Europe : pour éviter le Grand bond en arrière, arrêtons de croire au saut fédéral<!-- --> | Atlantico.fr
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Un fédéralisme à marche forcée risque d'accroître le fossé déjà béant entre les citoyens et l'Europe.
Un fédéralisme à marche forcée risque d'accroître le fossé déjà béant entre les citoyens et l'Europe.
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Maison commune

L’idée d’une "fédération d’États-nations", relancée à Strasbourg le 12 septembre par le président de la Commission, José Manuel Barroso, n'a pas trouvé d'écho populaire en France. En cause, l'absence d'identité européenne.

Baptiste Ledan

Baptiste Ledan

Baptiste Ledan est diplômé de l'IEP de Rennes et de l'Institut français de géopolitique. Il fut conseiller auprès du ministre chargé des Affaires européennes, en charge de la presse puis des discours et de la communication.

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« Voulez-vous quitter l'Union européenne ? » « Non ! » répondront la majorité des Français. « Voulez-vous d'une Europe fédérale ? » « Non plus ! », répondraient-ils ici. C'est pourtant ainsi que l'alternative est posée. D'un coté, ceux qui veulent quitter l'Europe ou – ce qui revient au même – caressent l'illusion de la modeler selon leurs désirs ; de l'autre, ceux qui savent devoir s'en accommoder et considèrent comme « inévitable » l'avancée vers une Europe toujours plus intégrée.

Dans ce contexte, l'euroscepticisme progresse, sans s'imposer encore. Les Fronts, de gauche ou national, ont largement devancé le plus « européen » des candidats à la présidentielle de 2012, François Bayrou, mais ce sont les partis de gouvernement qui ont atteint le second tour. Quelle conclusion en tirer ? Que les Français se méfient de la table rase mais ne veulent pas non plus du saut fédéral. Les Français ont raison. L'Europe nous apporte beaucoup : la paix, un vaste espace de libre circulation, la promotion de valeurs qui nous sont chères, un poids dans les négociations commerciales... Mais le fédéralisme est un mirage qui pollue le débat européen.

La raison en est simple : l'identité européenne est trop faible pour faire naître une réelle solidarité entre citoyens européens. Pour faire accepter la solidarité européenne, il est aujourd'hui indispensable de démontrer qu'elle est dans notre propre intérêt. C'est ce que sont parvenus à faire les dirigeants européens pour maintenir la Grèce dans la zone euro. Mais quand il s'agit de mettre en place les harmonisations nécessaires mais non vitales, plus rien n'est envisageable. Jamais les entreprises allemandes n'accepteraient, au nom de la convergence économique, une hausse du coût du travail dans leur pays. Jamais les salariés français n'accepteraient, au nom de l'harmonisation sociale, de retarder leur âge de départ à la retraite, même si celui des travailleurs irlandais ou portugais était avancé en retour.

Les fédéralistes considèrent cet égoïsme comme la cause des difficultés actuelles. Cela est vrai. Mais ils oublient que cet égoïsme est une donnée brute, destinée à perdurer et non un facteur exogène que l'on pourrait abolir. Pourquoi ? Car il n'existe aucun espace public européen. Nous ignorons l'actualité politique ou sociétale de nos voisins et ne partageons pas leurs références culturelles. Rentrez dans n'importe quel bar de France au début du mois de juin et entamez une conversation sur Roland Garros. On vous répondra avec entrain. Idem en juillet avec le Tour de France ou, tous les cinq ans, avec l’élection présidentielle. Quels sont les équivalents européens de ces grand-messes nationales ? L'euro de football ? L'eurovision ? Outre leur écho moindre, leurs frontières ne recoupent pas celle de l'Union Européenne. Quant aux élections européennes... En 2009, le taux de participation moyen était de 42,9 % (40,5 % en France).

Si cet espace public n'existe pas, c'est pour une raison simple : les européens ne parlent pas la même langue. Ils ne lisent donc pas les mêmes journaux, ne regardent pas les mêmes programmes télévisés, ne surfent pas sur les mêmes sites. Si, demain, un « Président de l'Union européenne » était élu au suffrage universel européen, il devra faire campagne dans des pays dont il ignore la langue. Un candidat germanophone et anglophone serait fort dépourvu sur le marché de Tulle. Et il est illusoire de croire que des Français – ou d'autres – se sentiraient plus « européens » en élisant un Président letton.

Dans un contexte de crise économique aiguë, un fédéralisme à marche forcée risque d'accroître le fossé déjà béant entre les citoyens et l'Europe, au point de faire préférer aux citoyens la stratégie du pire. Ce danger est réel. La progression généralisée des partis populistes anti-européens, de droite et de gauche, en atteste.

L'Union européenne est une réalisation historique précieuse. Avec l'euro, elle est peut-être allée trop vite en construisant une union monétaire sans se rendre compte qu'une union économique et politique, quoique nécessaire, était impossible. Mais si la marche arrière est trop coûteuse, la fuite en avant est tout aussi périlleuse. Il est donc l'heure de regarder l'Europe telle qu'elle est, imparfaite et bancale, et d'en colmater les brèches, à tâtons et sans illusion.

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