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Retour du thème de l'insécurité : la gauche au pouvoir est-elle armée pour faire face aux préoccupations des Français ?
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Peur sur la France

Selon un sondage Ifop pour Atlantico, 57% des Français considèrent que la lutte contre la délinquance doit être une des priorités du gouvernement pour les prochains mois. Une augmentation de 12 points par rapport à l'enquête précédente pourtant effectuée dans le contexte anxiogène de l’affaire Merah.

Xavier  Raufer et Christophe Soullez

Xavier Raufer et Christophe Soullez

Xavier Raufer est un criminologue français, directeur des études au Département de Recherches sur les Menaces Criminelles Contemporaines à l'Université Paris II, et auteur de nombreux ouvrages sur le sujet.

Christophe Soullez est criminologue et dirige le département de l'Observatoire national de la délinquance et des réponses pénales (ONDRP) à l'Institut national des hautes études de la sécurité et de la justice (INHESJ). Il est l'auteur de "Histoires criminelles de la France" chez Odile Jacob, 2012.

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A lire, le sondage Atlantico : + 12 points : forte hausse de la lutte contre la délinquance parmi les préoccupations des Français

Atlantico : Un sondage Ifop pour Atlantico montre la forte remontée de la préoccupation en matière de sécurité : + 12 points par rapport au mois de mars. Le thème se classe en troisième position (alors qu’il occupait la 7ème place en mars après l’affaire Merah), au même niveau que la santé, et arrive même devant l’éducation et la dette. L’insécurité a-t-elle vraiment progressé depuis l’électionprésidentielle ?

Christophe Soullez: Pour ce qui est des crimes et délits, d'après les chiffres de la police et de la gendarmerie, on ne peut pas parler de phénomène nouveau. On est sur une tendance à la hausse qui existait déjà avant l'élection présidentielle. Aujourd'hui, en termes d'atteintes enregistrées par les fonctionnaires de police ou la gendarmerie, on ne remarque pas de phénomènes émergents. La délinquance est un phénomène complexe et assez lent. On est sur des tendances qui se poursuivent depuis un an et demi ou deux ans.

Xavier Raufer : Depuis deux mois des actes extraordinairement spectaculaires se sont produits et ont inondé les médias. Ces actes n'ont pas inondé les médias de manière factice, mais en toute bonne logique : il s'agissait notamment d'une ville ravagée par la violence (Amiens) ou d'une série impressionnante d'assassinats entre la façade méditerranéenne et la Corse.

Jérôme Fourquet, le patron de l’Ifop, attribue cette soudaine montée du sentiment d’insécurité aux règlements de compte à Marseille et en Corse et aux incidents dans la banlieue d’Amiens. Partagez-vous son point de vue ?  

Christophe Soullez: Oui, il est clair que la perception qu'a la population des questions de sécurité est très liée à la visibilité de certains évènements dans la presse. Lorsqu'on interroge les personnes dans un contexte où les médias font écho de plusieurs évènements liées à la délinquance, cela va influencer leur sentiment par rapport à l'insécurité.

C'est un phénomène qu'on a connu en 2010 à l'Observatoire national de la délinquance lors de notre enquête de victimation. Il y a parfois une déconnexion entre le fait d'être victime et le fait de se sentir en insécurité. Par exemple dans cette enquête de victimation, il y a moins de victimes déclarées, mais plus de personnes qui sentent en insécurité. D'où l'importance du rôle des médias et surtout de l'exposition que tel ou tel évènement va avoir dans la presse. Lorsque vous interrogez les gens trois jours après les évènement de Marseille, ils vont forcément avoir tendance à se dire en insécurité. 

Xavier Raufer : L'inquiétude de la population n'est pas factice. Dans les années 1980, lorsque le PS est arrivé pour la première fois au pouvoir, les gens qui manifestaient leur inquiétude étaient considérés comme des beaufs alcooliques qui fantasmaient. Les socialistes doivent conserver l'expérience de leur passage précédent et ne pas reproduire les mêmes erreurs. Pour les gens qui habitent dans les zones hors contrôles des quartiers nord de Marseille, la vie est absolument cauchemardesque.

Au-delà de ces évènements spectaculaires, y a-t-il un problème structurel d'insécurité en France ?

