Fraude chez JP Morgan, révélations sur Madoff, manipulation sur les taux interbancaires... Qu’y a-t-il de pourri au royaume de la finance ?<!-- --> | Atlantico.fr
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L'escroquerie de Bernard Madoff aurait débuté dès les années 1970.
L'escroquerie de Bernard Madoff aurait débuté dès les années 1970.
©Reuters

Encore et toujours

La justice de l'Etat de New York a déclenché de nouvelles poursuites contre la banque d'affaire américaine JP Morgan pour tromperie auprès des investisseurs. Dans le même temps, l'escroquerie de Bernard Madoff aurait semble-t-il débuté dès les années 1970. Les révélations s'enchaînent et se succèdent...

Mathieu Mucherie Simone Wapler  et Pierre-Noël Giraud

Mathieu Mucherie Simone Wapler et Pierre-Noël Giraud


Pierre-Noël Giraud
est économiste et professeur à  Mines Paris Tech.
 

Mathieu Mucherie est économiste de marché sur Paris, et s'exprime ici à titre personnel.

 

Simone Wapler est rédactrice en Chef des Publications Agora (analyses et conseils financiers).

 

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Atlantico : La justice de l'Etat de New York a engagé des poursuites contre la banque d'affaire américaine JP Morgan, cette dernière étant accusée d'avoir trompé des investisseurs sur la qualité de certains prêts hypothécaires via sa filiale Bear Stearns, ancienne banque rachetée en 2008. Dans le même temps, nous apprenons que l'escroquerie de Bernard Madoff a débuté dès les années 1970 avant d'être révélée au grand jour en 2008. Le milieu de la finance est-il intrinsèquement contraint de "frauder" ou s'agit-il de cas isolés qu'il ne faut pas généraliser ?

Pierre-Noël Giraud : Les acteurs financiers ne sont pas contraints de frauder, cela finit d'ailleurs toujours par se retourner contre eux. Mais il y a des asymétries d'informations, autrement dit, une banque connait toujours mieux le produit qu'elle vend que le client auquel elle s'adresse. N'importe quel commerçant a de toute façon tendance à dissimuler les défauts du produit qu'il vend, s'il en a.

Les banques ont diffusé dans l'économie des produits sophistiqués qui étaient plus risqués qu'ils n'en avaient l'air, mais elles avaient elles-mêmes du mal à en évaluer le risque, au même titre que les agences de notation d'ailleurs. Cependant, elles ont gardé une partie des rendements et transféré les risques vers d'autres acteurs.

Mathieu Mucherie : Il faudrait davantage de cas pour parler d'une pratique commune. Les différents scandales ont touché le secteur financier, mais des métiers et des segments différents au sein de celui-ci.

La spécificité financière consiste à ce que, dans certains cas, les montants engagés sont si élevés que les conséquences en deviennent systémiques, c'est à dire que le reste de l'économie est affecté. Ce fut le cas de LTCM (Long Term Capital Management, un fond spéculatif ayant fait faillite, ndlr) en 1998. Dire que la finance est gangrenée parce qu'on a repéré quelques cas problématiques me paraît exagéré.

D'un côté, les épargnants demandent un rendement important et, de l'autre, ils réclament un taux très bas. Lorsqu'on exige un rendement de 5%, il faut accepter un certain niveau de risque et de volatilité. Pour gérer cette injonction, certains vont alors trop loin ce qui est susceptible de dégénérer en fraude.

Simone Wapler : La finance est, comme tout commerçant, elle achète et  vend. Comme tout commerçant, elle doit réaliser des marges. Sa particularité consiste  à acheter et vendre de la dette, autrement dit des crédits. Le prix, la qualité d'une dette évolue selon l'idée que les acteurs ont du risque. Jean Peyrelevade déclarait ainsi dans Challenge (numéro 292) que "la faillite est un destin normal, banal, de la finance qui a toujours tendance à prendre trop de risques".

Les acteurs de la finance exercent une activité qui est basée sur le crédit. Dans ce contexte, plus il y a de dettes, plus la qualité de ces dernières devient douteuse. C'est le cycle connu de l'expansion puis de la contraction du crédit. Pour faire croire que la dette est bonne, les acteurs  sont poussés à tricher sur la qualité de celle-ci, à minimiser les risques.

La fraude est intrinsèque à l'industrie de la dette car lorsque les affaires vont mal, c'est à dire que la croissance diminue ou stagne comme c'est le cas actuellement, il n'est plus possible d'être en phase d'expansion du crédit. Les ennuis commencent alors. La sous estimation initiale du risque devient criante, la créance qui paraissait si bonne devient subitement douteuse. Les acteurs financiers ne peuvent conserver leur marge.

