(Enième) chantier de la réforme de l'Etat : et si on commençait par se souvenir que l'argent public est avant tout l'argent du public <!-- --> | Atlantico.fr
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Le projet de loi de finances prévoit une répartition tripartite : 10 milliards demandés aux ménages, 10 milliards demandés aux entreprises et un effort de gestion de 10 milliards de la part de l'Etat.
Le projet de loi de finances prévoit une répartition tripartite : 10 milliards demandés aux ménages, 10 milliards demandés aux entreprises et un effort de gestion de 10 milliards de la part de l'Etat.
©Reuters

Perdant-perdant

Le Premier ministre réunit ce lundi l'ensemble du gouvernement pour un séminaire consacré à la réforme de l'Etat. Mais mieux vaudrait ne rien faire que d'engager des mesures inutiles et coûteuses comme dans le passé.

Jean-Yves Archer

Jean-Yves Archer

Jean-Yves ARCHER est économiste, membre de la SEP (Société d’Économie Politique), profession libérale depuis 34 ans et ancien de l’ENA

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Le projet de loi de finances a été adopté vendredi dernier en Conseil des ministres et obéit à une répartition tripartite : 10 milliards demandés aux ménages, 10 milliards demandés aux entreprises et un effort de gestion de 10 milliards de la part de l'Etat.

Sans être fin observateur, on notera d'emblée que la ponction sur la société civile représente deux tiers de l'effort national et que les 10 milliards de l'Etat sont à rapprocher des 292 milliards de charges nettes inscrites dans la loi de finances initiale pour 2012. Un effort, mais modeste. Sans être aveuglément pessimiste, on notera aussi que l'hypothèse de croissance retenue de 0,8% ne s'inscrit pas - hélas - dans une perspective macro-économique crédible, loin s'en faut. Ce budget connaîtra donc un correctif en cours d'année qui obligera l'Etat à une remise en cause, et à se poser aussi la question de sa réforme.

La réforme de l'Etat est une notion qui recouvre des subdivisions distinctes qu'il est hasardeux de mélanger.

En premier lieu, la réforme de l'Etat, c'est la définition du périmètre de ses actions. Que doit faire l'Etat ? Pour prendre un exemple passé, fallait-il nationaliser autant de banques en 1982 ou seulement les plus grandes ? On aboutit tout de suite à la question du rapport dépenses-opportunité.

En deuxième lieu, la réforme de l'Etat tient à son organisation interne : autrement dit, à l'organisation de cette gigantesque machinerie et à la gestion de ses personnels.

En troisième lieu, la réforme de l'Etat concerne ses modes de gestion et sa capacité à gérer les euros levés par l'impôt.

1 - Le périmètre des actions de l'Etat :

De toute évidence, ce périmètre relève des arbitrages des plus hauts responsables de l'Etat qui décident de créer telle activité (exemple : le ministère de la Culture d'André Malraux sous le Général de Gaulle) ou de recentrer telle autre (politique de privatisation).

Pour s'en tenir à la seule Ve République, il est marquant de constater que l'Etat aura souvent été contra-cyclique. On se souvient par exemple du gouvernement de Lionel Jospin refusant de privatiser une partie de France Telecom alors que l'entreprise était formidablement valorisée en Bourse du fait de ce qui s'avérera être la bulle Internet. Il serait objectivement fastidieux de reprendre la liste des occasions manquées, des "pertes de chance" comme dirait la Cour de cassation en matière de réforme du périmètre de l'Etat.

Songeons seulement que le premier des ministres à porter le titre de "ministre de la Réforme administrative" a été nommé le 4 mai 1947 en la personne de Pierre-Henri Teitgein.

2 - L'organisation interne de l'Etat :

On rencontre là le seul ministre dont nombre de Français se souviennent : Gaston Defferre, chargé en 1981 de la réforme territoriale, autrement dit de la décentralisation.

Sur le papier, nous avons été des millions à penser que c'était une bonne idée : on allait alléger le mammouth cher à Claude Allègre et administrer de près, autrement dit rendre de meilleures décisions.

Sur le fond, je demeure un vigoureux partisan de la décentralisation mais regardons loyalement le bilan que Gaston Defferre ou François Mitterrand ne pouvaient pas prévoir. Les autorisations de permis de construire données aux maires ont donné des aberrations, voire des prises de risques inconsidérées (inondations en Vendée après le passage de la tempête Xynthia). Les départements ont continué à doublonner leurs personnels avec les fonctionnaires déconcentrés (exemple des services de l'équipement) tout en menant la grande vie dans la plupart des cas par-delà l'exemple de feu Georges Frèche. Les régions, collectivités territoriales - elles aussi - de pleine compétence ont mené des actions parallèles non coordonnées avec les départements.

Alors que la décentralisation était et demeure un beau projet, la réforme de l'Etat et des collectivités locales a été dévoyée et représente un lourd tribut pour les finances publiques. A y regarder de près, si une réforme plus ponctuelle et modeste avait été engagée, la France serait moins endettée. A regret, il faut conclure que sur ce sujet on a laissé se déployer des mesures vénéneuses, là où un certain conservatisme aurait été plus efficace.

