Tensions sur le droit au blasphème : voit-on assez le méthodique jihad juridique engagé depuis plus de 20 ans ? (Partie 2)<!-- --> | Atlantico.fr
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Analyse géopolitique à la suite des violences dans le monde en réaction au film "Innocence of Muslims" et les caricatures de Mahomet parues dans Charlie Hebdo.
Analyse géopolitique à la suite des violences dans le monde en réaction au film "Innocence of Muslims" et les caricatures de Mahomet parues dans Charlie Hebdo.
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Analyse

Le décryptage géopolitique d'Alexandre del Valle suite aux violences dans le monde en réaction au film anti-islam et aux caricatures de Mahomet publiées dans Charlie Hebdo. Seconde partie.

Alexandre del Valle

Alexandre del Valle

Alexandre del Valle est un géopolitologue et essayiste franco-italien. Ancien éditorialiste (France SoirIl Liberal, etc.), il intervient dans des institutions patronales et européennes, et est chercheur associé au Cpfa (Center of Foreign and Political Affairs). Il a publié plusieurs essais en France et en Italie sur la faiblesse des démocraties, les guerres balkaniques, l'islamisme, la Turquie, la persécution des chrétiens, la Syrie et le terrorisme. 

Son dernier ouvrage, coécrit avec Jacques Soppelsa, Vers un choc global ? La mondialisation dangereuse, est paru en 2023 aux Editions de l'Artilleur. 

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Comble du paradoxe : les principaux Etats partisans de la pénalisation de l’islamophobie au sein de l’OCI sont les plus christianophobes ou les plus intolérants : Arabie saoudite, Soudan, Pakistan ou Turquie (candidate à l’entrée dans l’UE mais niant toujours le génocide d’un million et demi de chrétiens arméniens et araméens...) Rappelons qu’à l’intérieur de l’OCI et du Conseil de Droits de l’Homme de l’ONU (CDH), le plus virulent promoteur de la pénalisation de l’islamophobie, le Pakistan, persécute officiellement ses minorités à travers un Code pénal qui condamne à mort les "blasphémateurs" ou les prosélytes chrétiens qui "insultent l’islam". Rappelons qu’en 2011, l’ancien ministre pakistanais des minorités, chrétien, Shahbaz Bhatti, puis l’ancien gouverneur du Penjab, musulman, furent tués pour avoir proposé l’abolition de la loi sur le blasphème et demandé la libération de la célèbre mère de famille chrétienne condamnée à mort pour blasphème, Asia Bibi. C’est ce même Etat qui, en 1999, présenta au CDH une résolution sur la "diffamation de l’islam" (édulcorée ensuite en "diffamation des religions").

Même "deux poids, deux mesures" au Conseil des droits de l’Homme de l’ONU, où l’"islamophobie" de l’Occident est officiellement condamnée, alors que les persécutions des chrétiens et des autres minorités au Pakistan, en Arabie saoudite, au Soudan, au Nigeria ou en Egypte sont systématiquement niées avec la complicité des pays occidentaux qui n’interviennent dans ces instances que pour sanctionner les pays (en général pro-Russes et pro-Chinois ou pro-Iraniens) qui menacent leurs intérêts stratégiques et pétroliers, et qui épargnent toujours les monarchies esclavagistes sunnites "alliées" du Golfe ou du Pakistan qui persécutent les chrétiens et les chiites...

Grâce à cette inversion des responsabilités, on observe que depuis le 11 septembre 2001, non seulement les Etats islamiques les plus liés aux Talibans et à Al-Qaïda (Arabie saoudite, Egypte, Afghanistan et Pakistan) n’ont toujours pas entrepris leur nécessaire autocritique, mais ils ont été auto-exonérés de combattre les racines idéologico-théologiques du totalitarisme islamiste (qu’ils favorisent dans leurs chancelleries et madrasas) en accusant Occidentaux et "sionistes" de "persécuter" les musulmans et "salir l’islam".

Ainsi, en mars 2008, après trois années de violences islamistes en "réaction" aux "caricatures" de Mahomet ou au discours "islamophobe" de Benoît XVI, l’ONU adopta une résolution de l’OCI condamnant la "diffamation des religions" (en fait de l’islam). L’Assemblée générale se déclara "profondément blessée par la diffamation de la religion et de l’islam dans le monde entier et en particulier dans les démocraties occidentales", en prétextant que les guerres d’Irak et d’Afghanistan étaient des "génocides" de musulmans, mais elle passa totalement sous silence les massacres de chrétiens dans le sud Soudan ou ailleurs…

L’OCI exigea que les démocraties occidentales pénalisent l’"islamophobie". En 2010, une autre Résolution fut adoptée par le CDH condamnant l’initiative populaire suisse interdisant les minarets. En juin 2011, un Comité du Conseil des droits de l’homme décida d’abandonner le concept de "diffamation des religions", en rappelant que les lois anti-blasphème comme celles en vigueur en Égypte, en Arabie Saoudite ou au Pakistan violent les Droits de l’homme.