De par leur opacité et la technicité de leurs opérations, les milieux financiers auront-ils toujours un coup d'avance sur les régulateurs ?

Pierre-Noël Giraud : Les banques ont toujours un coup d'avance sur les régulateurs mais également sur leurs clients car elles détiennent des informations que les autres acteurs n'ont pas.

De même, elles instaurent des systèmes d'incitations internes où chacun de ses agents est motivé par les profits. Cela conduit à l'élaboration de produits complexe, un phénomène qui s'est produit massivement.

Mathieu Mucherie : Les milieux financiers ont toujours trois ou quatre coups d'avance sur les régulateurs financiers. L'autorité régulatrice américaine, la SEC, s'est complètement décrédibilisée pour des générations, ce qui n'est pas surprenant puisqu'ils ne sont pas dans les salles de marché. De toute façon, même ceux qui y sont ont parfois du mal à suivre car il s'agit d'un métier d'une très haute technicité et qui va très vite.

Mais si les autorités de régulation ont toujours été en retard, il faut plutôt regarder du côté des banques centrales. La crise européenne actuelle est en grande partie liée à l'inaction de la BCE. Autrement dit, il est impossible pour les banques d'être en bonne santé financière lorsque, en plus d'une crise, des restrictions monétaires s'ajoutent. A chaque crise, les banques et autres acteurs financiers sont pointés du doigt avant que l'on ne se rende compte qu'ils ne l'ont pas provoqué. Il faut davantage regarder du côté des banques centrales pour sortir de la crise.

Simone Wapler : Le problème est la collusion qui existe entre les acteurs financiers et ceux qui sont censés les réguler. Les premiers vendent de la dette, et touchent des commissions dessus, mais leurs principaux clients sont les Etats. Comment est-il possible de réguler des entreprises dont vous êtes vous-même un gros le client ? Le conflit d'intérêt est évident.

Enfin, les régulateurs essaient de contrôler les banques et autres entités financières en ne comprenant rien à la façon dont sont mesurés les risques. Il y a donc deux volets d'absurdités en termes de régulation.

Dans un contexte hyper concurrentiel et de crise, l'industrie financière est-elle incitée à passer outre les règles pour réaliser des profits, voire pour couvrir leurs pertes ?

Pierre-Noël Giraud :Le système d'incitation financière pousse un peu à cela mais il faut bien voir que les actionnaires de Lehman Brothers par exemple, la banques d'affaires américaine qui a fait faillite en 2008, se sont retrouvés ruinés. Il y a donc une sanction à agir ainsi qui tombe à la fin.

Si une banque à une gestion stricte de ses risques, elles empêche ses traders d'agir de façon risquée et de mettre l'institution financière elle-même en danger. Elle a intérêt à se protéger elle-même.

Mathieu Mucherie : De grandes quantités d'actifs sont gérées et il y a des règles à respecter de même que la plupart des investisseurs institutionnels exercent un métier très contrôlé, régulé et surveillé. S'il existe une partie de la finance qui exerce des activités offshore, comme les hedges funds par exemple, ils n'ont posé aucun soucis pendant la crise. Ils s'en sont même plutôt bien sortis et n'ont pas fait face à des problèmes similaires à ceux de LTCM en 1998.

Paradoxalement, les problèmes se sont avant tout manifestés dans les milieux assez régulés alors que les acteurs moins contrôlé se sont relativement bien portés. Certes il y a eu des abus, mais l'essentiel du problème est surtout monétaire.

Simone Wapler : Sur ce point, l'industrie financière n'est pas différente des autres secteurs. Tout le monde essaie de gagner de l'argent avec son activité. L'essentiel du problème provient avant tout du manque de véritable régulation, ce qui les conduit à édicter eux-mêmes leurs propres règles.

Résultat, des conseillers financiers sont encore aujourd'hui en train de vanter à leurs clients des crédits immobiliers à taux variables, ce qui va pousser l'emprunteur à l'insolvabilité lorsque les taux vont remonter. Ou bien, ils dirigent leurs clients vers des contrats d'assurance-vie en euro qui présentent déjà des rendements réels négatifs. Même dans les hauts niveaux de la finance, certains ne savent plus ce qu'ils font, de leur propre aveu. La titrisation a coupé tout lien direct entre prêteur et emprunteur et accorde une confiance aveugle à une modélisation des risques qui a prouvé son ineptie.

L'industrie financière anglo-saxonne parait-elle plus fraudeuse du fait des systèmes de contrôle, plus élaborés qu'en Europe, qui permettent de révéler ces affaires ? Ou les banques européennes et françaises sont-elles tout simplement plus "sages" ?