L'organisation de l'Etat a parfois été profondément modifiée, un peu à l'insu de l'électeur voire du citoyen. Deux exemples : d'une part, l'Etat a fait migrer la DGT (Direction générale des Télécommunications) qui était un service intégré du ministère vers la notion d'entreprise publique puis d'entreprise privée : France Telecom / Orange. Ceci a représenté un vrai bouleversement - comme nous le savons tous - pour les agents et leurs missions. Le paradoxe étant que désormais, une forte politique d'externalisation fait que le client rencontre plus fréquemment un sous-traitant plus ou moins expérimenté qu'un technicien d'Orange. Là aussi, si la réforme s'imposait, l'Etat devait en assurer le suivi afin d'éviter un passage trop brutal à un autre type de management (voir suicides).

D'autre part, l'Etat - pourtant sensible aux taxes sur le tabac - a fait migrer la SEITA de service du ministère du Budget vers la notion d'entreprise publique, puis privée, puis fusionnée avec un concurrent espagnol pour aboutir à la création d'Altadis. Afin d'éviter tout drame social (usines de Morlaix, de Lille, etc.) l'Etat a été obligé de mettre sérieusement la main au gousset. Cette mesure était-elle utile rapportée aux foyers de déficit budgétaire de l'Etat ? Etait-ce la plus urgente ? La question mériterait d'être posée si nous disposions des coûts complets de l'opération pluriannuelle.

3 - Les modes de gestion de l'Etat :

Depuis plus de 40 ans, les ministres Raymond Barre, Pierre Joxe et Edouard Balladur n'ont cessé de vouloir améliorer les modes de gestion de l'Etat. Un effort intéressant avait été accompli par Michel Debré et la "rationalisation des choix budgétaires". A l'inverse, certaines politiques d'économies et de reports permanents d'engagements coûtent chers. Il a été démontré que les reports que l'Etat a imposés à Dassault ont surenchéri le coût d'achat des Rafales. On fait une économie à l'année 1 pour payer plus à l'année 2. C'est typiquement une mesurette budgétaire de confort pour boucler un dossier de loi de finances qui débouche sur une opération perdant-perdant. L'ancien ministre et rigoureux André Giraud avait montré que certaines réformes de l'Etat en matière de politique industrielle avait coûté plus chères qu'une éventuelle inaction (voir CEA).

Parallèlement, la Cour des comptes a montré vertement les limites de la RGPP (Révision générale des politiques publiques) qui a davantage démembré que restructuré et qui a eu des coûts induits regrettables (honoraires des consultants auditeurs etc.).

Les modes de gestion de l'Etat n'insistent jamais, auprès des agents - comme en Suède, Danemark, Finlande, etc. - sur le fait que l'argent public est l'argent du public. Certains dérapages - tels ceux des "Agences" analysées récemment par l'Inspection des Finances à hauteur de 50 milliards d'euros - sont un exemple dont l'Etat s'affranchit de toute discipline. On proclame une politique de vertu, on laisse sur des décennies prospérer le laxisme et les surcoûts avec, en plus, un bilan technique contestable (voir l'Agence nationale de sécurité du médicament et des produits de santé, ANSM, dans l’affaire du médiator).

Au demeurant, les modes de gestion de l'Etat ne sont pas que comptables : ils vont parfois à la racine de l'existence d'un service. Songeons à la récente altercation entre les ministres Montebourg et Moscovici au sujet des missions et modalités de travail de la prestigieuse et puissante Direction du Trésor.

Gageons que les choses seront plus tempérées entre Madame Lebranchu (ministre actuelle de la Réforme de l'Etat) et le dynamique ministre de l’Intérieur, Manuel Valls, qui a lancé un audit pour savoir si le nombre de sous-préfectures se justifiait. Le ministre Valls aura bientôt sur son bureau l'audit attendu. Il pourra alors s'inspirer du courage de Raymond Poincaré, ancien président de la République (1913-1920), qui fit adopter en tant que président du Conseil le décret du 10 Septembre 1926 qui supprima 106 sous-préfectures. Notre pays en compte 238 actuellement et ceci représenterait une réforme de l'Etat par l'impact organisationnel sur les préfectures. Sur quel bilan aboutira-t-elle ?

A l'heure où les moyens de communication modernes simplifient tant de choses, il est parfois stupéfiant de voir la complexité de la décision administrative. Cela aussi a un coût et mériterait d'être examiné plutôt que certaines pseudo-rationalisations sauvages. Prenons ainsi l'exemple des hôpitaux de proximité qui sont parfois fermés uniquement sur des critères numériques. Ainsi l'Etat oublie - par défaut de mesure en coûts complets - que les patients seront dans l'obligation de refacturer leurs transports : dans le Limousin, certaines personnes en chimiothérapie lourde ont 130 kilomètres aller-retour à effectuer. Il est urgent d'intégrer des paramètres qualitatifs dans les calculs de rationalisation de structures de l'Etat sinon demain sera pire qu'hier.

A tous ces ministres de la Réforme administrative qui pensaient bouleverser l'Etat et ont souvent compliqué les dossiers, il faut renvoyer à des discours très instructifs de l'érudit Jean-François Deniau (ministre en 1980) qui indiquait que son poste supposait de prendre du recul et de comprendre la société.

Le véritable enjeu est là : on ne réforme pas l'Etat sans d'abord penser à la société qu'il sert comme l'a écrit le doyen Georges Burdeau dans son traité de science politique. A défaut, on s'échoue sur la plage des illusions avec la citation de Jean Rostand  (Pages d'un moraliste) : "Les mauvais effets d'une juste réforme ne condamnent point cette réforme, mais la société".

Ces deux lignes ne décrivent-elles pas les tentatives de réforme de l'Etat dont le coût est, de surcroît, indéterminé ?

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