Menace sur la liberté de la presse en Géorgie : des journalistes du monde entier signent un manifeste

Au mois de mai dernier, une nouvelle chaîne de télévision a vu le jour en Géorgie, sous le nom de TV9. S’étant donné pour mission d’offrir au public géorgien un nouveau canal d’information à la fois indépendant et objectif, la direction de TV9 s’est engagée à rester imperméable à toute pression extérieure et à tout type de favoritisme. Afin de concrétiser cet engagement, TV9 a adopté un manuel de règles et de pratiques éditoriales - une initiative sans précédent de la part d’un média en Géorgie.  Ce manuel, dûment signé par la direction de TV9 et ses journalistes, les engage chacun ainsi que la station toute entière à devenir un média indépendant et digne de confiance pour les téléspectateurs géorgiens. En tant que premières personnalités à avoir rejoint le Comité consultatif de TV9, nous sommes de notre côté décidés à faire en sorte que TV9 respecte son engagement - un défi d’autant plus difficile à relever que son équipe, que nous soutenons également activement, doit faire face en Géorgie à un environnement de plus en plus hostile à la liberté de la presse.

C’est à Bidzina Ivanishvili, un philanthrope connu en Géorgie pour être attentif aux intérêts de ses concitoyens, que l’on doit cette initiative de créer une chaîne de télévision indépendante dans ce pays. Bidzina Ivanishvili s’est en effet inquiété devant le tour inquiétant pris par la politique du gouvernement de Mikhaïl Saakachvili et l’augmentation du nombre d’actes de censure et de harcèlement à l’encontre de journalistes. Des observations indépendantes menées par plusieurs organisations de défense des droits de l’Homme ont corroboré cette évolution par des témoignages, après avoir notamment constaté des exemples de violences perpétrées sur des journalistes par des représentants des autorités géorgiennes - violences justifiant que la communauté internationale s’alarme de la situation.

Un rapporteur des Nations-Unies a présenté au mois de février 2012 les choses de manière plus diplomatique : le gouvernement géorgien risque de dévier de sa trajectoire jusqu’ici « globalement bonne»[1] mais qui s’infléchit vers « un climat général de peur et d’intimidation où l’on constate des restrictions arbitraires aux libertés fondamentales ».  Auparavant, l’association Human Rights Watch a présenté dans son rapport 2012 sur la Géorgie de nombreux exemples de journalistes détenus sur la base de d’allégations sans fondement ou encore de journaux qui, après avoir critiqué Mikhaïl Saakachvili ou son gouvernement, se sont trouvés subitement soumis à des audits fiscaux n’étant pas sans rappeler les usages du régime de Poutine en matière d’intimidation et de harcèlement. Reporters sans Frontières, qui s’est fait l’avocat de la liberté de la presse dans le monde entier, a également publié un rapport cinglant sur les efforts du gouvernement géorgien pour entraver les activités de TV9 et de son partenaire Global TV - parmi lesquels des destructions de matériel importé de l’étranger, des menaces à l’encontre des membres de l’équipe de TV9 et de leurs familles et, dans certaines cas, des détentions illégales, des mauvais traitements, voire des tentatives de chantage sur l’un des journalistes en particulier. Tout ceci témoigne d’une campagne orchestrée par le gouvernement en place dans le but de faire taire toute velléité de prise de parole indépendante en Géorgie.

Depuis la Révolution des Roses de 2003, les Etats-Unis et l’Union européenne ont été aux côtés du peuple géorgien, soutenant son intégration économique avec l’Union européenne ainsi que sa demande d’entrée dans l’OTAN - malgré les vigoureuses objections de la Russie. Collectivement, l’Union européenne et les Etats-Unis ont fourni à la Géorgie des dizaines de millions de dollars ainsi qu’une assistance économique et militaire. Nombreuses sont les difficultés auxquelles la Géorgie doit faire face pour préserver son intégrité territoriale et sa démocratie encore fragile face aux mouvements séparatistes très déterminés en Abkhazie et en Ossétie du Sud. En outre, depuis le conflit armé entre la Géorgie et la Russie, les forces russes sont toujours présentes sur le territoire géorgien.

Les enjeux de politique étrangère et les problèmes économiques ne sauraient justifier que les idéaux de la Révolution des Roses soient sacrifiés par un gouvernement apparemment déterminé à piétiner toute velléité de critique à son encontre, d’où qu’elle vienne - ces idéaux ne peuvent ni ne doivent être sacrifiés.  

Si nous avons décidé de répondre favorablement à la demande des journalistes de TV9 qui nous ont invités à rejoindre le Comité consultatif de TV9, c’est parce que chacun d’entre nous se reconnait dans la mission de TV9 de protéger et de renforcer les droits des journalistes afin qu’ils puissent exercer leur profession sans être victimes de harcèlement ou d’intimidations. Pour sauvegarder les libertés démocratiques du peuple géorgien, il est essentiel de préserver et de renforcer les liens entre la Géorgie et le monde occidental. Le respect du droit à la liberté d’expression - un droit fondamental - et des droits des  journalistes d’exercer leur profession sans subir de pressions  sont autant de tests pour savoir si la Géorgie est engagée dans la bonne voie. Les tentatives de restreindre la liberté de la presse ont certainement pour conséquence d’éloigner la Géorgie du monde occidental et de réduire ses chances de rejoindre l’OTAN et l’Union européenne ; ces tentatives ne feront que servir les intérêts des adversaires de ce pays.

[1] Voir sur Civil Georgia en date du 14 février 2012 “UN Special Rapporteur Says 'Worrying Signs' Threatens Georgia's 'Generally Positive Trajectory'”