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Syrie : la diplomatie française ouvre-t-elle enfin les yeux sur les enjeux du conflit ?
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18 mois plus tard...

Lors de son discours à l'ONU, François Hollande s'en est tenu au mélange d'indécision et d'impuissance qui caractérise la diplomatie française sur le dossier syrien. En revanche, les déclarations de Laurent Fabius semblent montrer que le discours politique évolue.

Frédéric Pichon

Frédéric Pichon

Frédéric Pichon est diplômé d’arabe et de sciences-politiques. Docteur en histoire contemporaine,  spécialiste de la Syrie et des minorités, il est chercheur associé au sein de l'équipe EMAM de l'Université François Rabelais (Tours).

 Il est également l'auteur de "Syrie : pourquoi l'Occident s'est trompé" aux éditions du Rocher,  "Voyage chez les Chrétiens d'Orient", "Histoire et identité d'un village chrétien en Syrie" ainsi que "Géopolitique du Moyen-Orient et de l'Afrique du Nord".

Il anime en parallèle le site Les yeux sur la Syrie.

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Si l’on en croit la position de la France exprimée mardi par le Président de la République à la tribune de l’ONU, il semblerait que le mélange d’indécision et d’impuissance qui a caractérisé la position française depuis les débuts de la crise syrienne doive perdurer. Mais la rhétorique étant une des formes de l’action diplomatique, la France ne peut qu’adresser un message global de déploration d’une situation sans doute très mal évaluée dès le départ. En cause, la bonne résistance d’un régime militaire soudé autour des intérêts communautaires des minorités et doté d’un armement défensif performant, en particulier en matière de défense anti-aérienne. Mais en ce début de semaine, les déclarations de Laurent Fabius viennent corroborer certaines informations accréditant l’idée que la position française peut évoluer.

Passons sur le constat d’ "un blocage au niveau du Conseil de sécurité", le ministre regrettant que "deux pays au moins" refusent d'autoriser une intervention militaire. En réalité, le veto russo-chinois sur la question fait les affaires des pays occidentaux, puisque techniquement ils réalisent enfin le coût insupportable que représenterait une intervention [1].

Mais là où les déclarations du ministre sont intéressantes, c’est que l’option d’une intervention étant écartée, l’inéluctable partition du territoire syrien ("Plus le conflit dure, plus les oppositions s'exaspèrent et plus le risque d'éclatement de la Syrie, qui serait une chose extrêmement dangereuse") est envisagée à présent comme la suite normale de la guerre de basse intensité qui ravage le pays depuis maintenant 18 mois. Si le nord de la Syrie pourrait devenir une « zone libérée » avec Alep comme capitale, adossée au territoire turc, il est probable que plusieurs autres réduits devraient aussi se créer et en premier lieu, comme c’était prévisible – et annoncé – une zone kurde, de fait quasiment autonome, l’antenne syrienne du PKK, le PYD, ayant habilement manœuvré dès les débuts pour s’affranchir à la fois du pouvoir central et d’une implication claire au côté de l’opposition. Une situation que la Turquie voit d’un très mauvais œil et qui accentue encore les tensions comme l’actualité le démontre chaque jour depuis plus de 6 mois : qu’il s’agisse des multiples bombardements effectués en territoire irakien par l’aviation turque ou des attentats perpétrés par le PKK en Turquie même.

D’autres zones sont déjà en voie de constitution comme le fameux « réduit alaouite » le long du littoral syrien et qui a terme pourrait devenir un bastion inexpugnable pour les cercles proches du pouvoir et les populations appartenant à cette minorité qui sera inévitablement victime de sanglants règlements de compte. Les druzes de Syrie, au nombre de près de 600 000, présents au Nord mais aussi et surtout au Sud,  sur le Golan et le long des frontières libanaise et jordanienne dans le Djebel druze forment une zone de peuplement compacte et particulièrement homogène. Leurs connexions et les solidarités transfrontalières qu’ils entretiennent notamment avec les druzes d’Israël, pour la plupart citoyens israéliens, compliquent encore les choses. Quant aux chrétiens de Syrie, leur nombre est estimé à moins de 2 millions : éparpillés en de multiples Eglises, ils ne disposent d’aucun réduit territorial et émigreront en masse pour les plus chanceux.

Autre point intéressant de la déclaration du ministre : la présence "d'éléments djihadistes" sur le terrain. Nous sommes en septembre 2012. On accordera à tous ceux qui ont averti de ce danger il y a plus d’un an d’avoir été lucides, qu’il s’agisse des divers services de renseignement dont les rapports alarmistes mais confidentiels se sont empilés sur le bureau des ministres successifs ou des experts qui ont eu le droit en public à toutes sortes d’épithètes pour avoir osé répéter une des vieilles rengaines du gouvernement syrien qui se plaint (tout en l’ayant certainement en partie provoqué) d’avoir en face de lui des « terroristes stipendiés par l’étranger ». Que cherchent en réalité le Qatar et l’Arabie Saoudite, si peu soucieux de démocratie chez eux et qui sont les plus actifs, les plus influents, y compris auprès des chancelleries occidentales, sinon à affaiblir l’Iran qui est leur principale menace dans la région ?

Les armes et les fonds affluent massivement de ces pays en direction de groupes rebelles qui cherchent à se faire reconnaître et financer par ces généreux donateurs, quitte à faire de la surenchère dans le discours fondamentaliste. L’affiliation religieuse, wahhabite ou salafiste, est devenue la règle, sans compter les centaines de djihadistes étrangers qui affluent en Syrie. A présent, le discours occidental semble s’infléchir :  il a fallu le témoignage choc d’un courageux chirurgien français, Jacques Bérès, de retour d’Alep en septembre et expliquant son malaise face à une recrudescence de la présence de combattants djihadistes faisant pour certains l’éloge de Mohammed Merah ; l’agitation causée par le film anti-islam dont il faut rappeler que la diffusion dans le monde arabe a été orchestrée par les salafistes égyptiens eux-mêmes et l’assassinat de l’ambassadeur américain en Libye ; enfin la destruction des mausolées vénérables au Mali et les mutilations infligées en application de la charia aux populations maliennes.

Alors gageons que la diplomatie secrète reprenne le dessus et que l’on reconsidère la situation en tenant compte des positions russes en la matière qui loin des caricatures (la Russie par exemple n’a aucun besoin des ventes d’armes à la Syrie, elle qui tire 150 milliards de dollars annuels de ses exportations d’hydrocarbures) sont certainement les plus prudentes et les plus raisonnables, y compris pour l’avenir de l’Occident lui-même. La diplomatie russe l’a rappelé à de nombreuses reprises : la personne de Bachar el Assad importe peu, ce qui est en jeu est la stabilité de la région. Et en l’occurrence, tout le monde y a intérêt. Même au prix d’un revirement complet de politique, s’il n’est pas déjà trop tard pour arrêter le massacre.


[1] Brian T Haggerty : Safe havens in Syria: missions and requirements for an air campaign, SSP Working Paper, juillet 2012, ou Daniel Trombly : The cost of a Syrian intervention, US Naval Institute, 22 août 2012.

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