, mais il y a un véritable risque d’enlisement militaire dans cette région. Une intervention comme celle-ci implique presque toujours des bavures qui laissent des marques et peuvent provoquer l’activation de liens de solidarité politico-religieux. Il est donc très probable qu’un grand nombre d’éléments de la secte intégriste Boko Haram (L’éducation occidentale est péché, ndlr) rejoignent le Nord Mali mais aussi des jihadistes libyens et tunisiens ce qui pourrait provoquer une contamination du conflit à toute la sous-région. Il existe aussi la solidarité  ethnique qui pourrait pousser beaucoup de jeunes touaregs nigériens à rejoindre le combat car il existe dans la jeune génération un véritable désœuvrement alors que la génération précédente est aujourd’hui associée aux appareils d’Etat. N’oublions pas que le MNLA est fait de Touaregs mais ils sont également présent au sein d’Ansar Dine.

L’exemple de la partition malienne est-elle le symbole de l’échec de l’État Nation en Afrique ?

Je ne crois pas que l’on puisse totalement lui imputer l’état actuel du Mali mais il est clair que la façon dont il a été mis en place ne correspondait pas aux réalités de ce pays particulièrement vis à vis du concept de nation. Parce que concrètement où est la nation malienne au milieu d’une telle diversité ethnique de la population ? Elle n’existe pas. Cependant, le problème de fond reste malgré tout l’intervention du MNLA dans le nord du pays. En prenant toutes les villes majeures de la région, Tombouctou, Gao et Kidal avec l'aide de groupes djihadistes tels que Ansar Eddin et des éléments d'AQMI, puis en proclamant l’indépendance de l’Etat de l’Azawad, le groupe a ouvert la porte à l’arrivée de groupes musulmans intégristes. Le président du comité de transition de l’Azawad, Bilal Ag Cherif, a reconnu lui-même dans Jeune Afrique que les attaques avaient été menées en coopération avec AQMI. L’Etat Nation n’est donc pas responsable de l’éclatement du Mali, c’est la politique malienne vis à vis du nord depuis 2003 qui a été scandaleuse et qui a laissé la place à tout cela. C’était devenu une zone de non-droit complet, propice à tous les trafics et toutes les illégalités. Si jamais, le Mali se relève de cette crise séparatiste et religieuse, il lui faudra des années, probablement au moins 10, pour s’en remettre. Il est probable que le grand Mali multiculturel que nous avons connu jusqu’en 2011 ne retrouvera jamais sa forme passée.

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