Pierre-Noël Giraud : L'industrie financière anglo-saxonne n'est pas plus désinvolte que leurs homologues européennes et française. Elle est simplement plus éclatée et spécialisée par fonctions. En effet, les banques sont davantage spécialisées sur un métier ou une branche particulière là où en France, des banques comme BNP Paribas, Société Générale ou Crédit Agricole exercent plusieurs activités à la fois : activités de dépôts et d'investissements.

Les pertes issues des départements risqués sont donc plus facilement absorbées par la taille des banques. C'est souvent l'argument avancé par les institutions françaises pour que l'on ne sépare pas les activités de marché de leurs activités de crédit.

Mathieu Mucherie : Karl Marx a été très clair en précisant que le capitalisme n'a pas de patrie. La finance en a encore moins. A New York comme à Londres, la plupart des individus ont même des diplômes français. Il s'agit d'un secteur très internationalisé.

Si les anglo-saxons font plus souvent parler d'eux avec ces scandales, c'est parce que 50% de la capitalisation boursière mondiale est à New York. La seconde place financière étant Londres. Francfort, Paris ou Hong Kong ne sont que des places secondaires. De plus, les anglo-saxons concentrent les marchés de produits dérivés, de matières premières... où il y a beaucoup de trading. Si Paris était aussi gros en termes de capitalisation boursière et concentrait autant d'activités, elle aurait autant de cas.

Simone Wapler : Les banques européennes ne sont pas plus sages que leurs homologues américaines : toutes mettent la poussière sous le tapis. Les milliers de milliards d'euros injectés par les politiques monétaires non conventionnelles menées depuis quelques années n'avaient qu'un seul objectif : donner des liquidités aux banques pour qu'elles puissent se refaire, mais également pour qu'elles souscrivent aux emprunts d'Etats.

Il y a donc une fois de plus, une collusion entre les Etats qui ont besoin de placer leurs dettes et qui sont clients de ces banques qui achètent ces titres de dettes sans se préoccuper de leurs qualités, mais juste de la marge sur l'opération.

La crise fait-elle révéler au grand jour des scandales qui auraient été étouffés en temps normal ?

Pierre-Noël Giraud :Cette attitude des banques a contribué à la crise. Sans la crise, il y aurait peut être eu moins de cas comme celui-ci. Ces comportements ont été pratiqués à grandes échelle et par tous les acteurs.

Mathieu Mucherie : Sans la crise, ces cas auraient été beaucoup plus facile à gérer et accepté socialement. Le scandale de LTCM n'avait pas créé autant d'indignation car la croissance et la confiance étaient de retour trois mois plus tard. Aujourd'hui, nous sommes plus sensibles à ces questions dans ce climat de crise.

Il y a toujours eu des fraudes, mais elles sont anecdotiques par rapport à l'argent que les banques centrales ont fait perdre. Il y a une focalisation des cas individuels qui masque les grands mécanismes complexes à l'oeuvre qui expliquent la crise.

Simone Wapler :En temps normal, ces scandales n'auraient pas surgi car la croissance et l'expansion du crédit masquent les mauvaises allocations de capitaux. Il y a toujours des prêteurs car un emprunteur, même de qualité médiocre, peut tirer son épingle du jeu si son marché croit. En revanche, si son marché stagne ou décroit, il doit être meilleur que ses concurrents . C'est lorsque la croissance n'est plus au rendez-vous que les problèmes arrivent et que certains paris qui ont été faits se révèlent avoir été de mauvais paris.

La crise est donc un révélateur des emprunteurs faibles et démontre que nous ne savons toujours pas évaluer les risques de façon correcte.

L'industrie financière et l'économie du crédit conduisent à confondre la véritable richesse et la dette. La croissance du crédit n'est pas la croissance économique. La croissance économique peut éventuellement conduire à la croissance du crédit, mais pas l'inverse. Cette pensée biaisée entache même les dettes souveraines. On prétend mesurer des risques en regardants des ratios dette / PIB. On oublie tout simplement que le PIB d'un pays n'est pas sa richesse. C'est seulement une addition de dépenses. Dans ces dépenses certaines sont financées à crédit.

C'est comme si un ménage comptait dans ses revenus ses crédits à la consommation et comme si, parce que ses crédits à la consommation augmentaient, on en déduisaient que ce ménage s'enrichissait. C'est absurde !

Les fraudes n'ont qu'un seul objet : camoufler  l'insolvabilité. Lorsque les banques trafiquent le Libor ou l'Euribor, c'est pour faire croire qu'elles se font encore mutuellement confiance. Lorsque les Etats font racheter leur propre dette par leur banque centrale, c'est encore pour faire croire que leurs dettes se placent facilement et truquer les taux auxquels ils empruntent.

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