Taux d'homicide pire qu'en Sicile : la Corse est-elle tombée sous la coupe du crime organisé ?<!-- --> | Atlantico.fr
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Trois hommes, connus des services de police ont été tués ce mardi sur une petite route de Haute-Corse.
Trois hommes, connus des services de police ont été tués ce mardi sur une petite route de Haute-Corse.
©DR

Corse et Sicile, même combat ?

Une vendetta corse a fait trois nouvelles victimes, mardi. Depuis le début de l'année, treize personnes ont été assassinées et neuf ont fait l'objet d'une tentative d'homicide sur l'île de Beauté. Une situation qui montre "une recomposition de la criminalité organisée" selon le procureur de la République de Bastia, Dominique Alzeari.

Fabrice Rizzoli

Fabrice Rizzoli

Fabrice Rizzoli (né en 1971) est co-fondateur et président de l'association Crim'HALT qui veut impliquer la société civile contre la criminalité. Il enseigne dans divers établissements universitaires. Docteur en science politique à l’université de Paris I (Panthéon-Sorbonne), il est spécialiste de la criminalité organisée et des mafias italiennes et coopère avec le Centre Français de Recherche sur le renseignement. Il a été chercheur à l'Observatoire géopolitique des drogues (OGD), chargé de mission à l'observatoire milanais sur la criminalité organisée (Omicron) dans le cadre du projet de recherche « Falcone » piloté par la Commission européenne. Ensuite, il a été officier de protection au ministère des Affaires étrangères (Direction des Français à l'étranger et des étrangers en France), puis à la Commission de recours des réfugiés (OFPRA). Il intervient régulièrement comme consultant et conférencier sur ces thèmes. Il anime le site mafias.fr (analyse au quotidien d'un phénomène complexe). Il a écrit La mafia de A à Z (aux éditions Tim Buctu), qui regroupe 162 définitions mafieuses, de A comme "Accumulation du capital" à Z comme "Zoomafia". Il est également co-fondateur du Salon "Des Livres et l'Alerte".

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Atlantico : Trois hommes, connus des services de police ont été tués ce mardi sur une petite route de Haute-Corse. Les enquêteurs privilégient la piste du règlement de compte. Ces meurtres viennent grossir les chiffres de la criminalité liée au grand banditisme corse. Ce regain d'activité amène à s'interroger sur la place de l’État dans cette zone. A-t-on en Corse un schéma identique à celui de la Sicile c'est-à-dire un grand banditisme qui prospère grâce à un no men's land étatique ?

Fabrice Rizzoli : Je ne fais pas partie de ceux qui dénoncent l'absence de l'Etat de droit en Corse, car selon moi il existe bel et bien, mais pâtit de failles importantes. Ces dernières sont  d'autant plus visibles que la violence en Corse est bien plus prégnante que dans les autres départements français : 30 meurtres et tentatives de meurtres par an pour 300 000 habitants. C'est bel et bien le taux de criminalité le plus élevé de l 'OCDE et des régions d'Europe. C'est plus qu'à Naples ou en Sicile. Malgré ces chiffres alarmants et quasi récurrents ces dix ou quinze dernières années, des solutions tardent à être trouvées pour endiguer ce phénomène. Cela conduit à une certaine impunité des bandits, quels qu'ils soient.  Sur ces trente meurtres, combien ont été résolus par les services de police ? Combien de bandits ont été mis en prison ? L'Etat de droit en pâtit, s'affaiblit et devient défaillant.

Peut-on comparer la Corse et la Sicile, qui a aussi souffert de la défaillance de l'Etat de droit ?

Les chiffres de la criminalité que l'on a en Corse aujourd'hui sont similaires à ceux que l'on constatait en Sicile au début des années 80, où Il y a eu parfois jusqu'à 300 à 400 meurtres par an, sur une population de 5 millions d'habitants. Si l'on veut comparer correctement la Corse et la Sicile, il ne faut pas oublier que cette dernière a bien plus d'autonomie. Si la Sicile a réussi a faire baisser cette violence, c'est uniquement par la mise en place d'une magistrature indépendante qui s'est attaqué de façon frontale à la mafia, en confisquant ses avoirs puis qui a bénéficié d'une loi lui permettant de réutiliser les biens confisqués. On a aussi mis en place le système des collaborateurs de justice que les journalistes ont surnommés "les repentis". Tout ce dispositif a réduit les marges d'action des mafias siciliennes et les a poussés à se concentrer sur leurs business et à ralentir les assassinats.

