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La crise pourrait bien durer encore plusieurs années.
La crise pourrait bien durer encore plusieurs années.
©Reuters

Combien de temps ?

La Commission européenne a publié ses nouvelles prévisions de croissance et estime que l'Europe ne devrait pas sortir de la crise en 2013. La crise pourrait-elle durer plusieurs décennies ?

Augustin Landier  et Agnès Bénassy-Quéré

Augustin Landier et Agnès Bénassy-Quéré


Augustin Landier est économiste. Il enseigne à la Toulouse School of Economics.

Il est normalien en mathématiques et a obtenu un doctorat en économie au MIT (Massachusetts Institute of Technology) en 2002.

 

Agnès Bénassy Quéré est professeure à l'Ecole d'économie de Paris et présidente-déléguée du Conseil d’analyse économique.

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Dans une note publiée en août 2012, "La crise de la zone euro peut durer 20 ans", Patrick Artus, le directeur de la recherche économique chez Natixis, estime que la crise qui secoue la zone euro "ne sera pas résolue rapidement". Selon lui, les priorités sont la création des emplois détruits lors de la crise, la réduction des déficits ou encore la réalisation d'un pas significatif vers le fédéralisme.

La zone euro semble pourtant se stabiliser et les taux d'intérêts se détendre entre les économies du Nord de l'Europe et celles du Sud suite aux annonces de Mario Draghi dans lesquelles il s'est engagé à acheter des dettes souveraines sur le marché secondaire de façon "illimitée". Dans une interview accordée au Figaro au début du mois d'octobre, Christine Lagarde, la présidente du Fonds monétaire international, estime même qu'elle ne croit plus à un "éclatement de la zone euro", un scénario qui inquiétait les marchés il y a quelques mois encore. Mais si ces derniers semblent désormais rassurés quant à l'avenir de la monnaie unique, la publication des indices PMI - qui révèlent les niveaux de production des manufactures industrielles -  en octobre, fait état du plus bas niveau d'activité pour le secteur privé depuis juin 2009 en zone euro. Alors que la Commission européenne ne prévoit pas de sortie de crise en 2013 selon ses nouvelles prévisions publiées cette semaine, Olli Rehn, le Commissaire européen aux Affaires économiques et monétaires, a estimé que "l'Europe traverse une période difficile de rééquilibrage macroéconomique qui va encore durer un certain temps".

Atlantico : Dans une interview accordée au journal Le Figaro, Christine Lagarde, la présidente du Fonds monétaire international, a estimé qu'elle ne croyait plus à un "éclatement de la zone euro". La crise est pourtant loin d'être résolue. Peut-elle se maintenir et durer encore longtemps ?

Augustin Landier : Il reste beaucoup d'incertitudes quant à la trajectoire qui permettra à la zone euro de sortir de la crise. Mais une vision se dessine - notamment celle d'une union bancaire - et permet à la situation d'être plus encourageante qu'il y a un an. Le fédéralisme bancaire représente une solution à un problème structurel initial de la zone euro selon lequel la faillite d'une grande institution financière peut menacer les dettes souveraines.

Par ailleurs, nous nous orientons vers un régime où les défauts souverains eux-mêmes devront être concevables au sein de la zone euro et où, de facto, les Etats n'emprunteront plus aux mêmes taux comme ce fut le cas avant la crise. Il y a donc des raisons d'être plus optimiste quant à la possibilité de maintenir la zone euro dans ses frontières actuelles ou similaires aux frontières actuelles, c'est à dire sans exclure d’autre pays que la Grèce. La question d'une sortie de la Grèce se pose mais n’est plus une menace pour l’Europe. Cela dit, la zone euro va devoir faire face à une deuxième décélération économique, l'Allemagne elle-même entrant dans cette phase. Dès lors, les choses peuvent prendre une mauvaise tournure sur le plan politique, notamment dans les pays du Sud où les mesures d'austérités sont très difficiles pour la population.

