Mario Draghi devant le Bundestag : et si le patron de la BCE cherchait en réalité à asseoir son rôle politique dans une Europe en voie de fédéralisation ?<!-- --> | Atlantico.fr
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Le président de la Banque centrale européenne a été invité par le parlement allemand à s'exprimer sur sa politique monétaire.
Le président de la Banque centrale européenne a été invité par le parlement allemand à s'exprimer sur sa politique monétaire.
©Reuters

Draghi chez l’ennemi ?

Mario Draghi s'est déclaré prêt à s'exprimer devant le Parlement allemand pour expliquer ses dernières décisions concernant sa politique monétaire.

UE Bruxelles AFP

Jean-Paul Betbeze

Jean-Paul Betbeze est président de Betbeze Conseil SAS. Il a également  été Chef économiste et directeur des études économiques de Crédit Agricole SA jusqu'en 2012.

Il a notamment publié Crise une chance pour la France ; Crise : par ici la sortie ; 2012 : 100 jours pour défaire ou refaire la France, et en mars 2013 Si ça nous arrivait demain... (Plon). En 2016, il publie La Guerre des Mondialisations, aux éditions Economica et en 2017 "La France, ce malade imaginaire" chez le même éditeur.

Son site internet est le suivant : www.betbezeconseil.com

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Malin Draghi ! « Si on m’invite au Bundestag, je viendrais volontiers… » Le Président de la Banque centrale européenne accepte une invitation qui ne lui a pas été faite. Une façon de dire qu’il est prêt à répondre aux questions des députés allemands sur la politique de la BCE, une politique très critiquée en Allemagne. Une politique qui est approuvée par les politiques, donc par les députés du Bundestag, mais qui est désapprouvée par la Buba – ce qui les met quand même mal à l’aise.

Ceci ne peut pas continuer ainsi, et c’est lui qui décide de faire le premier pas, pour dialoguer. Ce mouvement est d’autant plus intelligent que Mario Draghi a « gagné » par rapport à la Buba en isolant son Président, Jens Weidman, la semaine passée. Le Président de la Buba s’est en effet trouvé seul à voter contre la proposition d’achat de titres souverains de pays en difficulté, l’Espagne pour ne pas la nommer. Cette situation a ré-allumé des tensions en Allemagne, tensions qui avaient, déjà, conduit au départ d’Axel Weber, le précédent Président de la Buba, et de Jürgen Stark, le Chef économiste de la BCE. La plaie est donc profonde.

Ces tensions ont été en partie réglées aussi par la Cour de Karlsruhe. Mais on ne peut continuer, avec un opposant permanent. Il faut avancer, pour le convaincre - pas facile, l’affaiblir - pas vraiment - mais pour dépasser le débat. Il ne s’agit pas de sauver « les » faces, mais de renforcer la zone euro. Pas facile, mais indispensable.

En proposant d’aller débattre devant le Bundestag, Mario Draghi rompt en effet avec une règle non écrite de la BCE : son Président parle pour la BCE dans son ensemble, et chaque Président ou Gouverneur d’une banque nationale parle devant les responsables politiques et économiques de son pays. Cette règle va bien quand le porte-parole national est d’accord avec la parole du centre, quitte à l’adapter, mais pas quand il y a désaccord. C’est la première fois que ceci se présente, avec le risque que ceci peut durer.

Dans ce contexte, ou bien on peut assister à une joute devant la place publique des deux protagonistes, ce qui n’est pas envisageable, ou bien à un approfondissement du débat technique entre les deux visions, ce qui est souhaitable. La vision allemande est celle où la BCE serait en charge de la stabilité des prix, et contribuerait à la stabilité financière, autrement dit à la solidité des banques. Ces deux responsabilités, avec des poids différents, feraient que la Banque centrale aurait un objectif (l’inflation) et serait ainsi libre d’agir, en clair de monter ses taux en cas de danger inflationniste, même si des banques devaient en souffrir, voire certaines en mourir.

Mais quand la crise est si forte que le système bancaire européen est en danger, et que ce n’est plus l’inflation qui menace, mais la déflation, l’ordre des missions est à revoir. Et la BCE a bel et bien accepté de surveiller les banques. Elle va se trouver en charge de la stabilité des plus importantes à la fin de l’année (les « systémiques »), en attendant que ce soit la totalité dans le courant de l’année.

On voit bien qu’il y a, d’ores et déjà, un écart entre la pratique de la BCE et la définition stricte de son mandat, tout simplement parce que son mandat est valide dans les situations « normales », quand les tensions ont un niveau moyen. Mais quand la crise s’intensifie, jusqu’à mettre en cause la capacité des banques à faire crédit, quand des bank runs menacent, quand des Etats peuvent faire défaut, la situation est évidemment différente. Nous sommes face à un risque extrême. Et dans ce risque extrême, la Banque centrale doit éviter les paniques, les runs, les effondrements. C’est alors qu’elle doit dire qu’elle fera « tout ce qu’il faudra » pour soutenir le système bancaire (whatever it takes), parce qu’elle est en charge de défendre le système monétaire : the euro is irreversible.

Au plan technique, il s’agit de différencier les cas extrêmes (tail risks en anglais, ceux qui sont très rares - mais très graves) de ceux qui sont moyennement graves et peuvent donc être assez fréquents. La littérature théorique est abondante dans ce cas, et soutient la position de Monsieur Draghi. Celle de la Buba remonte à l’histoire, l’hyperinflation allemande. Il faudra donc beaucoup de technicité et aussi de tact pour convaincre, sans vaincre. Car évidemment ce n’est pas l’ennemi qu’il s’agit de rencontrer, mais le pays, et l’économie, qui ont été profondément blessés, et qui sont remontés, en leur montrant que les solutions sont différentes, et les risques plus graves encore aujourd’hui.

C’est pourquoi la crise de la zone euro ne peut être résolue dans le contexte purement monétaire, mais pleinement politique d’intervention des Etats dans le redressement de leurs budgets, avec l’aide des autres pays. La distinction entre action « monétaire » de la BCE, jusqu’à trois ans, et non monétaire au-delà, autrement dit politique, est évidemment contestable, mais c’est la façon de mettre chacun devant ses responsabilités. La BCE a pris les siennes, la Buba aussi, c’est maintenant aux Etats d’agir. Et de régler ainsi cette crise d’analyse, qui est en fait une crise de responsabilités.

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