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Marseillais, vous me fendez le cœur !
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Zone franche

Si Marseille, la ville de tous les potentiels, est aussi la ville de tous les échecs, c'est la faute des Marseillais.

Hugues Serraf

Hugues Serraf

Hugues Serraf est écrivain et journaliste. Son dernier roman : La vie, au fond, Intervalles, 2022

 

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Je viens de lire un excellent papier du correspondant à Marseille des Echos, Paul Molga, et j’ai l’étrange impression que quelqu’un est entré dans ma tête pour y piquer mon point de vue sur la ville où j’ai grandi. Sur ma ville. Surtout à l'heure où les commandos marine doivent intervenir pour débloquer un port bouclé par une poignée de jusqu'au-boutistes de la SNCM...

Bah, c’est aussi la preuve que je ne suis pas tout seul à constater, pour m’en affliger, que l’ex-deuxième ville de France (il y a belle lurette que Lyon l’a larguée) est définitivement au bout du rouleau même si ça ne me console pas beaucoup.

Vous les Nantais, les Strasbourgeois, les Toulousains, les ―  argh ! ― Parisiens, à quoi pensez-vous lorsque l’on vous parle du Vieux-Port et de la Canebière ? A l’incroyable vitalité d’un grand port méditerranéen où se côtoient les cultures du monde entier ? A une Barcelone française vibrante et un peu folle où se construit le futur ? Tu parles ! Des quais lock-outés par des dockers en grève, des supporters de l’OM en colère, des poubelles qui jonchent le sol, des politiques inquiétés dans des affaires de fraude aux marchés publics… ce sont plus sûrement les images qui s’imposent à vous au petit jeu des associations d’idées.

Figurez-vous que, fierté chauvine ou pas, c’est exactement ce qui macère dans le teston de la plupart des Phocéens même s’ils préfèreraient épouser une Aixoise plutôt que de l’avouer. Non, la seule différence entre vous et eux (vous et moi ?), c’est que c’est de leur faute, cette tragédie. Hé oui, pas la peine de tourner autour du pot : si Marseille est dans les trente-sixièmes dessous, ce n’est pas qu'un ennemi extérieur est venu en bloquer le développement par méchanceté gratuite, mais bien que les Marseillais ont abdiqué toute ambition.

Mais pourquoi donc ? Et quel est donc ce mal mystérieux qui rongerait les 800 000 habitants de cette cité presque trois fois millénaire, blessant leurs ventricules d'une langueur monotone ? Découvrira-t-on bientôt qu’il existe un virus du masochisme et qu’il se promène librement entre l’Estaque et la Madrague ?

Du grand port mondial à la baignoire marginale

Je ne suis pas épidémiologiste mais je parie pour cette dernière hypothèse. Toute autre raison relèverait d'ailleurs de l’irrationnel : une ville posée dans un cadre magnifique, dotée d’un climat idéal, d’un port d’envergure mondiale (au moins théoriquement), d’un aéroport international, de trois autoroutes, d’un foncier abondant et bon marché, d’une main d’œuvre qualifiée et disponible, d’un réseau universitaire de niveau international, d'un pôle de recherche scientifique hors pair et des poches profondes d’un État finançant n'importe quel projet à l'aveugle, soit elle joue les Shanghai, soit elle bat tous les records de chômage mais a besoin d’un bon psy...

Il y a vingt ans, le port de Marseille était le deuxième d’Europe et figurait au top 10 mondial. Désormais, c’est une baignoire marginale qui ne survit que parce qu’il serait trop compliqué de déménager les raffineries pétrolières de Fos vers Rotterdam ou Anvers. Il y a vingt ans, on se gargarisait de la vitalité de sa vie culturelle un peu « foutraque », pour reprendre le mot à la mode chez les critiques de théâtre. Aujourd’hui, son opéra est un taudis dont les encorbellements sont retenus par des filets de protection et « comédien », en provençal, ça veut surtout dire « type qui connaît quelqu’un qui peut lui fabriquer des fausses fiches de paye pour rester intermittent du spectacle » .

Inutile de dire qu’à Marseille, il y a beaucoup de comédiens. Plus que dans n’importe quelle autre ville de France, dit-on (déjà 7% des intermittents français sont installés dans la région, mais les données sont malheureusement confidentielles pour la seule agglomération marseillaise).

« On pensait que c'était San Francisco, mais c'était Naples... »

Le papier du confrère des Echos le rappelle, ils sont nombreux ces « estrangers » venus du Nord ― ces pubeux, ces architectes,  ces génies du Web… ― qui, croyant débarquer en Californie, se sont réveillés à Naples et repartent la queue basse vers leur grisaille natale. Là où les gens sont à l’heure aux rendez-vous, vous rappellent au téléphone, prennent des initiatives, créent des boîtes, fabriquent, achètent et vendent des trucs…

Woody Allen disait qu’écouter du Wagner, ça lui donnait envie d’envahir la Pologne. Moi, de « descendre » à Marseille, ça me donne aussi des fantasmes de dictateur, des envies de suspension momentanée de la démocratie le temps de remettre la ville sur les rails. Encore que : pour suspendre la démocratie à Marseille, il faudrait commencer par instaurer quelque chose qui y ressemble. Et si j’en crois Arnaud Montebourg, qui veut mettre le PS du cru sous tutelle, ça n’est pas gagné. Il pourrait en profiter pour mettre l’UMP locale, voire toutes les autres formations politiques, FN en tête, au même régime, que ça ne serait pas du luxe.

Il n'est d’ailleurs pas là, le fond du problème. Pas dans le « tous pourris » lepéno-mélenchonniste qui renvoie la responsabilité du marasme à une clique de politiques ne faisant pas « ce qu’il faut », mais bien chez ceux qui encouragent le clientélisme tribal parce qu'il sert leurs intérêts à court-terme : les Marseillais eux mêmes.

Marseille ne se réveillera pas le jour où un James Stewart débarrassé des réflexes locaux se sera installé dans le bureau de GastonGaudin (même si ça ne pourrait certainement pas faire de mal). Marseille se réveillera lorsque les Marseillais se souviendront que le port de la grande époque, les savonneries, les huileries, les compagnies maritimes de légende, la réparation navale et même l’Alcazar, ce n’était pas des fonctionnaires municipaux qui s’en occupaient.

Mais ce n’est pas demain la veille et dans l’intervalle, Marseille, tu me fends le cœur.

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