Liberté d'expression à deux vitesses : si Charlie Hebdo a le droit de s'exprimer, pourquoi les musulmans n'auraient-ils pas le droit de manifester ?<!-- --> | Atlantico.fr
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Plusieurs manifestations organisées ce week-end par des musulmans ont été interdites pour des raisons de sécurité.
Plusieurs manifestations organisées ce week-end par des musulmans ont été interdites pour des raisons de sécurité.
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Deux poids deux mesures

Après la publication des caricatures de Mahomet dans l'hebdomadaire Charlie Hebdo et un débat des plus vifs sur la question de la liberté d'expression, plusieurs manifestations organisées ce week-end par des musulmans ont été interdites pour des raisons de sécurité.

Leila  Leghmara

Leila Leghmara

Leila Leghmara est professeur de formation et fut maire adjointe de Colombes de 2001 à 2008. 

Elle a été conseillère régionale Île-de-France de 2004 à 2010.

Elle est actuellement conseillère municipale d'opposition Nouveau Centre et vice-présidente de l'Aneld (Association Nationale des Elus Locaux pour la Diversité.

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Atlantico : La publication des caricatures de Mahomet dans Charlie Hebdo a provoqué un vif débat sur les limites de la liberté d'expression. De nombreuses voix se sont élevées pour souligner qu’il ne fallait pas borner l'exercice de cette liberté. Ces mêmes voix n'ont pourtant pas manqué de condamner les dernières manifestations ayant rassemblé des musulmans, ni même d'apporter leur soutien à l'interdiction gouvernementale de celles à venir. Est-ce à dire que la liberté d'expression est à double vitesse ?

Leïla Leghmara : Je suis profondément républicaine, donc très attachée aux libertés fondamentales comme la liberté d’expression. Toutefois, la question se pose de savoir où l'exercice de cette dernière s’arrête.

J’ai en effet le sentiment qu’il y a une liberté d’expression à double vitesse.
Les journalistes de Charlie Hebdo pensent agir au nom de la liberté d’expression et en déduisent qu’ils ont le droit de caricaturer sans limite. Je ne partage pas leur avis. Ce qui me choque finalement, c’est que les personnes qui souhaitent réagir car elles ont été heurtées dans leur sensibilité religieuse ne peuvent pas le faire.

Il y a donc deux poids deux mesures, et c’est cela qui est dangereux. Interdire les manifestations au motif d’éventuels débordements est ridicule, car par nature une manifestation peut déborder. C’est d'ailleurs pour cette raison qu’elle est encadrée par des CRS. Non pas que j’appelle au débordement, il faut à tout prix l’éviter, mais cela reste un risque quoi qu'il arrive.

Je finirai par ceci : la liberté d’expression de Charlie hebdo a mis la France dans un état de tension extrême.

D'après vous la liberté d’expression ne peut donc s'exercer qu'avec raison ?

Exactement. La liberté d’expression s’arrête quand le blasphème ou l’insulte commence.

Je pense que dans les caricatures de Charlie Hebdo, il y a eu un vrai blasphème envers la communauté musulmane. En effet, ils touchent à l’être suprême des musulmans, Mahomet, qui est mis en position de sodomie !

Selon vos propos, il est donc permis de borner la liberté d'expression. Dans ces conditions, ne peut-on pas aussi comprendre qu’une manifestation puisse être interdite pour des raisons de sécurité, d’autant plus que cela est prévu et encadré par la justice ?

Aujourd’hui, des dizaines d’écoles, de lycées et d’ambassades françaises ont été fermées à l’étranger et ont été mises sous haute surveillance. Donc, aujourd’hui, ce qui crée le désordre public, ce ne sont pas les manifestations avec la supputation d’éventuels débordements, mais bel et bien les propos irresponsables de Charlie Hebdo. Et c’est avec les deniers publics qu’on assure la sécurité, parce qu’un journal avait besoin d’un coup de pub. Cette provocation absurde, faite dans un contexte déjà tendu, n’apporte d'ailleurs absolument rien au débat.

Si l’on considère que dans les deux cas, il y a un risque de trouble à l’ordre public, les deux doivent être interdits. Ce que je souhaite, c’est le rétablissement de l’équilibre et de la justice. Certaines caricatures présentées dans Charlie Hebdo ne me dérangent pas, notamment celles qui représentent un musulman en fauteuil roulant et avec pour titre « Intouchables 2 », mais ce que je n’aime pas c’est l’insulte et l’irrespect.

En outre, j’ai été profondément choquée par les propos de SOS Racisme qui portent plainte contre l’association « Touche pas à mon prophète », qui a détourné le slogan de l’association « Touche pas à mon pote ». A cette occasion, ils ont rappelé leur attachement à la laïcité, à la liberté d’expression, en y incluant le droit au blasphème. Dans ce cas, je m’inscris totalement en faux.

Reste toutefois le triste constat des six policiers blessés durant les manifestations à Paris la semaine dernière. Considérez-vous Charlie Hebdo comme seul responsable ?

Je ne soutiens pas à tout prix ces manifestations, car le risque de trouble à l’ordre public existe. Ce que je ne comprends pas, c’est pourquoi on ne condamne pas à ce moment-là Charlie Hebdo. On l’a laissé faire et aujourd’hui, cela est très lourd de conséquences en France et dans le monde.


Marine Le Pen a déclaré vendredi vouloir interdire la kippa et le voile dans les espaces publics. Qu’en pensez-vous ?

Ce sont des propos attendus, elle est dans son rôle d’attiseur de haine. Ce qui est terrible avec le Front national, c’est qu’il n’accepte pas la différence. Ce que j’aime dans la France, c’est cette divergence des origines et des cultures, la diversité des religions qui enrichissent notre pays. Mais, aux yeux de Marine Le Pen, nous ne devons faire qu’un.

En invoquant la laïcité pour soutenir pareille réforme, Marine Le Pen en dénature-t-elle la valeur ?

Je ne dois pas avoir la même notion de laïcité que Marine Le Pen. Pour moi, la laïcité ne réside pas le déni des religions, mais  bien le respect de ces dernières. La laïcité que je prône est tout à fait compatible avec les valeurs de la République.

Je suis moi-même de confession musulmane, et je pense être tout à fait en phase avec les valeurs républicaines et avec la laïcité à la française.

Selon vous, cette invocation permanente de laïcité est-elle un prétexte pour aborder de manière détournée la question de l'islam en France ?

C’est évident. Voyez les dégâts collatéraux de la publication des caricatures dans Charlie Hebdo : donner une nouvelle fois une tribune au Front national qui attise la haine et qui participe de cette incohésion républicaine en montant les personnes les unes contre les autres.

C’est pour cela que ce ne sont pas les caricatures en elles-mêmes qui sont dangereuses mais toutes les dérives qu'elles ont engendré.

Marine Le Pen a également déclaré vouloir « mettre à la porte tous les intégristes »...

Si on devait virer tous les extrémistes, on devrait la virer en premier ! Il y a quelque chose de l’ordre du psychanalytique dans son propos, elle est en plein transfert, elle voit en l’autre ce qu’elle est elle-même.

Marine Le Pen, comme on le dit communément, a toujours les bonnes questions mais jamais les bonnes réponses. Mais on ne fait pas avancer les choses avec des « y a qu’à, faut qu’on ». Son parti devrait vraiment cesser d’attiser la haine pour appeler plutôt à la cohésion, à l’unification et à l’acceptation de la différence. On en sortira beaucoup plus grandi.

Propos recueillis par Frank Michel

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