La Bundesbank prépare sa contre attaque anti BCE en justice<!-- --> | Atlantico.fr
Atlantico, c'est qui, c'est quoi ?
Newsletter
Décryptages
Pépites
Dossiers
Rendez-vous
Atlantico-Light
Vidéos
Podcasts
Europe
L'hebdomadaire allemand Der Spiegel consacre cette semaine sa couverture au patron de la banque centrale allemande. Selon le chef de la Bundesbank, la BCE serait en train de "droguer" les Etats membres.
L'hebdomadaire allemand Der Spiegel consacre cette semaine sa couverture au patron de la banque centrale allemande. Selon le chef de la Bundesbank, la BCE serait en train de "droguer" les Etats membres.
©

Guérilla

Le patron de la Bundesbank, Jens Weidmann, se préoccupe des déclarations de Mario Draghi. Le chef de la BCE a annoncé des actions de grande ampleur sur le marché de la dette publique, dont les contours restent à préciser.

Pascal Ordonneau

Pascal Ordonneau

Pascal Ordonneau est l'ancien patron du marketing chez Citibank, ancien Directeur général des groupes Crédit Lyonnais et HSBC.

Il a notamment publié La désillusion, abécédaire décalé et critique de la banque et de la finance, paru aux éditions Jacques Flament en 2011.  Il publie également "Au pays de l'eau et des dieux"

Il tient également un blog évoquant les questions économiques et financières.

 

Voir la bio »

Le président Lincoln, convaincu d’être mis en minorité lors d’un conseil, se serait exclamé : 10 « contre » , 1 « pour » : les « pour » l’emportent !

Curieuse conception de la démocratie que le gouverneur de la Bundesbank, Jens Weidmann, a sûrement méditée, lorsque ayant vigoureusement manifesté son opposition et ferraillé seul contre tous, pour s’opposer aux demandes de Mario Draghi, gouverneur de la BCE, sur son programme d’achat de dettes publiques européennes sur le marché financier.

Le conseil avait bien suivi les propositions de Mario Draghi. Il lui avait donné un feu vert pour que la BCE procédât à des achats d’obligations publiques européennes. D’où la fureur du gouverneur de la Bundesbank. Ne s’était-il pas déjà opposé à ce genre de pratique comme son prédécesseur ? L’ancien chef économiste de la Bundesbank, n’avait-il pas démissionné du conseil de la BCE pour les mêmes motifs : la politique menée par cette dernière était inacceptable à deux titres, tout d’abord sur le plan de l’orthodoxie monétaire à laquelle la Bundesbank a toujours, depuis sa création, exprimé son attachement. Et ensuite, au nom du droit et des traités que le gouverneur de la BCE. Mario Draghi, pour les représentants du pouvoir monétaire allemand, est peut-être un keynésien, mais il est aussi « hors la loi ».

Dans ces conditions, puisque personne ne veut comprendre que la loi c’est la loi et que dans un univers de droit on ne saurait dire à l’Allemagne qu’elle a juridiquement tort car le conseil de la BCE a politiquement raison, Jens Weidemann menace de porter la cause devant la justice. Et c’est pourquoi dit-on que la BCE est en train de mettre à jour sa documentation juridique ! Jens Weidmann est-il un Scud qui viendrait pulvériser une zone de non-droit ?

Pour Jens Weidmann, une mission est une mission. La mission de la BCE, c’est très clairement de ne pas faire de la banque. La BCE a été conçue sur le modèle de la Buba. Cette dernière s’est interdite de financer l’Etat Allemand et les Länder et répliquant cette interdiction, l’article 123 du Traité est ainsi rédigé.

« Il est interdit à la BCE et aux banques centrales nationales d'accorder des découverts ou tout autre type de crédit aux institutions ou organes de la Communauté, aux administrations centrales, aux autorités régionales ou locales, aux autres autorités publiques, aux autres organismes ou entreprises publics des Eats membres; l'acquisition directe, auprès d'eux, par la BCE ou les banques centrales nationales, des instruments de leur dette est également interdite. »

La BCE est le rempart des économies de la zone euro contre l’inflation. C’est tout. Son action ne peut pas être de financer les Etats, c’est à dire de créer de la monnaie sans justification réelle ou commerciale. On le comprend bien puisque même la Banque de France s’était vue interdire cette activité. Bien sûr, la Banque centrale a un rôle d’animateur de son marché, celui des banques. Elle est l’organe de compensation des banques de la zone, et éventuellement de quelques adhérents hors zone, en tant que responsable de la circulation monétaire de l’euro. Donc, elle ne sort pas de son rôle lorsqu’elle prête aux banques…En principe ! On n’a pas toujours dit cela. Il suffit de se souvenir (mais c’est si loin maintenant) des torrents d’invectives, de critiques et d’arguments de droits qui ont accueilli les initiatives du gouverneur Trichet pour restaurer la liquidité en berne des banques européennes.

