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Polémiques sur le mariage homosexuel : véritables dérapages ou allergie contemporaine aux normes naturelles ?
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Un maire UMP a créé la polémique en estimant que légalisation du mariage homosexuel pourrait ouvrir la porte à la polygamie, l'inceste et la pédophilie. Le "mariage pour tous" implique-t-il vraiment une société sans valeurs ?

Eric Deschavanne

Eric Deschavanne

Eric Deschavanne est professeur de philosophie.

A 48 ans, il est actuellement membre du Conseil d’analyse de la société et chargé de cours à l’université Paris IV et a récemment publié Le deuxième
humanisme – Introduction à la pensée de Luc Ferry
(Germina, 2010). Il est également l’auteur, avec Pierre-Henri Tavoillot, de Philosophie des âges de la vie (Grasset, 2007).

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Atlantico : Le maire UMP du 8e arrondissement de Paris François Lebel a écrit dans le journal d'information municipale de sa mairie que le mariage homosexuel ouvrirait la porte à de nombreuses dérives sexuelles. Son éditorial a engendré un tollé politique consensuel. Sans pour autant cautionner ces propos, peut-on considérer alors que nous sommes allergiques à une certaine norme naturelle ?

Eric Deschavanne : L'idée d'une nature normative nous vient de la cosmologie grecque, intégrée par le christianisme. On la trouve bien entendu dans d'autres traditions religieuses. La science et l'humanisme modernes ont toutefois changé la donne. La nature peut certes être représentée comme un ordre, un écosystème comme on dit aujourd'hui, mais aussi comme un ensemble de forces aveugles, voire une "jungle" dans laquelle règne l'inégalité et la loi du plus fort. L'humanisme démocratique se donne pour projet de construire un ordre humain artificiel et égalitaire, meilleur que l'ordre ou de désordre naturel. Par analogie avec les débats sur l'écologie, on pourrait du reste assimiler les adversaires du mariages homosexuels aux partisans anti-humanistes de la deep ecology, qui contestent à l'homme le droit de construire un monde qui perturbe l'ordre intangible et normatif de la Nature.  

L’existence du mariage homosexuel dans certains pays est-elle une garantie de sa normalité ?

C'est surtout la garantie que l'on a affaire à une réforme inscrite à l'agenda de toutes les sociétés démocratiques. Dès lors que le droit se fonde sur la volonté des hommes et non plus sur des dogmes religieux ou une sacralisation de l'ordre naturel, dès lors qu'il devient plus difficile de s'opposer sans raison à la revendication d'une liberté individuelle, dès lors que progresse l'idée d'égalité abstraite (l'égalité en droits abstraction faite des différences), les conditions sont réunies pour que deviennent possibles la reconnaissance du couple homosexuel et celle de l'homoparentalité. De toute évidence, le mariage homosexuel (ou l'égalité des droits dans le cadre d'une union civile, c'est selon) est inscrit dans le sens de l'histoire. C'est pourquoi je pense qu'il est possible d'affirmer qu'aucun gouvernement ne reviendra sur la réforme une fois qu'elle sera passée.

Peut-on réellement établir des liens réels entre l’homosexualité et des pratiques criminelles comme la polygamie et la pédophilie ?

La distinction entre l'homosexualité et la pédophilie devrait aujourd'hui aller sans dire, mais il n'est pas mauvais de la rappeler. La polygamie n'est pas une pratique criminelle, et je ne vois d'ailleurs pas ce que la criminalité vient faire dans le débat ! La crainte formulée par François Lebel, qui relaie les propos du cardinal Barbarin constitue une objection sérieuse contre le « mariage pour tous ». Il ne faudrait pas éluder ce débat par le recours aux anathèmes. On peut en effet s'interroger : dès lors que le mariage n'est plus conçu comme l'union d'un homme et d'une femme destinés à engendrer des enfants, mais comme un simple contrat reposant en dernière instance sur le bon plaisir et la volonté des individus qui s'unissent, pourquoi le législateur ne reconnaîtrait-il pas toutes les combinaisons nées de l'imagination humaine ? Après tout, si l'ordre familial doit être intégralement artificiel, quel autre fondement peut-il avoir que la liberté des individus ? Si l'on ne retient comme critère que l'amour et l'égalité entre les couples, quel argument opposer à un frère et soeur, à un père et sa fille, à une mère et son fils qui désireraient pouvoir se marier et engendrer librement ?