Christophe Soullez: Comme depuis plusieurs années, des problèmes de sécurité se posent dans certains quartiers. Les phénomènes qui ont eu lieu à Marseille ne sont pas nouveaux. Cela a existé il y a deux ans, il y a cinq ans et même il y a trente ans. C'est le fait d'exposer et de rendre plus visible ce type d'évènements qui peut contribuer au développement du sentiment d'insécurité. Cela ne veut pas dire qu'il n'y a pas de problèmes réels : le trafic de stupéfiant ou les difficultés des forces de police à intervenir dans certains quartiers n'ont pas disparu du jour au lendemain.

Xavier Raufer : Oui, d'autant plus qu'on apprend de plus en plus souvent ces derniers temps qu'il y a un certain nombre de "ripous" dans la police. Un haut gradé de la police lyonnaise vient justement d'être révoqué. Dans une institution comme la police, il suffit de quelques personnes corrompues pour paralyser tout le système.

Le retour de la gauche au pouvoir, traditionnellement moins à l’aise avec le thème de la sécurité, peut-il aussi expliquer la forte remontée de cette préoccupation chez les Français ? 

Christophe Soullez: Le fait que la gauche soit jugée moins crédible que la droite sur ces questions là peut expliquer que la population soit un peu plus sceptique. Mais cela peut être vrai aussi pour un pouvoir de droite dès lors qu'il arrive aux responsabilités. Lorsqu'un nouveau pouvoir arrive aux commandes, l'opinion publique manifeste souvent une certaine impatience.

Xavier Raufer : Le problème n'est pas la gauche. S'il y avait la gauche comme entité soudée, il y aurait une seule politique, bonne ou mauvaise, mais on y verrait clair. Manuel Valls et Christiane Taubira ne tirent pas dans le même sens. D'un côté, le ministre de l'Intérieur fait les gros yeux, et de l'autre côté, la ministre de la Justice joue le rôle du père Noël !  

Une partie de la gauche n'a pas renoncé à la culture de l'excuse et à l'idée que les gens qui commettent des crimes sont en réalité des victimes qui répondent comme elles peuvent à la brutalité de l'Etat. Madame Taubira exprime cette philosophie lorsqu'elle dit qu'il faut vider les prisons. Il est évident que ce genre de phrase fait l'effet d'une hormone de croissance sur les délinquants. La seule chose qui retient les gens de commettre des crimes, c'est la peur de la sanction.

Aujourd’hui, le nouveau ministre de l’Intérieur Manuel Valls fait preuve d’un activisme qui n’est pas sans rappeler Nicolas Sarkozy lorsqu’il occupait lui-même ce poste… La gauche peut-elle être aussi crédible que la droite en matière de sécurité ?

Christophe Soullez: C'est l'avenir qui nous le dira. Il y a actuellement des problèmes de fond liés au trafic de stupéfiants mais en même temps de fortes contraintes budgétaires.Le ministre de l'Intérieur va devoir faire des réformes tout en tenant compte de ces contraintes. Le deuxième point qu'il va falloir apprendre à gérer pour le pouvoir en place, c'est la grande complémentarité qu'il doit y avoir entre le ministère de l'Intérieur et le ministère de la Justice. Les messages envoyés par Manuel Valls et Christiane Taubira ne doivent pas être contradictoires.

En matière de lutte contre l'insécurité, on ne peut pas faire porter les résultats uniquement sur le ministère de l'Intérieur. C'était déjà vrai sous le précédent gouvernement. Si on repars sur une démarche visant à faire reposer l'efficacité des politiques publiques de sécurité uniquement sur le ministère de l'Intérieur, on ira encore droit dans le mur ! Il faut faire coopérer les policiers et la magistrature.

Xavier Raufer : Manuel Valls ne fait pas preuve d'activisme, il fait son boulot. S'il ne se passait rien, il n'aurait pas besoin d'agir. S'il n'y a pas d'activisme des voyous, il n'y a pas d'activisme de la police.

Ce n'est pas une question de droite et de gauche. Il y a eu par le passé des ministres de l'Intérieur de gauche très respectés comme Jean-Pierre Chevènement et Pierre Joxe. Pour être un bon ministre de l'Intérieur, il faut faire preuve d'une certaine autorité et agir de manière déterminé. Si Manuel Valls a ces qualités là, son action sera efficace.

Interview réalisée séparément

Propos recueillis par Alexandre Devecchio

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