Pourquoi Christiane Taubira se trompe quand elle parle du "tout carcéral" des années Sarkozy<!-- --> | Atlantico.fr
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Ce n’est pas le nombre de détenus qui est excessif : c’est le nombre de places de prison qui est gravement insuffisant.
Ce n’est pas le nombre de détenus qui est excessif : c’est le nombre de places de prison qui est gravement insuffisant.
©Reuters

Remise à niveau

Contrairement à ce que martèle la garde des Sceaux, la France ne pratique pas le "tout carcéral", très loin de là. Ce n'est pas le nombre de détenus qui est excessif : c'est le nombre de places de prison qui est gravement insuffisant.

Xavier Bebin

Xavier Bebin

Xavier Bebin est secrétaire-général de l'Institut pour la Justice, juriste et criminologue. Il est l'auteur de Quand la Justice crée l'insécurité (Fayard)


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A en croire Christiane Taubira, notre pays serait tombé dans le « tout carcéral », une situation qui renforcerait la récidive, selon elle, et donc l’insécurité. La réalité, si on veut bien la regarder sans angélisme, est tout autre.

La France ne pratique pas le « tout carcéral », très loin de là. On peut certes avoir l’impression contraire lorsque l’on observe la surpopulation endémique de nos prisons. Mais ce n’est pas le nombre de détenus qui est excessif : c’est le nombre de places de prison qui est gravement insuffisant. Il suffit de se comparer avec nos voisins pour s’en convaincre : le nombre de places de prison, en France, est presque inférieur de moitié à la moyenne de l’Union européenne !

Mais notre garde des Sceaux veut faire de la prison « l’exception », sans réaliser qu’elle l’est déjà. Même les délinquants condamnés à de la prison ferme n’effectuent pas toujours leur peine : près de 100 000 d’entre eux sont aujourd’hui en liberté, faute de place de prisons. Et ce n’est pas tout : les condamnés à des peines allant jusqu’à deux ans ferme n’ont, depuis 2009, plus vocation à aller en prison : ils ont désormais droit à un oral de rattrapage devant le « juge d’application des peines » qui doit leur trouver coûte que coûte un moyen d’échapper à l’incarcération.

Tout est fait aujourd’hui pour empêcher les juges de prononcer des peines de prison : la loi, qui ne la permet qu’en « dernier recours », et la surpopulation carcérale, qui a le même effet psychologique. Si les juges continuent de le faire, ce n’est pas parce qu’ils seraient particulièrement répressifs, mais parce qu’ils n’ont pas le choix. Ils sont confrontés à des délinquants particulièrement violents, généralement multiréitérants, pour lesquels aucune autre solution n’est raisonnable.

Il n’existe donc plus aucune marge de manœuvre pour désengorger les prisons. Le gouvernement précédent avait fini par le comprendre et avait voté la construction de 25 000 places de prison. C’était faire d’une pierre deux coups : en finir avec la surpopulation carcérale, mais aussi avec les dizaines de milliers de peines inexécutées.

Avec son projet de « déflation carcérale », Christiane Taubira condamne la France à revivre les conséquences désastreuses de l’amnistie Badinter de 1981 ou des instructions Guigou de la fin des années 1990. A chaque fois, des milliers de délinquants avaient été remis en liberté. A chaque fois, aussi la criminalité avait augmenté de façon disproportionnée.

Pourtant, on entend sans cesse l’idée que la prison serait l’école du crime. Si c’était le cas, les Etats-Unis qui, eux, méritent depuis des décennies le qualificatif de « tout carcéral », devraient connaître une explosion de la criminalité ! Or c’est exactement l’inverse qui s’est produit : depuis le début des années 1990, la criminalité violente n’a pas cessé de diminuer, pour atteindre aujourd’hui un niveau historiquement bas.

Et l’on aurait tort d’imaginer que la prison est un échec parce que les « taux de récidive » à sa sortie seraient élevés. Certes, la prison ne réussit pas à transformer massivement des délinquants endurcis en citoyens honnêtes. Mais aucune autre sanction, programme ni traitement ne parvient davantage à réaliser ce miracle. L’efficacité de la prison est ailleurs, et ne se voit pas dans les chiffres de la « récidive » : elle dissuade quantité d’individus qui passeraient plus facilement à l’acte s’ils étaient sûrs d’y échapper. Et elle neutralise les délinquants les plus endurcis, ceux qui, selon le mot de Waldeck Rousseau, retournent sans cesse de la rue à la prison et de la prison à la rue.

Pour mieux protéger la société de ces multirécidivistes, la majorité précédente avait mis en place des « peines plancher ». Abolir cette mesure, comme s’y est engagé François Hollande, permettra à ces délinquants dangereux d’aller moins souvent en prison et d’y rester moins longtemps. Avec les conséquences que l’on imagine.

Et on peut prendre le pari : lorsque la criminalité aura augmenté, nos dirigeants confesseront leur « naïveté » d’avoir imaginé que la « déflation carcérale » pouvait être une solution viable. Mais pour les victimes, ce sera trop tard.

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