Chômage des intérimaires : la face sombre du soi disant modèle français de sécurisation de l'emploi<!-- --> | Atlantico.fr
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Le secteur marchand s'est rétracté au second trimestre 2012 provoquant la destruction de plusieurs milliers d'emplois dans l'intérim.
Le secteur marchand s'est rétracté au second trimestre 2012 provoquant la destruction de plusieurs milliers d'emplois dans l'intérim.
©Reuters

Sécurisation partielle

L'emploi salarié dans les secteurs marchands a perdu 22 400 postes au 2e trimestre 2012 (-0,1% sur trois mois), dont 18 900 d'intérimaires. Ce secteur, longtemps considéré comme la clef de la sécurisation de l'emploi en France, n'est plus à l'abri des vagues de licenciements.

Rachid Belkacem

Rachid Belkacem

Rachid Belkacem est économiste, maître de conférence à l'université Nancy 2. Ses domaines de recherche se concentrent sur les formes et les politiques publiques de l'emploi ainsi que sur la flexibilité du travail. Très au fait du développement du travail en intérim, il a publié Visages de l'intérim en France et dans le monde avec François Michon et Cathel Kornig aux Editions l'Harmattan en 2011. 

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Atlantico : Le secteur marchand s'est rétracté au second trimestre 2012 provoquant la destruction de plusieurs milliers d'emplois dans l'intérim. Dans la conjoncture actuelle, qu'en est-il de ce que l'on a considéré comme le modèle français de sécurisation de l'emploi ?

Rachid Belkacem : Il est vrai que pendant longtemps, la rhétorique selon laquelle l'intérim était la clé vers la sécurisation de l'emploi a eu cours en France. En réalité, en dépit de la conjoncture actuelle, je doute que l'on puisse considérer que ce soit la fin d'un modèle. L'intérim est destiné à jouer un double rôle, à la fois celui d'amortisseur et celui de facteur d'anticipation, tel que le ferait un baromètre de l'activité économique. La rétractation des emplois en intérim indique donc de façon claire que l'on subit encore la crise. Cela révèle l'humeur d'ensemble des entreprises, de plus en plus inquiètes quant à l'avenir. Dès lors que l'économie se portera mieux, mécaniquement, l'intérim reprendra aussi des couleurs. Nous sommes donc au niveau macro-économique dans une période de ralentissement général.

En fait, le phénomène que l'on constate est inhérent à la nature de l'intérim. C'est la façon la plus rapide pour les entreprises de trouver de la main d'oeuvre et de sélectionner le bon candidat. C'est une formule idéale de sélection des futurs salariés en période de recrutement. On est quand même dans un contexte de baisse tendancielle de la durée des missions d'intérim. Cela traduit sa troisième fonction, qui est celle de la souplesse et de la flexibilité du travail. Quoi qu'on en pense, ce sont des facettes qui se complètent et qui font partie du modèle de l'emploi européen et mondial.

On peut donc considérer, malgré la conjoncture, que l'intérim reste un modèle de sécurisation de l'emploi ?

Sans doute. Je crois que l'intérim a encore un rôle a jouer en termes de trajectoire mais il y a encore tout un équipement institutionnel à construire. Pour l'instant, l'Intérim s'aligne encore sur le même modèle que le CDD : une fois la mission terminée, l'intérimaire n'est plus lié contractuellement avec son employeur temporel. Il faut pouvoir l'accompagner grâce à des dispositions permettant d'encadrer la trajectoire professionnelle.

L'intérim à l'allemande a souvent été dénoncé en raison de la précarité qu'il impliquait, mais de ce point de vue, le modèle français est-il meilleur ?

On estime que chaque année, deux millions de personnes en France passent par l'intérim. Parmi ces deux millions, les 2/3 viennent directement des services de Pôle emploi. 45% des missions ne dépassent pas 1 à 2 jours et la durée moyenne des missions est de 1,8 semaine. Un employé ne travaillant que via l'intérim ne travaille que deux semaines dans un mois et encore... selon la conjoncture. Par nature donc, ce travailleur est précaire et le restera, sauf s'il fait partie de ces travailleurs hautement qualifiés qui choisissent l'intérim car ils disposent de qualifications rares sur le marché qui leur assureront un rythme soutenu de missions très bien rémunérées. Autrement dit, la majorité de la main d’œuvre est dans une relation au travail précaire du fait de la discontinuité de la relation salariale. Elle est aussi précaire du fait de la rémunération qui ne prend pas en compte les primes d'ancienneté, par exemple.

C'est sur ces points que des choses restent à faire, il faut rendre plus durable la relation entre les intérimaires et les agences d'emploi. Pour cela, le Prisme avait proposé de mettre en place un CDI pour les travailleurs hautement qualifiés pour des CDD à plus long terme. L'objectif étant de stabiliser un peu plus l'intérimaire.

Ces évolutions sont pourtant antinomiques avec le contexte économique actuel.

L'intérim subit en effet systématiquement et de plein fouet les perturbations économiques, en raison de la flexibilité de ses travailleurs. C'est sa nature. C'est pour cela que la profession veut diversifier ses champs d'action allant jusqu'au classement ou à la formation. Au niveau européen, cette solution est de plus en plus envisagée car on cherche comment améliorer le rôle des agences d'emploi dans la régulation du marché du travail et des trajectoires professionnelles sécurisées.

Au-delà des facteurs purement économiques, cette rétractation de l'emploi intérimaire n'est-elle pas représentative d'une tendance française à surprotéger les employés qui ont des contrats fixes et qui font partie d'une entreprise et au contraire à fragiliser ceux qui sont externes à ce système ?

L'intérim est une formule qui permet de diversifier les collectifs de travail, c'est un instrument de différenciation des relations d'emploi dans l'entreprise. Je pense donc que cela fragilise aussi la situation des salariés de la maison, contrairement à ce que l'on pourrait penser. D'ailleurs une étude américaine étudiait ce phénomène et a démontré que les employés fixes, pour se défendre, avaient mis au point une stratégie de rente de situation via les compétences spécifiques qu'ils détiennent. Ils développent donc des comportements qui fait que l'entreprise ne peut pas se priver d'eux. Ils se rendent disponibles pour la formation par exemple. Par ce comportement, ils renforcent leur position.

D'après les enquêtes menées dans les entreprises, les salariés qui sont bien installés et qui bénéficient de tous les avantages et les primes dues à leur position développent au contact du modèle de l'intérim des postures de défense. Après tout, ils incarnent une nouvelle forme d'emploi très appréciée des employeurs, aussi les "insiders" font tout pour être irréprochables : à défaut de ne pas pouvoir rivaliser sur la question du coût ils se rattrapent sur la qualité. 

Propos recueillis par Priscilla Romain

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