C’est que le monde de la finance et de la monnaie est un monde à la fois très compliqué et très simple : lorsque la BCE prête aux banques pour restaurer leur liquidité, elle prête peut-être indirectement aux Etats !!! Les banques qui souffrent d’une liquidité insuffisante ne sont-elles pas celles qui, leur ayant beaucoup prêté, suscitent de la défiance. Les dégradations de notes, la crise de 2011, tout fait qu’un doute plane sur la qualité des dettes publiques. Et il est vrai que la BCE, quand elle agit pour fluidifier les échanges sur le marché interbancaire, restitue aux financements des banques de la souplesse et de la disponibilité…Elles pourraient être tentées par l’achat de quelques dettes souveraines ! La BCE n’aurait-elle pas stimulé ce type de prêt faisant faire ainsi aux autres ce qu’elle n’a pas le droit de faire !

Tout est dans tout, peut-on dire en matière monétaire, surtout depuis que les systèmes bancaires se sont vus offrir le droit de battre monnaie, sans limites autres que celles de leurs fonds propres : lorsque la BCE refinance les banques contre remise de titres, y compris des créances souveraines, comment affirmer qu’elle ne finance pas les Etats ? Ou bien, pour remplir sa mission, elle achèterait des dettes des Etats sur le marché secondaire, mais n’est-ce pas les financer ? Ou bien, la BCE, achète des dettes d’Etats dès l’émission…mais elle va directement à l’encontre de la mission qui lui a été donnée ?

Pour Jens Weidmann, intervenant pour soutenir la dette d’un pays, ou, pour se substituer aux investisseurs méfiants et permettre à ce pays de se financer dans des conditions normales, la BCE se met non seulement en porte à faux avec le fameux article 123, mais, surtout, introduit dans l’aire monétaire et bancaire européenne, une mutualisation de facto des dettes souveraines européennes alors qu’aucun accord (de jure) ne le prévoit. Deuxième obsession de Jens Weidman : éviter qu’une mutualisation des dettes souveraines ne s’introduise subrepticement via le bilan de la BCE.

Les Allemands n’ont pas voulu des obligations européennes : obligations émises par l’Union ou par la zone euro et placées sur les marchés financiers selon des modalités plus ou moins complexes pour fournir les fonds dont les Etats de la zone euro ont besoin. Ils l’ont dit et répété suivant une apparente logique économico-politique : pas de solidarité financière et monétaire tant qu’il n’y aura pas d’accords sur les fondamentaux, c'est-à-dire sur l’harmonisation des politiques budgétaires et sur une harmonisation en profondeur des mécanismes économiques de la zone euro.

Pour les Allemands, la mutualisation des dettes européennes qui revient à dire que les riches pourront être conduits à payer pour les pauvres est une décision hautement politique. Mettre le citoyen allemand en risque d’avoir à payer pour les citoyens espagnols ou portugais ne peut pas être la conséquence « incidente » d’une décision de la BCE. Une sorte de dommage collatéral.

Jens Weidman ne veut pas, et le peuple allemand avec lui, de solidarité tant que les Etats de la zone euro n’en auront pas décidé ainsi. Les Allemands prêts à sauver l’Europe veulent bien y mettre « un peu du leur » mais, a dit la cour de Karlsruhe, « pas davantage qu’un peu», à moins d’un vote de la représentation nationale. Autant dire qu’elle a strictement limité la zone de responsabilité allemande dans le cas du Mécanisme européen de stabilité : ce n’est sûrement pas un an avant les élections législatives que le Bundestag décidera de mettre un peu plus de l’argent des contribuables allemands dans la caisse commune européenne !

Pourtant, Jens Weidman, ne se moque-t-il pas de son monde de la finance et plus généralement des responsables économiques et politiques européens ? Une paille vient altérer la pureté des sentiments et la rigueur des idées: si on pose le principe que la mutualisation ne peut pas survenir comme effet d’une cause, l’intervention de la BCE sur les dettes souveraines, peut-on rester les bras ballants et l’âme sereine devant les ravages de son inverse ?

C’est, en effet, l’exact opposé d’une mutualisation qui est à l’œuvre depuis deux ans. L’inverse de la mutualisation des risques souverains européens réside dans le fait que l’Allemagne capte tout l’argent « euro » et le détourne d’autres cibles d’investissement. L’Allemagne, (le fait-elle exprès ?) siphonne tous les fonds au profit de sa propre dette et cannibalise le marché de la dette européenne. S’il n’y a pas de mutualisation dont l’Allemagne serait le ferment pour ne pas dire le ciment, il y a monopolisation dont l’Allemagne est le bénéficiaire et le gagnant sur le dos de ses partenaires. Elle ne veut pas donner, mais trouve tout naturel que les forces du marché lui donne tout.

Mutualiser, c’est mettre en commun quelque chose qui devient commun à plusieurs. Monopoliser, c’est s’attribuer quelque chose qui est commun à plusieurs et s’en réserver l’usage exclusif. Les autres, peuvent passer leur chemin, ce qu’ils pensaient avoir en commun même avec des Allemands ne leur profitera pas.