Agnès Bénassy-Quéré : Christine Lagarde a voulu souligner que des efforts décisifs ont été faits en direction d'une résolution de la crise. Le Traité budgétaire européen, les nouvelles intentions de la BCE de racheter des dettes souveraines sur le marché secondaire, et le projet d'union bancaire sont des pierres extrêmement importantes en faveur d'une résolution de crise. Mais au delà des volontés, les incertitudes restent nombreuses en ce qui concerne la réalisation de ces nouvelles mesures. Par exemple, des désaccords persistent encore sur l'union bancaire que ce soit sur le périmètre de la surveillance bancaire ou encore sur l'introduction, ou non, d'une assurance des dépôts. Les montants en jeu sont colossaux.

Il est impossible de se prononcer sur la durée de la crise car, au delà d'une crise économique, il y a des arrangements institutionnels qui requièrent du temps pour se concrétiser. Jusqu'à présent les deux ont coïncidé. Mais nous ne pouvons exclure un reprise économique qui s'exercerait en amont des refondations institutionnelles de la zone euro, ou l'inverse. La stratégie adoptée, qui repose sur un ajustement budgétaire et une dévaluation interne, c'est-à-dire une baisse des prix dans les pays périphériques, est assez risquée car lorsque les prix baissent, les ratios d'endettement ont du mal à diminuer. Une grande incertitude continue de se manifester sur la réussite de la stratégie de sortie de crise actuellement débattue par les européens.

Quel bilan peut être tiré de la gestion de la crise ? Quelles sont les nouvelles priorités pour sortir au plus vite de celle-ci ?

Augustin Landier : Les banques sont encore sous perfusion de la Banque centrale via des taux très bas et divers programmes de liquidité. En ce sens, le système bancaire s'est stabilisé mais n’a pas achevé son "deleveraging" et reste comateux, ce qui est un frein à la croissance. La Banque centrale européenne, qui est la seule institution européenne à jouir d'une forte crédibilité, s’est mise à jouer un rôle plus actif en rachetant massivement des dettes souveraines. Elle a accepté de remettre en cause son orthodoxie traditionnelle sous condition que des pays comme la France se montrent crédibles et rigides, d'où l'enjeu très symboliques des 3% de déficit. A terme, la BCE organisera sans doute des restructurations des dettes du Sud en allongeant les maturités.

Cette dynamique impulsée par la BCE, est une sorte d’échange qui incite les Etats à adopter des réformes structurelles et devrait se poursuivre. Ainsi, il est évident qu'à l'horizon d'un an, le gouvernement français devra s'engager sur des réformes structurelles. L'adoption du Traité budgétaire européen et du budget 2013 vont dans ce sens et permettront que l'institution de Francfort continue de jouer un rôle de prêteur en dernier ressort, une position refusée initialement par les Allemands.

Cette stratégie de résolution de la crise va prendre du temps, au moins cinq ans, et elle pénalise les jeunes qui vont devoir traverser une période de chômage de masse. L'Europe est actuellement dans une dialectique intergénérationnelle : on a choisi une bonne stratégie de sortie de crise du point de vue d’un européen à la retraite (qui a intérêt à se battre contre l’inflation) mais elle est désastreuse du point de vue d'un jeune chômeur espagnol par exemple.

Agnès Bénassy-Quéré : A l'heure actuelle, aucun problème n'a été entièrement résolu puisqu'il s'agit d'une crise multiforme. Quatre axes la caractérisent : une crise des dettes souveraines (encore non résolue du fait des situations en Grèce ou en Espagne), une crise bancaire (pour laquelle les principes généraux ont été posés mais attendent de rentrer en application) , un axe de manque de compétitivité et un axe de gouvernance. Cependant, le point positif est qu'une stratégie cohérente d'ensemble commence à se mettre en place.

Enfin, il faut adopter une politique budgétaire coordonnée afin que les pays périphériques puissent s'assurer une demande dans un contexte où la croissance des pays du Nord, l'Allemagne et la France notamment, commence à ralentir.

