Suppressions de postes chez Sanofi : cinq questions pour comprendre la polémique<!-- --> | Atlantico.fr
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Chris Viehbacher, directeur général de Sanofi.
Chris Viehbacher, directeur général de Sanofi.
©Reuters

Mal de tête

Sanofi a annoncé mardi la suppression d'environ 900 postes en France d'ici 2015 sur la base du volontariat. Les syndicats de l'entreprise réclament l'abandon de ce plan social et estiment avoir été "lâchés" par le gouvernement.

Éric Verhaeghe

Éric Verhaeghe

Éric Verhaeghe est le fondateur du cabinet Parménide et président de Triapalio. Il est l'auteur de Faut-il quitter la France ? (Jacob-Duvernet, avril 2012). Son site : www.eric-verhaeghe.fr Il vient de créer un nouveau site : www.lecourrierdesstrateges.fr
 

Diplômé de l'Ena (promotion Copernic) et titulaire d'une maîtrise de philosophie et d'un Dea d'histoire à l'université Paris-I, il est né à Liège en 1968.

 

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L’annonce d’un plan de sauvegarde de l’emploi de 900 salariés chez Sanofi a remis au centre du débat politique la question des licenciements boursiers. La nouvelle majorité avait annoncé un projet de loi destiné à taxer les entreprises qui se livrent à cet exercice peu ragoûtant. Et le ministre du Redressement productif avait déclaré que le plan annoncé par Sanofi était «inacceptable».

Loin des passes d’armes médiatiques, il n’est pas inutile de revenir aux fondamentaux du débat.

1° Sanofi procède-t-elle à des licenciements boursiers aujourd’hui ?

Si l’on prend le temps de dépasser les effets de manche habituels, Sanofi ne procède pas aujourd’hui à des licenciements boursiers. Pour une raison simple : le cours de l’action se situait autour de 50 euros en décembre 2011, et il a stagné autour de 55 euros jusqu’au mois de juin, pour atteindre près de 70 euros depuis juillet. Les analystes de Morgan Stanley voyaient alors dans le développement de la molécule anti-PCSK9 une vraie raison d’attendre une progression forte des résultats de l’entreprise.

Le plan de sauvegarde de l’emploi proposé par Sanofi ne repose donc sur aucune stratégie boursière à court terme : l’action a atteint son objectif de cours fixé par les analystes et ne cesse de monter depuis un an. Il ne peut pas s’apparenter, au sens strict du terme, à une décision destinée à redresser le cours de l’action.

En revanche, la situation financière de Sanofi est loin d’être négative, et le plan annoncé correspond plutôt à une politique de rationalisation interne, fondée sur des objectifs financiers précis, et même rigoureux, portés par une direction obsédée par la rentabilité de l’entreprise.

2° L’indignation contre le plan social de Sanofi est-elle sélective ?

Oui ! Quand, en octobre 2010, Sanofi a licencié 1 700 salariés aux USA, aucun leader politique français, et aucun militant du Front de Gauche n’a bronché contre les décisions extrêmement brutales d’une multinationale française à l’étranger. Et lorsque les médias américains se sont indignés de voir, quelques mois plus tard, Sanofi acheter 20 milliards de dollars cash le laboratoire Genzyme spécialisé, aux USA, dans les maladies rares, aucun Français aujourd’hui hostile au plan de sauvegarde de l’emploi annoncé en France n’a levé le petit doigt pour s’inquiéter des pratiques sociales de Sanofi à l’étranger.

En réalité, le patron de Sanofi conduit son entreprise avec des objectifs de rentabilité qui le poussent sur les marchés les plus lucratifs et qui condamnent immanquablement les marchés les moins profitables. Les salariés français de Sanofi en font les frais. Mais il est un peu tard pour se réveiller : les salariés étrangers du groupe l’ont subi dans l’indifférence complète des bonnes consciences républicaines.

Pour mémoire, Sanofi emploie 110 000 personnes, avec des usines dans sept pays européens. Moins du quart de ces salariés travaillent en France.

3° L’Etat porte-t-il une responsabilité dans les décisions de Sanofi ?