Quand les banques centrales hors zone euro souhaitent disposer de réserves en Euro (mais, oui, la bête remue ! alors…il faut bien en mettre un peu en réserves) elles achètent des titres libellés en euros, et, par principe des titres souverains. La logique serait qu’elles achètent des créances sur la zone euro. Ces créances comporteraient une part de risque sur chaque pays de la zone à proportion de sa part dans l’euro… Mais rien de tel n’existe et les Allemands ne veulent pas créer de titres européens, on l’a rappelé plus haut, donc les banques centrales achètent de la dette française, allemande, espagnole, grecque, italienne…. Mais non justement ! Elles n’achètent surtout pas de la dette espagnole ! Il faudrait être complètement sourd aux évènements, sourd aux cris de Jens Weidman qui refuse toute solidarité et s’oppose à toute idée de soutien de ces titres, par la BCE par exemple. Des titres grecs ? On veut rire ! Alors que ce n’est pas drôle et qu’on est dans des choses sérieuses ! Des titres italiens ? Pour se retrouver dans la même situation que les porteurs de dettes espagnoles ! Les investisseurs ont compris. Pour ne rien risquer, puisqu’il n’y a pas de dettes européennes sur le marché, s’ils veulent constituer des réserves en euro, il ne leur reste qu’à acheter des titres allemands ! Du solide quoi ! Si la zone euro vole en éclat, on n’aura pas tout perdu ! Voilà bien de l’anti-mutualisation ! L’euro disent les Allemands est la monnaie commune de la zone euro, mais pour détenir de la monnaie commune il vaut mieux mettre son argent en Allemagne.

Jens Weidmann sait bien, au surplus, que chaque fois qu’il se lance dans un propos déstabilisateur, chaque fois qu’il entend réserver à l’Allemagne le droit de jouer sa petite musique financière, il démolit toute chance de voir un investisseur euro chercher un autre débiteur…que l’Allemagne. Allons, l’Allemagne peut-être fière du Gouverneur de la Buba !

Cauchemardons le marché monétaire européen ! Nous sommes des Chinois, nous importons des biens et services en provenance de l’Espagne… nous avons besoin de mettre de gros montants d’euros en réserve dans cette perspective. Nous n’hésitons pas … nous achetons des titres allemands ! Nous n’aurons pas un sou pour rémunérer notre placement, parce que l’Allemagne reçoit tout les fonds destinés à constituer les réserves de change en euro du monde entier. Du coup, trop d’offre d’argent, aboutit à un effondrement du prix de l’argent …pour les Allemands. Quant aux Espagnols, le préfinancement de la commande chinoise leur coûtera 6 à 8%....la raison ? Voici une conséquence directe de la vaporisation du marché de la liquidité européenne.

Ce marché est à ce point inexistant que toute injection de fonds d’où qu’elle parte finit sa course en Allemagne. Ce n’est plus un marché où l’argent roule entre partenaires, selon une offre et une demande, dans le cadre d’une monnaie sous la régulation d’une banque centrale, la BCE, mais une anomalie géo-monétaire. Une zone « singulière », l’Allemagne, s’y comporte comme un « trou noir » en physique astronomique, aspirant, siphonnant tous les flux monétaires qui passent à proximité de l’Europe. Où pour parler « monnaie », toute détention d’euro dans les réserves des banques centrales se résout en un investissement dans la dette allemande. Où, continuons à cauchemarder, les mouvements de compensation, via le fameux système « target », les mouvements internes de liquidité, via les crédits de la BCE en faveur des banques européennes, (c’est son job de banque centrale que de réguler la liquidité interbancaire),  provoquent des concentrations de créances des banques allemandes sur leurs homologues. Pire (c’est un cauchemar, donc le pire est sûr) puisque prêtant de l’argent, sans le vouloir, aux banques européennes, les bonnes et sincères banques allemandes, en arriveraient peut-être à financer sans le vouloir les Etats européens. Encore plus pire : donc, la mutualisation s’insinuerait encore par un autre interstice. Pire du pire : elles deviennent aussi massivement créancières de la BCE et, à ce titre, lui fournissent des capitaux, de la liquidité qui lui permet de refinancer des banques qui n’ont pas honte de financer des Etats.

Jens Weidmann a juridiquement raison. La BCE, selon l’article 123 ne peut pas faire de crédit aux Etats, directement ou indirectement. Il a économiquement tort : La BCE doit tout faire pour que l’argent circule également entre tous les agents de la Zone euro. Elle doit procéder à l’achat massif de dettes privées ou publiques si cette politique permet aux investisseurs de penser que la zone Euro est homogène et unique qu’il ne s’agit pas d’une sorte de zone obscure où l’argent circule au gré des cahots, bloqué parfois, dévié souvent sans que rien ne puisse s’y opposer.

A moins que Jens Weidmann ait une mission précise dans la vie politique allemande : celui qui après un accord signé par le pouvoir politique, a pour mission de le rendre inopérant. Ce ne serait pas alors un « Scud » entre les mains d’Angela Merkel, mais un Doberman.

En raison de débordements, nous avons fait le choix de suspendre les commentaires des articles d'Atlantico.fr.

Mais n'hésitez pas à partager cet article avec vos proches par mail, messagerie, SMS ou sur les réseaux sociaux afin de continuer le débat !