Dans ce contexte, la zone euro semble se stabiliser depuis quelques semaines. N'y a-t-il pas alors un risque de stagnation qui pourrait perdurer encore plusieurs années ?

Augustin Landier : Le risque de stagnation existe. A vrai dire un scénario de croissance faible est même le plus probable. Beaucoup d'économistes estiment que les taux de croissance de long terme ne seront pas élevés. C'est justement pour cette raison que nous ne sommes pas encore certains d'être sortis de la crise. Beaucoup de systèmes de retraite auront du mal à résister à ces faibles taux de croissance économique, que ce soit en France ou ailleurs en Europe : tout va devoir être renégocié, et cela va prendre du temps.

Contrairement à ce que l'on dit souvent, ce qui maintient la zone euro, c’est moins l’économie que la politique :  il y a une grande crainte des classes moyennes des pays périphériques quant aux conséquences politiques internes que pourrait provoquer une sortie de leur pays de la zone euro. C’est à première vue assez surprenant que ces classes moyennes soient prêtes à traverser 5 années de chômage très élevé pour rester au sein de la zone euro. Mais certains Etats du Sud n’ont pas une expérience suffisamment longue de la démocratie pour se permettre de sortir. Quant aux Allemands, ils ne veulent pas endosser la responsabilité historique d’une dislocation.

Agnès Bénassy-Quéré : Effectivement, il y a un risque de stagnation prolongée à la "japonaise". Au début des années 1990, une bulle immobilière éclate au Japon, s'ensuit une récession, une baisse des prix et des banques qui sont restées sous-capitalisées pendant trop longtemps. Cela les a empêché de transmettre une politique monétaire pourtant très accommodante (ndlr : en faveur de la croissance). C'est ce que l'on appelle "la décennie perdue".

Les emplois détruits pourront-ils être rapidement recréés à l'issue de la crise ?

Augustin LandierLa stratégie actuelle consiste à faire baisser les salaires pour retrouver de la compétitivité, ce qui passera par une phase assez longue de chômage élevé. Une situation déjà installée en Espagne et qui risque de toucher la France. Une génération entière de jeunes risque d'être durablement touchée. La mauvaise intégration sur le marché du travail a des effets permanents sur une carrière.

Nous ne pourrons considérer que nous sommes sortis de la crise que lorsque les taux de chômage auront redescendu.

Agnès Bénassy-Quéré : Après une crise financière, nous observons généralement un sentier de croissance post-crise ni plus ni moins rapide qu'avant la crise. Elle ne génère donc pas nécessairement une très forte croissance à son issue.

En termes d'emplois, des gains de productivité s'opèrent à l'issu d'une crise et se sont les entreprises les plus productives - celles qui créent moins d'emplois en moyenne - qui repartent les premières. Ainsi, le secteur automobile, très consommateur d'emplois, ne repartira pas aussi vite que d'autres secteurs plus compétitifs. Si cela est bon pour la compétitivité et le renouvellement de l'économie, cela se traduit par une pauvre reprise de l'emploi, du moins dans un premier temps. Le secteur automobile peut repartir vigoureusement mais avec un contenu en emploi plus faible qu'avant la crise en raison des gains de productivité réalisés.

Les pays européens et les Etats-Unis font face à de forts niveaux de déficits. Pourtant, outre-Atlantique, celui-ci ne pose pas de problème de financement public. La réduction des déficits est-elle le véritable problème ou faut-il avant tout restaurer la confiance accordée par les marchés aux Etats ?

Augustin Landier : Il faut rétablir la crédibilité des Etats auprès des marchés en adoptant des mesures qui permettent à terme une réduction des déficits. Les Etats-Unis ont un atout majeur : leur capacité fiscale - pour réduire les déficits - reste élevée car les taxes sont à des niveaux plus faibles que les nôtres. Economiquement, ils conservent donc une grande marge de manœuvre, que seule la politique peut faire dérailler.