Il me semble que l'on peut répondre à l'objection par cette autre question : pourquoi ne pas faire confiance à la démocratie, c'est-à-dire à nous-mêmes ? L'ordre humain "artificiel" que nous instituons, indépendamment des dogmes religieux, naît du jeu démocratique, de ses débats foisonnants et de la lutte des volontés, qui divergent ou convergent librement. A ceux qui redoutent une "rupture de civilisation", on peut objecter que le peuple peut à tout moment revenir sur ses errements passés. Si le relativisme généralisé devait l'emporter, c'est que nous y aurions librement consenti, après moult échanges d'arguments. Mais en quoi est-ce une fatalité ? N'existe-t-il donc aucune bonne raison de refuser les relations incestueuses ? Est-il raisonnable d'imaginer qu'une opinion publique déboussolée puisse se rallier à un projet de loi légitimant l'inceste ? Même chose pour la polygamie et le polyamour : le couple s'est imposé comme la forme de vie conjugale légitime dans les sociétés démocratiques modernes: il y a sans doute de bonnes raisons à cela, et l'on ne voit pas se dessiner un courant d'opinion massif visant à le subvertir. La polygamie est indissociable d'une situation où l'égalité entre hommes et femmes n'existe pas. En complète contradiction avec les valeurs communes, il est infiniment peu probable qu'elle puisse un jour être tenue pour une forme conjugale légitime par une majorité de nos concitoyens.

Le « mariage pour tous » implique-t-il sémantiquement l’absence de limites à l’union civile des personnes dans le nombre et dans l’âge ?

Le « mariage pour tous » exige une redéfinition du mariage, qui ne sera plus l'union d'un homme et d'une femme, mais l'union de deux personnes, quel que soit leur sexe. En vérité, on ne le souligne pas assez, cette revendication comprend un élément éminemment conservateur : elle consacre en effet la notion de couple et l'institution même du mariage. Cela ferme a priori la porte au polyamour (il s'agirait alors d'abolir le mariage pour lui substituer un contrat d'union civile librement défini par les individus). Le mariage homosexuel achève l'histoire moderne du mariage, qui aboutit au mariage d'amour et à la légalisation du divorce. Il n'ouvre pas à mon sens, contrairement à ce que redoute le cardinal Barbarin et François Lebel, sur une ère de relativisme généralisé.

Ce débat encourage-t-il l’homophobie et ainsi dessert-il la cause gay et la cohésion sociale ?

L'homophobie a fait l'objet d'une dé-légitimation sociale accélérée au cours de ces trente dernières années. L'homosexualité a été décriminalisée. Le sida a suscité une immense vague de compassion à l'égard des homosexuels. Le PACS a permis la reconnaissance du couple homosexuel. L'enjeu du débat sur le mariage gay est celui de la reconnaissance de l'homoparentalité. Nous sommes à la fin d'une histoire, qui va s'achever par la banalisation de l'homo-famille : non au sens où elle sortirait de la marginalité, mais parce qu'elle ne suscitera plus qu'indifférence.

S'agissant de la cohésion sociale, j'aurais préféré une réforme qui, tout en accordant l'égalité des droits – notamment en matière d'adoption et de recours à l'insémination artificielle avec donneur – s'effectue par le truchement d'une union civile renouvelée et non par la redéfinition du mariage. Celle-ci est inutilement provocatrice;  elle heurte une grande partie de l'opinion, pour laquelle le mariage sera toujours l'union d'un homme et d'une femme.

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