Rappelons ici que Sanofi constitue l’un des plus beaux exemples de la privatisation récente d’entreprises publiques. En 1973, Elf Aquitaine, entreprise publique, filialise une équipe dans le domaine de la santé : Omnium Financier Aquitaine, qui devient Sanofi, cotée en bourse à partir de 1980. Sanofi n’a donc rien à voir avec l’entreprise partie de rien sur la foi et l’engagement d’un entrepreneur. Grâce à la manne pétrolière, elle se lance avec un capital de départ de 500 millions de francs, qu’elle ne tarde pas à faire prospérer par différentes opérations de rachat.

En 1973, L’Oréal rachète de son côté Synthélabo, inventeur de l’Aspégic. Cette filiale du groupe de cosmétiques s’agrandit également par différentes opérations, et par l’invention du Stilnox, somnifère qui produit 500 millions de chiffre d’affaires. Malgré tout, la situation de Synthélabo n’est guère florissante, et l’offre de fusion présentée par Sanofi tombe à point nommé.

En 1998, les deux entreprises fusionnent et donnent naissance à Sanofi-Synthélabo, qui rachète, en 2004, Aventis. Ce géant de la pharmacie était lui-même né, en 1999, de la fusion de Rhône-Poulenc, entreprise nationalisée en 1982, de Roussel-Uclaf, fondé grâce aux aides publiques en 1947.

Autrement dit, le patrimoine culturel de Sanofi est largement celui d’une entreprise publique. D’ailleurs, son actionnariat reste majoritairement détenu par Total et L’Oréal, deux entreprises bien connues pour les liens privilégiés qu’elles ont toujours entretenus avec les pouvoirs publics, selon la règle de l’endogamie capitalistique française.

Il serait au passage tout à fait intéressant de connaître le montant des remboursements de médicaments par la sécurité sociale qui profitent à Sanofi. Le Stilnox, remboursé à 65%, est le 5è médicament le plus vendu en France, à hauteur de 15 millions de boîtes annuelles (soit 35 millions d’euros de chiffre d’affaires pour ce seul pays, donnant lieu à une prise en charge par la sécurité sociale à hauteur d’environ de 25 millions d’euros environ).

4° Les salariés sont-ils sans défense contre le plan social qui s’annonce ?

Le Code du Travail oblige un employeur qui procède à plus de 10 licenciements dans un délai de 30 jours à formaliser un plan de sauvegarde de l’emploi. S’il se soustrait à cette obligation, l’administration a la faculté d’intervenir pour constater la carence. Celle-ci peut en outre modifier ou compléter le plan de sauvegarde de l’emploi.

Les salariés peuvent saisir le juge de l’irrégularité d’un plan social. Dans une série de jurisprudence retentissante, celui-ci a plusieurs fois rendu des décisions considérant que le plan n’avait pas de motif économique sérieux.

Si les salariés ne sont pas désarmés face aux plans sociaux, certains ont toutefois regretté que le contrôle judiciaire n’intervienne qu’a posteriori. C’est l’un des enjeux de la négociation sur la sécurisation de l’emploi qui s’ouvre, où le gouvernement a pudiquement demandé aux partenaires sociaux de sécuriser les PSE. C’est-à-dire d’imaginer une formule où, en échange d’une intervention accrue des représentants du personnel dans la phase préparatoire du plan social, les recours devant le juge ne seront plus possibles.

5° Les salariés ont-ils intérêt à accepter le Plan de Sauvegarde ?

Sans hésitation, la réponse est oui. Pour des raisons de bon sens : tant que l’entreprise est solvable, elle peut concéder des clauses très favorables aux salariés en échange de leur départ. Le jour où la situation financière se tend, les marges de manoeuvre se réduisent fortement.

Dans le cas de Sanofi, il paraît réaliste d’obtenir des clauses de départ prévoyant des indemnités égales à au moins trois ans de salaires, ce qui commence à chiffrer utilement. Pour mémoire, la Société générale a proposé un plan de départ pour 1 500 salariés au printemps 2012. Et a dû gérer un afflux de 6 000 candidats. Comme quoi, un plan de sauvegarde de l’emploi réserve parfois d’étonnantes surprises.

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