Mais ce concept liberticide fut reformulé par l’OCI avec la Résolution “16/18″ adoptée le 19 décembre 2011 au Conseil des Droits de l’homme, résolution qui combattait "l’intolérance, les stéréotypes négatifs, la stigmatisation, la discrimination, l’incitation à la violence contre des personnes en raison de leur religion ou de leur croyance".

Le "Processus d’Istanbul"à l’assaut de la liberté d’expression

La nouvelle stratégie pour appliquer la ‘’Résolution 16/18’’ fut conçue par le Secrétaire général de l’OCI, Ekmeleddin Ihsanoglu (diplomate turc nommé par le parti islamiste AKP au pouvoir à Ankara), lors d’une réunion internationale de l’OCI organisée à Istanbul en juillet 2011. Cette "Conférence d’Istanbul" appelait à interdire toute critique de l’islam sous le prétexte de combattre "l’intolérance contre les religions". Elle permit de faire avancer de façon nouvelle la notion de "diffamation des religions" appliquée aux Droits de l’homme.

Le texte de l’OCI invitait à "créer l’environnement nécessaire favorable à l’interdiction de la diffamation des religions et l’incitation à la haine, à la violence et à la discrimination pour des motifs religieux (…) soulignant l’importance des limites au droit à la liberté d’opinion et d’expression, dans un cadre structuré multilatéral et à la lumière des événements comme le brûlage du Coran, selon le test des conséquences".

Or ce concept très dangereux, qui nous ramène à l’actualité des caricatures de Mahomet et du film anti-islam, repose sur une formidable inversion des responsabilités : il ne rend pas les fanatiques responsables des violences mais les caricaturistes eux-mêmes, accusés de "provoquer" les réactions violentes des islamistes, simples "conséquences" de l’islamophobie, d’où l’impératif de la punir légalement. La "Déclaration d’Istanbul" alerte le monde à propos "des implications (conséquences) dangereuses de la montée de l’islamophobie sur la paix et la sécurité mondiales. Nous insistons sur la nécessité de développer à l’ONU, y compris au Conseil des Droits de l’homme, un instrument institutionnel juridiquement contraignant afin de promouvoir le respect de toutes les religions et les valeurs culturelles et de prévenir l’intolérance, la discrimination et l’incitation à la haine contre un groupe ou les adeptes d’une religion". Après la première réunion d’Istanbul du 12 au 14 décembre 2011, l’OCI rencontra à Washington l’Administration Obama afin de convaincre le Président américain d’adhérer au "Processus d’Istanbul " et de mettre en oeuvre la Résolution 16/18 de 2011.

Avec l’approbation officielle d’Hillary Clinton, l’OCI marqua un coup diplomatique majeur. Désormais, c’est l’Union européenne qui envisage d’accueillir la prochaine réunion du "Processus d’Istanbul".  

Les démocraties du monde entier doivent refuser toute forme de limitation ou de pénalisation du droit d’expression, y compris celui de critiquer les religions, même les plus "susceptibles". Car certains principes universels ne sont ni négociables ni "adaptables" en fonction des cultures religieuses, ou alors il faudrait admettre le sacrifice humain, l’esclavagisme ou l’infériorité des sous-castes sous prétexte qu’ils sont permis dans certaines religions. Il convient donc de retourner contre les fanatiques les mêmes armes redoutables qu’ils utilisent pour accabler les démocraties laïques, en rappelant notamment que nombre de pays de l’OCI persécutent ou tuent les non-musulmans, les musulmans libéraux et les incroyants en toute impunité. Les démocraties occidentales, de culture judéo-chrétienne, doivent agir elles-aussi au sein des Nations unies afin de dénoncer l’accusation-miroir de l’OCI qui reproche "l’islamophobie" de l’Occident mais cautionne la christianophobie islamique légitimée par les "lois anti-blasphème" ou "anti-prosélytisme".

La triste réalité est que l’islamisme radical antioccidental, tel que conçu et diffusé jusque dans les banlieues européennes par les prédicateurs salafistes formés dans des pays soi-disant "alliés"(Pakistan, Arabie saoudite, etc), est le système de haine globale le plus combattif et efficace, l’idéologie totalitaire antisémite et christianophobe la plus en vogue. Partout, ce "fascisme vert" anti-occidental progresse grâce à la peur qu’il suscite et à la violence qu’il déploie. Et ceci doit hélas beaucoup aux médias occidentaux qui font plus d’audimat avec les barbus fanatiques qu’avec des musulmans libéraux... Or, d’évidence, les premières victimes de ce "fascisme religieux" sont les minorités et les musulmans modérés, qui vivent sous la menace et la terreur permanentes. Un phénomène croissant que le "Printemps arabe" (vite devenu un "hiver islamiste") n’a pas endigué, mais plutôt accéléré. Car de Rabat à Sanaa, en passant par Tunis, Damas ou Bagdad, la source de légitimité du pouvoir est la Charià, qui, lorsqu’elle est appliquée dans sa version orthodoxe ou radicale, n’est jamais une bonne chose pour les minorités et les adeptes de la liberté…

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