Quand la Chine rehausse son seuil de pauvreté pour accroître ses performances économiques<!-- --> | Atlantico.fr
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Les Chinois sont attirés par les villes dont la richesse apparente leur fait croire qu'une infime part leur est réservée.
Les Chinois sont attirés par les villes dont la richesse apparente leur fait croire qu'une infime part leur est réservée.
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Cause à effet

En 2011, les autorités chinoises ont relevé le seuil annuel de pauvreté appliqué aux agriculteurs en le portant de 1274 à 2300 yuans. L'objectif : les faire ensuite ressortir de cet état de pauvreté, pour améliorer leur estime d'eux-mêmes et leur soif de nouveaux produits.

Alain Albié

Alain Albié

Alain Albié est un Français expatrié en Chine. Il est rédacteur pour le site Reflets de Chine.

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Il y a maintenant quelques décennies, la pauvreté était un état, de nos jours elle est essentiellement une statistique. En fonction d'un seuil fixé par des experts, dont l'immense majorité n'a aucune idée de ce que cette situation peut représenter comme souffrance, sont publiés des rapports lus essentiellement par des gens riches. Il est ensuite aisé pour les dirigeants politiques de tous bords de jouer avec ces chiffres en faisant monter ou descendre quelques millions d'habitants en rapport de cette barrière virtuelle.

C'est ainsi qu'en 2011, les autorités chinoises ont relevé le seuil annuel de pauvreté appliqué aux agriculteurs en le portant de 1274  à 2300 yuans. Du jour au lendemain quelques millions de paysans se sont ainsi retrouvés pauvres alors qu'auparavant ils n'étaient rien. Si ce changement a permis à certains médias de critiquer une fois de plus ce pays en mettant en lumière ses difficultés, l'opération se révèle également intéressante pour le pouvoir en place. Pouvoir annoncer en effet d'ici un an ou deux que plusieurs millions de paysans sont sortis de leur pauvreté grâce à l'excellence du gouvernement est toujours bon à prendre. Point également positif pour les classes plus aisées, qui constateront avec plaisir que si eux ne se privent de rien et surtout pas de l'inutile, leurs compatriotes « n'ayant pas su » prendre le train de la croissance parviennent toutefois eux aussi à s'en sortir, à un niveau toutefois bien moindre.

Malgré les réels progrès accomplis, tels que la construction de millions de logements sociaux ou la gratuité des deux premiers cycles d'études, demeurent encore beaucoup de pauvres se situant à proximité de ce seuil statistique. Comme dans tous les pays, les Chinois sont mécaniquement attirés par les villes dont la richesse apparente leur fait croire qu'une infime part leur est réservée. Si cet afflux laisse entrevoir la possibilité de trouver un travail bien rémunéré, la concurrence est telle que les salaires « sont rabotés » à l'extrême. Pour un jeune diplômé obligé de quitter le nid familial, les revenus tirés du travail permettent bien souvent tout juste de se nourrir et de payer les frais d'hébergement. Alors que ses parents se sont déjà privés pour assurer la poursuite de sa scolarité, ce sont de nouveaux efforts financiers qui doivent être consentis de la part d'une famille ne parvenant toujours pas à sortir la tête de l'eau sans pour cela être considérée comme pauvre.

Face à cette vie dans une prison sans barreaux, il n'y a rien de surprenant que tant des parents que des enfants préfèrent prendre le risque de se retrouver dans un lieu à qui a été donné le même nom, mais cette fois de manière clairement affichée. Entre 40 ans de vie à compter le moindre yuan et la possibilité d'améliorer sensiblement son niveau de vie, la décision se prend la plupart du temps le jour où ces personnes se rendent compte de l'impasse où elles se trouvent. Faute d'être né de parents disposant de confortables revenus ou de relations suffisantes, voire les deux, la notion de réussite se limite à se situer à un niveau légèrement supérieur à celui d'où l'on vient, ce qui a pour effet positif de redonner un peu de fierté et de joie de vivre à des parents se demandant toutefois souvent ce qu'ils n'ont pas assimilé dans ce système économique initié lors des années 80.

La seule erreur irréversible commise pour la plupart est de ne pas être né dans un environnement aisé et d'une certaine volonté à rester honnête par rapport à une société qui pourtant ne l'est pas envers eux. Ni indignés, ni révoltés par cette situation, ces millions de Chinois ne font que la subir dans ce silence qui est depuis leur naissance leur seule propriété privée. Parmi ces « oubliés » figurent également un nombre non négligeable de personnes propriétaires de leur logement. Il ne s’agit pas des dégénérés ayant sévi ces dernières années en payant 6000 yuans le m² un appartement livré brut de ciment alors qu’il en valait 2000 l’an dernier, mais d’héritiers de longue date. Ce logement leur vient en effet le plus souvent de leurs parents qui l’ont acquis lors des années suivant les premières réformes grâce à des apports à l’origine parfois trouble. Si ces habitations sont souvent meublées d’un strict minimum acheté il y a bien longtemps et contrastent avec le clinquant des appartements payés à prix d’or par les faux nouveaux riches, ces quelques dizaines de m² sont considérées comme une assurance permettant de parer à un éventuel coup dur imposant une longue hospitalisation. Si les banques prêtent aisément, la condition est comme dans bien d’autres pays de pouvoir apporter une garantie. Qu’il s’agisse en échange de financer les études de son enfant ou d’avancer les frais de soins, le passage obligé est de posséder quelque chose de monnayable, ce qui éloigne encore un peu plus de l’idéologie maoïste dont la tête de proue était de démontrer que la propriété privée était une véritable tare pour la bonne marche de la société. Forcé d’assimiler cette doctrine durant trente ans, le changement radical de cap des années 80 ne peut que laisser sur le carreau tous ceux n’ayant pas appris l’arrivisme lors de leurs rares années de scolarité.

Pour certains experts voyant ce pays grossi par le verre déformant des apparences, cette population pauvre représente malgré tout un potentiel. Ce terme, encore une fois très statistique, signifie que la moindre hausse de revenu se doit d'être traquée pour venir remplir des caisses déjà pleines en vendant tout ce qui fait passer un ancien pauvre dans la case numérotée des consommateurs. Fait partie de cette évolution tout le lot d'inutilités que la Chine est fière de consommer à outrance, celui-ci se transformant pour une minorité en signe de réussite sociale. Si appeler un ami depuis un iPhone remplaçant le vieux portable qui assurait pourtant la même fonction ne renforce pas le lien d'amitié, il rend le « Chinois moyen » plus visible en donnant un contenant faute de toujours pouvoir proposer un contenu.

La pauvreté étant excessive, elle ne peut être que la cause d'excès lorsque l'on en sort même de manière très relative. Cette triste réalité explique la soif de consommation des Chinois pouvant se le permettre et dont le paroxysme est une solitude intérieure et un ennui poussant à certaines situations proches du « n'importe quoi ». Une fois assouvies ses premières envies, nombreux sont ceux désirant franchir l'échelon supérieur en se considérant alors comme des pauvres en regard des couches supérieures de la société. Cette course interminable est celle à laquelle participe la classe moyenne chinoise qui après s'être contentée de très peu, ne se satisfait plus de rien. De là à écrire que les plus pauvres sont en fait les plus heureux il y a un pas que je me garderai bien de franchir, la réelle pauvreté étant aussi éloignée du fait de ne pouvoir acheter ce dont on a envie que d'une simple valeur statistique.

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