A l'image de la Sicile des années 80, ce qui manque à la Corse aujourd'hui c'est un dispositif concret, c'est-à-dire une loi de confiscation administrative qui permet de retirer leurs biens aux clans, quand bien même ils ne seraient pas sous le coup d'accusations pénales. C'est ce qu'on appelle communément les confiscations sans condamnation pénale du propriétaire. Ces biens doivent ensuite être réutilisés : en Sicile, la maison de Toto Riina, réputé pour avoir commandité l'assassinat de 1000 personnes, est désormais un lycée agronome où les élèves apprennent l'agriculture qui est le premier secteur d'embauche en Sicile

Finalement ces outils efficaces de lutte contre le crime organisé qui manquent en Corse sont aussi ceux qui manquent à la France.

Peut-on penser que la mesure des Zones de sécurité prioritaire mises en place il y a quelques temps pourrait apporter un début de solution à la violence corse ?

C'est une option, mais ce ne sera jamais suffisant, il manque tout ces outils que je vous ai cité en ajoutant la loi des collaborateurs de justice. Cela implique que certains membres de réseaux criminels corses acceptent d'arrêter leurs activités, de livrer les noms des principaux chefs de clans et d'aller se cacher par la suite sous une fausse identité. C'est la seule façon de pouvoir obtenir des informations à l'intérieur des réseaux.

Des agences de confiscation existent déjà mais elles ne sont clairement pas suffisantes.

On sait qu'il est très difficile de démasquer les membres des réseaux criminels corses car ils bénéficient de soutiens forts parmi la population. Dans ces conditions la loi sur les collaborateurs de justice a-t-elle des chances de prendre ?

On pensait la même chose de la Calabre à la différence près que les clans calabrais avaient une relation de sang en dépit des mariages. Pourtant cela a fonctionné, car il arrive que l'un des membres du clan soit dos au mur, il doit choisir entre la mort et la vie entière sous une fausse identité. Le choix est vite fait.

Il faut toutefois savoir que la loi sur les collaborateurs de justice a déjà été votée en France dans le cadre des lois Perben en 2000. Le couac, c'est qu'elle n'a pas eu de décret d'application et est donc restée lettre morte. On peut imputer ce fait à des raisons culturelles : la France reste très marquée par la délation qui a une image très négative. En réalité, on ne croit pas que cette loi peut fonctionner en dépit de son impact positif partout où elle a été mise en place.

On parle d'une reconfiguration du grand banditisme corse menée vent debout semble-t-il par une nouvelle génération de criminels. Que savent les autorités sur ces nouveaux visages du banditisme corse et ont-elle les moyens de les arrêter ?

Les autorités connaissent sans doute ces nouveaux noms. Mais dans ce cas, ce sont de jeunes tueurs qui sont concernés et dans l'état actuel des choses il est difficile de prouver qu'ils agissent bien sous les ordres d'autres personnes et de connaître leurs identités. Pour faciliter cette étape, il faudrait mettre en place un délit d'association criminelle. Cette demande a été émise par la Commission européenne par le biais de la nouvelle commission parlementaire anti-mafia en place en ce moment et dont le but avoué est de faire en sorte que la mesure de délit d'association criminelle ait cours dans tous les Etats européens. Il faut réussir à condamner les gens pour le seul fait d'appartenir à une association criminelle, même s'ils ne donnent pas d'ordres. Il suffit de savoir qu'ils se fréquentent, ou qu'ils ont des intérêts patrimoniaux communs.

La France n'est, en effet, pas le seul cancre en matière de lutte contre le banditisme : l'Allemagne, l'Angleterre, et les pays ibériques ont des efforts à faire. 

Comment ces mutations sont-elles vécues par la population corse elle-même ?

Un sentiment ambivalent traverse la population corse. On ne peut pas douter du fait que les Corses aiment la France et soient majoritairement pour rester au sein de la communauté nationale. C'est d'ailleurs une des raisons pour lesquelles les indépendantistes n'arrivent pas à s'imposer sur la scène politique. En dépit de cet amour pour la France, les Corses ont subit le racisme des Français qui les voyaient comme des assistés, des fainéants qui consommaient l'argent de l’État. Cette relation compliquée a amené certains Corses a prendre le parti des indépendantistes en les voyant comme les garants de leur défense. Ils sont républicains mais en veulent à l’État de ne pas s'investir plus dans la gestion de la région.

Propos recueillis par Priscilla Romain

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