18 000 professeurs en plus en 2013 sans refonte de l’Education nationale : Vincent Peillon a-t-il mis la charrue avant les boeufs ?<!-- --> | Atlantico.fr
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Vincent Peillon a annoncé jeudi le recrutement de 40 000 enseignants en 2013.
Vincent Peillon a annoncé jeudi le recrutement de 40 000 enseignants en 2013.
©Reuters

Trop c'est trop !

Le ministre de l'Education a annoncé jeudi le recrutement prévu de près de 40 000 enseignants en 2013. Mais la qualité de l'enseignement ne dépend pas seulement du nombre de professeurs recrutés...

Éric Verhaeghe

Éric Verhaeghe

Éric Verhaeghe est le fondateur du cabinet Parménide et président de Triapalio. Il est l'auteur de Faut-il quitter la France ? (Jacob-Duvernet, avril 2012). Son site : www.eric-verhaeghe.fr Il vient de créer un nouveau site : www.lecourrierdesstrateges.fr
 

Diplômé de l'Ena (promotion Copernic) et titulaire d'une maîtrise de philosophie et d'un Dea d'histoire à l'université Paris-I, il est né à Liège en 1968.

 

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Vincent Peillon vient d’annoncer le recrutement massif de 40 000 enseignants l’an prochain, dont 22 000 remplacements de départs à la retraite. Soit 18 000 créations nettes de poste. Un quadruplement du nombre de recrutements en un an. Sachant que la France produit chaque année environ 100 000 diplômés de mastère, niveau de recrutement normal de l’enseignant, cela signifie que le marché du travail - et donc le recrutement en entreprise, sera brutalement asséché à hauteur de 40% de ses effectifs.

Mais après tout, cette annonce manifeste une belle volonté d’avancer dans la direction annoncée pendant la campagne présidentielle, et mettra sans doute du baume au coeur des parents effarés par la dégradation fulgurante des conditions d’enseignement.  Au passage, on relèvera que le gouvernement Monti a annoncé cet été une mesure équivalente en Italie.

L’idée d’investir dans l’avenir, donc dans l’éducation est, du point de vue des finances publiques, une idée vertueuse. L’élévation du niveau scolaire moyen est en effet productrice de croissance économique. Le choix d’injecter brutalement du sang neuf dans notre système scolaire peut donc se révéler un pari gagnant pour l’avenir.

Pour ce faire, il faut optimiser l’allocation des moyens, c’est-à-dire mettre ceux-ci au service d’un projet éducatif qui concourt à l’amélioration de la formation initiale et au relèvement de nos capacités technologiques et d’innovation. C’est sur ce critère qu’il faut juger le choix du ministre : l’ouverture massive de postes aux concours produira-t-elle un effet positif sur l’éducation de nos enfants ?

Evidemment, les problèmes commencent ici. Car l’idée souvent répandue à gauche selon laquelle la qualité de l’enseignement dépend seulement des moyens dont il dispose est largement battue en brèche par l’ensemble des études menées depuis une dizaine d’années. Les lecteurs des enquêtes PISA de l’OCDE noteront en particulier que les systèmes éducatifs les plus performants dans le monde ne sont pas forcément les mieux dotés en budgets et en postes.

L’idée de refonder l’école, qui semble tenir au coeur de notre ministre, et qui donne lieu à l’ouverture d’une concertation de plusieurs semaines, était précisément l’occasion de répondre à ces questions : pourquoi le système scolaire produit-il chaque année 15% de jeunes sans diplômes (ce qui constitue un gâchis extravagant en termes de finances publiques, si l’on se souvient qu’un lycéen coûte environ 7 000€ par an à la collectivité) ? Pourquoi notre classement international baisse-t-il ? Pourquoi peut-on décrocher le baccalauréat S avec une mention très bien sans savoir se servir d’un ordinateur ou d’Internet ? Pourquoi la maîtrise de l’anglais par nos jeunes est-elle aussi faible ?

Raisonnablement, la bonne démarche consistait à répondre à ces questions avant de décider d’une augmentation massive des moyens. Recruter des enseignants n’a de sens qu’au regard d’objectifs éducatifs. Ouvrir des postes au concours pour réduire le taux de chômage ou satisfaire les demandes des syndicats est une aberration.

Malheureusement, l’inverse se produit, qui conforte l’idée que la concertation qui se déroule est de pure façade. Elle est une posture facile pour donner le change, alors que les décisions sont déjà prises.

Et tout concorde aujourd’hui à nourrir le sentiment qu’en dehors d’une logique de moyens, l’Education Nationale n’a ni ambition, ni vision, ni stratégie.

Un exemple ? En contrepartie d’une augmentation des recrutements, le ministre aurait pu imposer une rationalisation de l’offre éducative. Sait-on par exemple qu’en 2011, année de restriction budgétaire, l’agrégation externe d’anglais offrait 128 postes, mais l’agrégation d’arts en offrait 36 ! Celle de lettres classiques 60 ! Celle de grammaire (dont aucun lauréat n’enseigne jamais au lycée) 7!

Je ne prétends pas ici que l’enseignement de l’art soit inutile. Ni celui des lettres classiques. Simplement, en phase de rationalisation et d’optimisation, il serait logique de concentrer les moyens sur les disciplines prioritaires, surtout si nos résultats y sont mauvais, au lieu de les saupoudrer sur une offre pléthorique qui a pour seul résultat d’affaiblir le niveau général des élèves.

Plus profondément, nos chères têtes blondes ont bien droit à un enseignement de qualité. Comment ne pas nourrir les plus grandes inquiétudes sur les conséquences de la décision ministérielle en lisant les statistiques des résultats au concours l’an dernier ? Au CAPES d’allemand par exemple, qui recrute des enseignants pour les collèges et les lycées, 230 postes étaient offerts, et 184 seulement ont été pourvus, faute de candidats de qualité en nombre suffisants. En anglais, sur 790 postes ouverts, seuls 659 ont été pourvus. Pourtant, 40% des candidats qui ont concouru ont décroché le concours. En lettres modernes, c’est-à-dire en français, sur 733 postes offerts, seuls 681 candidats ont été jugés aptes à enseigner.

Qu’est-ce que cela signifie? Que, démographiquement, la France ne dispose pas d’un vivier suffisant pour fournir l’effort prévu par le ministre. Ce qui implique deux scénarios possibles : soit les jurys refuseront de pourvoir les postes offerts, face à la piètre qualité des candidats. Et dans ce cas, l’annonce est de pure façade. Soit le ministre recrutera pour 40 ans des enseignants qui n’ont pas le niveau requis pour enseigner. Et il sacrifiera des générations entières d’élèves sur l’autel des visions idéologiques.

Si l’on admet l’hypothèse que les établissements les plus difficiles accueillent les enseignants les moins qualifiés, on mesure immédiatement qui paiera les pots cassés.

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