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L'automobile française peut-elle vraiment réussir son grand saut vers le monde du luxe ?
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"Premiumisation"

Renault semble vouloir s'engager dans la voie du luxe. En premier lieu avec la mise en place d'un label « Initiale Paris », mais aussi avec le développement, grâce à son alliance avec Daimler, d'une « grosse berline ». Cette redirection stratégique s'avérera-t-elle payante ?

Bernard Jullien et Christophe Benavent

Bernard Jullien et Christophe Benavent

Bernard Jullien est économiste.

Il est directeur général du réseau international Gerpisa (Groupe d’étude et de recherche permanent sur l’industrie et les salariés de l’Automobile).

Christophe Benavent est professeur à Paris Ouest. Il enseigne la stratégie et le marketing et dirige le Master Marketing opérationnel international l. Il assure aussi la responsabilité de la rubrique "Digital" de la revue Décision Marketing.

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Après que PSA a affiché depuis quelques temps déjà son ambition de « monter en gamme », c’est Renault qui, après avoir évoqué son retour sur les modèles sportifs avec Alpine, affiche ce type d’ambition avec le développement d’un label « Initiale Paris » d’une part et le développement, grâce à son alliance avec Daimler, d’une « grosse berline » d’autre part. Ce n’est pas une nouveauté chez Renault puisque le badge Initiale existe déjà et que certains se souviendront que, lorsqu’il prend les commandes de Renault en 2006, Carlos Ghosn développe un « plan Renault 2009 » qui affiche de grandes ambitions sur les « plus de 27 000 euros ». Il comptait alors sur Laguna III, dont on sait maintenant combien elle est restée loin des objectifs de volumes et de valeur qu’on lui assignait.

Dès lors pour Renault, et plus généralement pour l’automobile française, la question de savoir s'il s’agit-là d’un développement opportun reste posée. Cette question de l’opportunité renvoie largement à celle de la véracité de la thèse dite de la « premiumisation » des marchés qui prétend que la part du marché qui croît dans les pays développés comme dans les émergents est celle là et qu’elle est seule à même de redonner aux constructeurs la profitabilité qui leur fait défaut. Les résultats engrangés par les constructeurs allemands paraissent confirmer cette thèse. Sans qu’il soit possible ici de détailler les contre arguments, on peut poser trois questions.

1) Ce qui est vrai en Chine, l’est-il aussi en Russie, au Brésil ou en Inde ? Ce qui est vrai en Chine restera-t-il vrai dans les prochaines années sachant que, d’ores et déjà, face à un marché qui fléchissait, les autorités ont concentré leurs aides sur les petits véhicules et indiquer ainsi que, pour préserver les intérêts des constructeurs domestiques, pour limiter les émissions et pour permettre à la Chine de l’intérieur de développer son équipement automobile, priorité était désormais donnée aux véhicules moins émetteurs et moins onéreux ?

Si on observe la trajectoire de la « lignée Logan » de Renault au Brésil ou en Russie, alors on peut se convaincre que les émergents appellent au moins autant ce type de produits que ceux que la montée en gamme s’apprêtent à offrir.

2) Ce qui s’observe sur des marchés atones parce que la crise est là est qu’effectivement, les segments « premium » sont relativement préservés parce que la crise atteint moins les clientèles concernées. Est-il raisonnable de penser que lorsque les marchés retrouveront leurs niveaux d’avant la crise la structure qui est la leur aujourd’hui se maintiendra ou doit-on s’attendre à ce que la surreprésentation du premium disparaisse alors ?

Si, le cœur de la demande et des volumes est et restera hors premium et si, comme il y a tout lieu de le penser, certaines dépenses concurrentes de l’automobile comme les télécommunications viennent limiter l’enveloppe que les ménages consacrent à l’automobile, alors le rôle d’un généraliste restera de renouveler pertinemment son offre sur ces segments en restant accessible et, en période de rareté de la ressource, pour préparer l’avenir, il devront éviter de se tromper de priorité.

3) Si, comme cela semble être la cas aujourd’hui, le mimétisme des constructeurs les conduit à se précipiter tous sur le premium pour venir y capter une part de ce que les constructeurs allemands s’accaparent aujourd’hui, n’a-t-on pas d’assez sérieuses raisons de penser que les surcapacités dont on constate aujourd’hui les méfaits sur les segments bas seront manifestes sur ces segments et obéreront largement la profitabilité des investissements que chacun aura consenti pour s’y développer ?

Il s’agit là d’un classique problème de « no bridge » en économie : la stratégie qui pourrait apparaître optimale pour chacun conduit, si elle est adoptée par tous, au pire des résultats pour chacun…

Comme combinaison de nostalgie, d’amour du public pour les belles voitures qu’ils viennent voir dans les salons mais n’achètent jamais et d’espoir que nourrissent les ingénieries des constructeurs généralistes de pouvoir « se lâcher » là où les contraintes de coût qui pèsent d’habitude sur leur activité les bride, la montée en gamme a des raison de séduire. Parce que le marché chinois a donné à ces offres des volumes inédits et que la construction de l’activité dans les marchés murs les a surreprésentés, la vieille lune s’est rallumée chez les stratèges des généralistes que confortent les analystes obsessionnels des « best practices ». Ils oublient simplement que ce qui vaut pour l’un ne vaut pas forcément pour l’autre et que, comme disait il y a quelques temps Marchionne, « dans cette industrie où tous voudraient être Gucci, tous ne peuvent y parvenir ».

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