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Procès de Jean-Maurice Agnelet : la justice recherche-t-elle la vérité ou refuse-t-elle de se remettre en cause ?
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La balance et le glaive

Après deux mises en examen (1983 et 2000), un non lieu (1985), un acquittement (2006) et une condamnation (2007), la justice s'est prononcée ce lundi (par la négative) sur l'ouverture d'un procès en révision de Jean-Maurice Agnelet, condamné à 20 ans de réclusion criminelle pour le meurtre d'Agnès Le Roux, en 1977.

Guillaume Didier

Guillaume Didier

Guillaume Didier, magistrat en disponibilité, est directeur conseil chez Vae Solis, cabinet conseil en stratégie de communication et gestion de crise.

Ancien juge d’instruction et vice-procureur de la République, il a été conseiller de trois Gardes des Sceaux successifs : Pascal Clément, Rachida Dati et Michèle Alliot-Marie. Il a créé en 2007 et occupé jusqu’en 2010 le poste de porte-parole du ministère de la Justice.

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La demande de révision, après de nouvelles révélations, de la condamnation de Maurice Agnelet à 20 ans de réclusion criminelle pour l'assassinat en 1977 d’Agnès Le Roux amène les Français à s’interroger sur la capacité de la justice française à revenir sur ses décisions et à se remettre en cause.

Un certain nombre d’affaires criminelles fortement médiatisées frappent régulièrement les esprits et connaissent des rebondissements qui passionnent nos concitoyens. Chacun se forge alors une conviction, au fil des comptes-rendus des journalistes de la presse judiciaire, des plaidoyers ou réquisitoires des chroniqueurs judiciaires ou d’interventions médiatiques des avocats des parties.

Quant à elle, la justice se forge une intime conviction selon de strictes et austères règles procédurales, souvent incompréhensibles des non juristes. Après des années d’investigations, sur la base des milliers de pièces du dossier judiciaire et après des heures de débats contradictoires, cette conviction se révèle dans le dernier sanctuaire qui n’a jamais encore été violé : le secret des salles de délibérés de nos Palais de justice.

Le décalage est alors parfois immense entre le résumé médiatique d’une affaire qui nous fait penser que tel suspect est forcément coupable ou innocent et le laborieux et rigoureux processus judiciaire.

L’opinion publique, elle, peut varier au fil du temps dans ses convictions. De l’affaire Patrick Dils à celle d’Outreau en passant par le cas d’Omar Raddad, nombreux sont ceux qui ont eu alternativement la certitude de la culpabilité puis de l'innocence des protagonistes de ces dramatiques affaires, au fil d’années d’enquêtes fortement médiatisées.

Si le peuple Français évolue ainsi, est-il fréquent que la Justice, rendue en son nom, évolue également et revienne sur ses décisions ?

La réalité de la vie quotidienne de nos juridictions apporte un premier élément de réponse. Chaque jour, dans tous les Palais de justice de France, des magistrats contestent, annulent, réforment, cassent des décisions prises par d’autres magistrats, des plus petits litiges civils aux affaires criminelles les plus complexes.

L’affaire Agnelet est à ce titre exemplaire. La justice est revenue sur ses décisions, sans se soucier, et c’est à son honneur, de donner l’apparence de la constance, mais avec le seul souci de la recherche de la vérité.

Inculpé en 1983 après 6 ans d’enquête, Jean-Maurice Agnelet bénéficie d’un non lieu en 1985. En 2000, il est à nouveau mis en examen. La justice doit-elle être tenue responsable si le témoin qui lui a fourni à l’époque un alibi prétend 23 ans après avoir menti ? En 2006, une cour d’assises, composée de 3 magistrats professionnels et de 9 jurés populaires tirés au sort sur les listes électorales, acquitte l’accusé. L’année suivante, sur appel du parquet, une cour d’assises d’appel également composée de magistrats et de jurés le condamne à 20 ans de réclusion criminelle.

A ce stade, la justice est déjà revenue à 5 reprises sur ses décisions.

Un autre rebondissement intervient lorsqu’un nouveau témoin déclare en 2011 avoir recueilli, il y a... 24 ans, les confidences d’un ancien truand marseillais qui lui aurait avoué être l’auteur de l’assassinat. Que fait la Justice face à ce témoignage bien tardif qui impute ce crime à un individu depuis décédé ? La commission de révision est saisie et doit statuer aujourd’hui pour dire si ces révélations constituent un élément nouveau permettant la saisine de la cour d'appel. Cette Cour sera ensuite chargée de statuer sur le fond et annulera éventuellement la condamnation avant de renvoyer l’affaire vers une cour d’assises pour un nouveau procès.

Certains pensent que la justice ne veut pas revenir sur ses décisions parce qu’il lui serait insupportable de se remettre en cause. Qui peut croire que les 5 magistrats de la commission de révision ne vont pas décider en leur âme et conscience des suites à donner à cette requête, tout cela pour privilégier l’image d’une justice infaillible ? Ce raisonnement ne résiste d’ailleurs pas à la démonstration, car quelle que soit l’issue de cette procédure, la décision rendue viendra contredire une décision antérieure.

En effet, si à l’issue de tout ses recours, Jean-Maurice Agnelet était définitivement condamné, serait-ce un désaveu pour le juge qui a rendu un non lieu en 1985 et pour la cour d’assises qui l’a acquitté en 2006 ? Et s’il était définitivement innocenté, serait-ce un désaveu pour les juges qui l’ont mis en examen en 1983 et en 2000 et pour la cour d’assises qui l’a condamné en 2007 ?

J’ai la certitude que dans leur délibéré, les magistrats de la commission de révision ne se soucieront pas de savoir si leur décision améliorera ou non l’image de l'institution judiciaire. Contrairement à nous, dont l’avis est inspiré par un article de presse bien rédigé ou par l’interview réussie d’un avocat convaincu, les magistrats qui délibèrent sont les seuls à avoir accès à l’intégralité de la procédure, à avoir écouté l’ensemble des arguments de toutes les parties. Ce sont aussi les seuls, au regard de la Loi, à supporter la responsabilité de devoir se forger une conviction.

La justice française n’est pas infaillible, elle n’est pas exempte de critiques. Mais que 29 ans après la première mise en examen de Jean-Maurice Agnelet, la justice soit encore à la recherche de la vérité et examine si des éléments nouveaux sont de nature à ouvrir une révision du procès atteste qu’elle se donne en effet les moyens pour toujours offrir la possibilité de revenir sur ses décisions.

Edit à 14h : la Cour de révision a finalement rejeté l'appel de Jean-Maurice Agnelet.

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