Grand saut dans l'inconnu : les économistes sont-ils vraiment capables de comprendre les effets du tsunami sans précédent de liquidités injectées dans l'économie mondiale ?<!-- --> | Atlantico.fr
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"Les banques centrales prétendent maîtriser la situation, mais comme celle-ci est entièrement nouvelle toutes les craintes sont permises."
"Les banques centrales prétendent maîtriser la situation, mais comme celle-ci est entièrement nouvelle toutes les craintes sont permises."
©Reuters

Terra incognita

La Réserve fédérale américaine et la BCE ont annoncé des programmes d'achats de titres "non conventionnels" illimités dans le temps. Combien de temps ce processus pourra-t-il continuer sans faire exploser l'inflation ?

Florin Aftalion

Florin Aftalion

Florin Aftalion est professeur émérite à l'ESSEC.

Il a enseigné l’économie et la finance aux universités de New YorkNorthwestern et de Tel-Aviv. Il a cofondé la collection Libre Echange aux Presses universitaires de France

Son dernier ouvrage est  « Crise, Dépression, New Deal, Guerre », publié en 2012 aux éditions Economica

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La Banque de Réserve Fédérale (FED) et la Banque Centrale Européenne (BCE) ont toutes deux annoncé dernièrement des programmes d’achats de titres « non conventionnels » et, de plus, illimités dans le temps. L’objectif de la première est de faire baisser les taux d’intérêt à long terme, mais aussi de débarrasser le système bancaire américain d’une partie des créances pourries qu’il détient tout en espérant améliorer la situation de l’emploi. Celui de la seconde, en achetant des obligations souveraines, de faire décroître les taux auxquels les pays ayant perdu la confiance des investisseurs empruntent sur les marchés.

Depuis le début de la crise dite des subprimes aux Etats-Unis (2008) et de celle de l’euro de ce côté-ci de l’Atlantique (2010) les banques centrales ont vu leurs bilans s'enfler démesurément. C’est ainsi que celui de la FED est passé de 1 000 milliards de dollars avant la crise à 2 800 milliards aujourd’hui. Le passif de cette institution a bien entendu suivi la même croissance, les dépôts des établissements de crédit atteignant en ce moment 1 550 milliards de dollars. Précisons à ce sujet que la situation de la BCE n’est pas fondamentalement différente de celle de la FED que nous évoquons ici.

Précisons également que les dépôts des banques commerciales à leur banque centrale leur servent de « réserves » dans le processus de création monétaire. Ainsi, lorsque l’une de ces banques accorde un crédit de cent dollars à un client elle crédite son compte de dépôts à vue de 100 dollars, à condition qu’elle détienne à la FED un pourcentage de cette somme (fixé par la réglementation). L’ensemble du système bancaire ne peut donc « créer » davantage qu’une certaine quantité de monnaie proportionnelle au total des réserves qu’elle détient.

En ce moment, aux Etats-Unis, le total des réserves obligatoires correspondant à la masse monétaire en circulation est de 100 milliards alors que les institutions financières détiennent plus de 1 550 milliards de dépôts à la FED. Elles disposent donc de 1 450 dollars de réserves excédentaires, montant dont elles pourraient se servir pour créer des dépôts, donc augmenter dans des proportions considérables la masse monétaire américaine. Ce qui entraînerait une inflation probablement incontrôlable.

Cette catastrophe n’est pour l’instant pas arrivée car d’une part la croissance de la masse monétaire américaine reste modérée (mais s’accélère depuis un an) et que, d’autre part, en moyenne l’inflation ne s’écarte pas trop de la cible de 2 % par an qui lui est fixée par la FED. Mais avec les nouveaux programmes d’achats de dettes, les bilans de la FED et de la BCE continueront à croître en même temps que les réserves excédentaires des banques. Combien de temps ce processus continuera-t-il sans enclencher d'inflation ? Nul ne le sait vraiment. Les banques centrales prétendent maîtriser la situation, mais comme celle-ci est entièrement nouvelle toutes les craintes sont permises.

Nouvelle car, si quelques leçons ont pu être tirées de l’histoire monétaire de la Grande dépression (en particulier que les Banques centrales doivent fournir des liquidités aux banques commerciales qui en manquent), en 2012 l’histoire ne nous est plus d’aucun secours. En effet, alors que pendant les années trente les économies étaient très sensibles aux variations des masses monétaires, aujourd’hui nous sommes dans une situation en quelque sorte inverse. Les institutions de crédit détiennent des réserves excédentaires colossales alors que la croissance stagne sur les deux rives de l’Atlantique (et même ailleurs) malgré toutes les tentatives de stimulation monétaire. Mais comme, au nom de la solidarité européenne, l’Allemagne abandonne progressivement son rôle de défenseur intransigeant de l’orthodoxie monétaire, l’heure où ces réserves alimenteront croissance monétaire et inflation n’est peut-être pas loin.

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