La France est parvenue à maintenir sa stature d'Etat crédible. Pour ce faire, François Hollande s'attache coûte que coûte à cet objectif des 3% de déficit par rapport au PIB, un objectif qui n'a pas tant de sens économique en soi mais qui est symbolique. L'idée, en refusant de revisiter l’objectif de réduction des déficits, est de se rendre crédible sur notre capacité à maîtriser nos finances publiques et donc à rembourser notre dette à terme. Pour ce faire, il aurait été plus efficace de s'engager sur des réductions de dépenses plutôt que des hausses d'impôts susceptibles de pénaliser la croissance. Ce n'est pas la stratégie adoptée par le gouvernement pour l’instant : il agit dans la continuité des engagements de campagne.

Agnès Bénassy-Quéré:  Les Etats-Unis jouissent du dollar comme monnaie de confiance de même que l'Europe n'est pas une fédération, ce qui se paye sur les marchés. Ainsi, les réductions des déficits s'opèrent dans des contextes différents des deux côtés de l'Atlantique. Pour retrouver la confiance des marchés, les Etats européens doivent absolument se fixer un cap de réduction des déficits.

Enfin, si la réduction des déficits est une priorité pour restaurer la confiance des marchés à l'égard des économies européennes, le rythme de ces réductions doit rester raisonnable car les marchés ont des logiques keynésiennes et savent parfaitement que des coupes budgétaires trop drastiques et soudaines pénalisent l'activité et la reprise économique. Il faut montrer la direction et la détermination prises par un gouvernement tout en trouvant le bon dosage. Sur ce point, le Traité budgétaire européen est plutôt bien conçu car il engage sur plusieurs années.

Les statuts de la BCE sont souvent pointés du doigts, ces derniers lui interdisant de financer directement les Etats. Cette orthodoxie monétaire a t-elle fait perdre du temps dans la sortie de crise ?

Augustin Landier : Je ne pense pas. La BCE a joué son rôle de façon très subtile, avec un sens du timing et de la négociation. Elle est une institution qui a réussi à incarner sa fonction. Dans cette crise, la BCE a un bilan très défendable.

Agnès Bénassy-Quéré : Je ne pense pas qu'une réforme des statuts de la BCE soit une question majeure. Elle doit cependant se doter d'instruments qui soient autres que les seuls taux d'intérêts. En effet, si nous lui accordons la supervision bancaire sans lui octroyer le pouvoir d'imposer une hausse du ratio du capital d'une banque par exemple, il y a aura une incohérence. Avec ces nouveaux instruments, elle pourrait protéger sa politique monétaire.

Un des dirigeants de la Fed, la Banque centrale américaine, a déclaré en septembre que cette dernière n'avait aucune idée de ce qu'il fallait faire pour sortir l'économie américaine de l'ornière. Y a-t-il un manque d'idée dans cette gestion de la crise ?

Augustin Landier : En ce qui concerne la politique monétaire, nous sommes en terre inconnue. On connait bien les mécanismes de politique monétaire lorsque les taux d'intérêts sont positifs. Mais nous sommes actuellement avec des taux proches de 0% où peu d'expériences passées permettent de se faire une idée de ce qui marche bien. La politique de la Fed est donc, en effet, assez expérimentale. Nous ne savons pas encore comment elle va affecter les anticipations des acteurs et quels seront ses effets pervers potentiels, notamment sur les bulles.

Mais le contexte actuel de crise prolongée rend légitime d'essayer ces politiques dites non-conventionnelles de rachats d’actifs.

Agnès Bénassy-Quéré : Il y a beaucoup d'idées. Il y en a presque trop ! Preuve en est, la BCE s'est montrée très créative durant cette crise tout en restant dans le cadre de son mandat. Il en est de même en termes de mutualisation des dettes, d'union bancaire... Ce qui manque désormais, ce ne sont pas les idées mais un consensus sur la mise en place de ces projets.

Propos recueillis par Olivier Harmant

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