Les Seigneurs : loin d'être une comédie sur le foot, une ode à l'amitié masculine<!-- --> | Atlantico.fr
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Les Seigneurs, le nouveau film d'Olivier Dahan, nous offre Barbe-rouge et son équipage en mer d’Iroise ; Les Sept Mercenaires, avec Omar Sy en Yul Brynner.
Les Seigneurs, le nouveau film d'Olivier Dahan, nous offre Barbe-rouge et son équipage en mer d’Iroise ; Les Sept Mercenaires, avec Omar Sy en Yul Brynner.
©DR

Bromance

Le nouveau film d'Olivier Dahan, Les Seigneurs, sort ce mercredi dans les salles. Ses héros s'appellent Omar Sy, Joey Starr, José Garcia, Gad Elmaleh et Ramzy... Une bande de potes venus arpenter Brest et l'île de Molène dans une ambiance décontractée.

Clément  Bosqué

Clément Bosqué

Clément Bosqué est Agrégé d'anglais, formé à l'Ecole des Hautes Etudes en Santé Publique et diplômé du Conservatoire National des Arts et Métiers. Il dirige un établissement départemental de l'aide sociale à l'enfance. Il est l'auteur de chroniques sur le cinéma, la littérature et la musique ainsi que d'un roman écrit à quatre mains avec Emmanuelle Maffesoli, *Septembre ! Septembre !* (éditions Léo Scheer).

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Vous souvenez-vous des pirates dans Astérix, Barbe-rouge, Baba, Triple-patte et les autres, sempiternellement coulés et pourtant toujours prêts à « se refaire ? » Et s’ils n’étaient pas ridicules ni pathétiques ? Et s’ils réussissaient enfin à accomplir quelque chose ? Les Seigneurs, le nouveau film d'Olivier Dahan, nous offre Barbe-rouge et son équipage en mer d’Iroise ; Les Sept Mercenaires, avec Omar Sy en Yul Brynner ! Le film aligne sur son îlot breton une véritable équipe de bras-cassés, de glorieux losers, conjuguant l’air ahuri de Gad Elmaleh, le énième rôle de vieux beau cheap de Franck Dubosc, le rire contagieux d’Omar Sy, et la performance « à contre-emploi », comme disent les critiques, de Joey Starr (dont la filmographie, à les croire, se fait d’ailleurs intégralement « à contre-emploi », à se demander s'il ne joue jamais à juste-emploi). « Les îles sont de petits continents en abrégé », disait Bernardin de St-Pierre. Petit abrégé des trésors que recèle l’île des Seigneurs.

Sans contradiction avec la condition d’un football mondialisé, néo-mercantilisé, cible de toutes les imprécations, nombreux sont ceux qui analysent le foot comme support et vecteur d’affirmation des appartenances nationales, mais aussi villageoises ou de classe - pas seulement ouvrière : le foot compte parmi les sports les plus appréciés par les grandes écoles (Igor Martinache, Le football au prisme des sciences sociales, La Vie des idées, 17 juin 2010 ). On retrouve là le principe du « team spirit », du « team-building » cher au coaching d’entreprise et aux manageurs. Jouer collectif. « L'esprit de corps » (G. Lazuech) plutôt que « l’esprit de sport » (P. de Coubertin). Ramzy a donc raison quand il dit que c’est  "un film avec du foot, sur fond de foot, mais pas de foot". Passons en revue les (autres) ressorts du film…

La fascination pour le terroir : cela va changer des petits romans locaux, des douces aquarelles et des associations pour la reconstruction du sémaphore que l’improbable petite île de Bretagne avait inspiré jusqu'ici. Désormais, on viendra à Molène pour marcher dans les pas de Dubosc, Elmaleh, Sy, Garcia, une équipe all-Starr et métis. Mais cela n’est pas incompatible, car Les Seigneurs mise aussi sur une sorte d’exotisme local. Un véritable « souci » du local puisqu’il s’agit de sauver la conserverie de l’île, et plus largement l’attachement à une ambiance franchouillarde, ou le sympathique se conjugue à l’authentique, phénomène qui touche de nombreux films français.  

C’est aussi une affaire de classe d’âge. Impossible de ne pas être frappé par l’ambiance régressive qui règne dans le film. Nostalgie typique de cette génération qui aime à retrouver les disques, les vêtements, les consoles de jeu de sa jeunesse. Les Seigneurs, pas encore seniors, sont des ex-jeunes qui veulent se prouver qu’ils sont encore capables d’en mettre un coup, des quadragénaires qui ne veulent pas lâcher l’affaire. A la limite, ils font moins pitié que les quinquagénaires et sexagénaires d’aujourd’hui et leurs dénégations pathétiques du temps qui passe : au moins les personnages du film s’amusent, jouent de leurs articulations, et tant pis si elles n’ont plus vingt ans. Les femmes, face au caprice de ces grands petits garçons qui veulent jouer au ballon, sont sceptiques, forcément, et le personnage joué par Claudia Tagbo est typiquement castrateur, à la façon de celui qu'interprétait Aretha Franklin dans les Blues Brothers, qui voyait d’un très mauvais œil son mari retourner à ses premières amours guitaristiques…

Enfin, la camaraderie masculine : c’est-à-dire l’ambiance canapé, pizzas, bière, rigolades, et les femmes qui restent en périphérie. Et le foot, évidemment. Chamfort disait que la camaraderie est à l'amitié ce que la galanterie est à l'amour, comme si, ainsi que le véritable amour est à distinguer de l’assiduité un peu grotesque du chevalier servant, la camaraderie était une amitié de second rang. Il est vrai que l'on raille souvent la camaraderie masculine en raison de ces comportements grégaires et de la supposée superficialité des liens qu’elle noue.

L’idée reçue, selon laquelle les femmes seraient plus sociables que les hommes, là où les hommes sont individualistes et portés sur l’action, est battue en brèche par une étude nord-américaine récente qui démontre que, s’il est vrai que le partage intime est une prérogative féminine, le goût masculin pour l’action se double d’une aptitude tout autant affirmée pour la coopération. Là où les femmes exigent de leurs semblables une loyauté similaire à celle qu’on attend de sa famille, les hommes entre eux s'irritent moins de leurs différences, forment des équipes plus volontiers, sont moins affectés par la déception en amitié et sont aussi plus fidèles. Leurs réseaux amicaux sont plus larges, plus interconnectés et plus durables.

Le film d’Olivier Dahan en est une formidable illustration avec l’histoire de ce groupe de copains qui se reforme. Dans une veine sentimentale, on avait Le cœur des hommes, de Marc Esposito (2003, 2007), dans une veine comique La Vérité si je mens, bien sûr, et nombreux sont les films qui reposent sur cette trame. C’est qu’en fin de compte c’est bien la surface qui tient le monde, l’adhésion à un collectif, quand bien même il ne s'agirait « que » d'une équipe de foot amateur. Sensuelles (les accolades et embrassades sont nombreuses, et les acteurs emmenés par Olivier Dahan ne s’en privent pas, exhibant la qualité et la décontractitude entre copains pour la promotion du film), les amitiés masculines cachent bien leur profondeur derrière les apparences… ou bien est-ce justement les apparences qui font leur force ?

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