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Europe des banques : la supervision bancaire commune tiendra-t-elle la route ?
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L'un ou l'autre

Michel Barnier présente ce mercredi son projet de supervision bancaire pour la zone euro. L'Europe est-elle sur le point de se doter d'une véritable institution de contrôle ou d'une coquille vide censée rassurer les marchés ?

Hubert Bonin

Hubert Bonin

Professeur d'histoire économique à Sciences Po Bordeaux.

Chercheur au Groupe de recherche en économie théorique et appliquée du CNRS de Bordeaux.

 

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Avec ténacité, Michel Barnier aura réussi à porter jusqu’à la « gare de triage » son projet d’institution d’un système de régulation bancaire à l’échelle européenne. Notons que la crise bancaire aura éclaté en 2007-2008, et que presque une demi-douzaine d’années aura été nécessaire pour que le prototype quitte l’atelier ! L’on peut dresser ainsi un premier point avant de scruter la cristallisation de cette politique dans d’autres articles.

Le combat téméraire de Michel Barnier

C’est que le David de la Commission européenne aura dû batailler contre des Goliaths robustes, les puissants groupes de représentation des intérêts bancaires… Au niveau européen, l’Institute of International Finance, une association transatlantique, a bataillé au nom des banquiers contre tout projet trop « interventionniste » et contre toute loi de séparation entre les banques commerciales classiques et les banques d’affaires. Dans chaque pays, un intense lobbying a été mené, des « plumes d’affaires » mobilisées dans la presse, les patrons influents et les groupes de pensée peu ou prou néolibéraux. Au sein de la Commission et du Parlement européens, d’ailleurs, l’influence des courants non interventionnistes s’avère majoritaire, il faut le rappeler.

Les arguments sont simples : les grandes banques « universelles » (qui font tous les métiers) les plus sérieuses (avec de bons contrôles des risques) ont bien tenu (Bnp Paribas, Deutsche Bank, Bbva, Santander, Barclays, Unicredit, Intesa-San Paolo), et les moins bien gérées ont glissé (Abn-Amro, Ing, Crédit suisse, Lloyds, Rbs) ou seulement trébuché (Société générale, Ubs) ; en revanche, des banques de dépôts (Northern Rock) et des banques d’affaires spécialisées ont été ébranlées par une gestion aléatoire. Bref, imposer des « modèles stratégiques », des « modèles bancaires », reposant sur la séparation entre la banque commerciale classique et la banque des métiers de banque d’affaires, de banque de marchés ou d’investissements financiers (immobilier, fonds de gestion) – dans la ligne du projet américain Volcker ou anglais – serait vain.

Quatre enjeux clés

Quel que soit le sort de ce premier point, tous les acteurs admettent qu’il faut augmenter la dose de régulation. Mais faut-il le faire au niveau européen ? Les Britanniques sont vent debout contre cette idée, car ce serait remettre en cause l’autonomie et la puissance de la City, tout de même plus grande place internationale en Europe, loin devant Paris ou Francfort. C’est le premier obstacle : faut-il un code de régulation transeuropéen, ou seulement continental ?

Le deuxième débat tourne autour de l’ampleur sectorielle : les Allemands arguent de la qualité de leurs Caisses d’épargne et banques mutuelles (Volksbanken & Raiffeisenbanken) ; or l’Autriche a dû renflouer les siennes en urgence en 2008, tandis que les caisses d’épargnes espagnoles ont été balayées par le tsunami de leurs mauvais crédits. Et l’on sait que, partout, ces banques de proximité constituent des enjeux politiques, de « patriotisme de clocher » : faut-il laisser Bruxelles imposer leur contrôle par la Bce ?

Un troisième nœud de débat réside donc dans la définition du « principe de subsidiarité » : les autorités locales s’occuperaient de ces banques de proximité, et l’autorité européenne de « la grande banque »… Or, aux Pays-Bas, en Autriche et en France, les banques mutualistes ont constitué des groupes qui se sont dotées d’institutions centrales qui constituent de véritables « banques universelles » ! Si la majorité des caisses régionales de Crédit agricole, des Banques populaires et des Caisses d’épargne ont traversé la crise sans secousses aiguës, leur maison mères ont vécu des crises intenses, chez Crédit agricole Corporate & Investment Banking (Cacib) et chez Natixis (du groupe Bpce, qui réunit Banques populaires et Caisses d’épargne), tout comme la filiale internationale de la banque Raiffeisen, de Vienne, ou Erste Bank, le groupe des Caisses d’épargne autrichiennes, toutes deux à cause de leurs déboires en Europe centrale et orientale. Bref, prétendre que les banques de proximité ne constituent aucun risque relève de l’aveuglement, puisque leur fédération constitue un potentiel de risques important…

Le quatrième enjeu, lié lui aussi au principe de subsidiarité, surgit du désir des autorités nationales de garder un droit de regard essentiel sur leur marché. Or, dans plusieurs pays, elles se sont laissé circonvenir par les groupes d’intérêts économiques et politiques qui ont créé et parrainent encore plusieurs institutions. La crise de Dexia – l’ex-Crédit local de France – s’explique par les pouvoirs de gauche et de droite ont favorisé outre-mesure cette banque des collectivités locales ; de même, la crise toute récente du groupe du Crédit immobilier de France a montré comment l’Autorité de contrôle prudentiel française (Acp) avait été empêchée d’imposer des réformes à une confédération bénéficiant du soutien de réseaux d’institutions de logement social et de collectivités locales.

Transformer l’esquisse en leviers d’action

L’on appréciera ainsi les tensions qui s’expriment auprès des groupes d’experts de la Commission qui préparent la réforme annoncée en cette mi-septembre ! M. Barnier aura bien besoin de tout son poids et son talent politiques pour résister aux lobbyistes ! La loi Dodds-Frank, votée aux États-Unis en 2010, n’est pas encore appliquée véritablement : il faudra encore de nombreux textes pour la mettre en œuvre et redéfinir les « modèles économiques » des grandes banques d’outre-Atlantique. La réforme qui s’esquisse à Bruxelles va définir de grandes lignes, les « lignes de force », de la montée en puissance d’une réglementation et d’une autorité bancaires européennes, sous l’égide de la Bce, qui chapeautera la nouvelle institution, tout comme la Banque de France est la marraine de l’Acp.

Il ne faudra pas « trépigner » d’impatience, car cette esquisse va être soumise à de nombreux débats, au sein de la Commission et au Parlement, sans évoquer ici les délais de mise en œuvre ultérieurs… M. Barnier va devoir affronter « les hommes d’influence », comme Michel Pébereau, l’ancien patron de Bnp Paribas, dans un match tout en douceur et discret – qui ne passionnera pas les foules, de toute façon, malgré l’action de l’association Finance Watch créée à Bruxelles en 2011 pour contrebalancer le lobbying de l'industrie financière en produisant une expertise économique indépendante, notamment à l’initiative du député européen Pascal Canfin, désormais ministre dans le gouvernement J.-M. Ayrault.

Pour la France, il faudra notamment déterminer comment se répartiront les responsabilités entre l’Acp, la Banque de France, la Bce et la nouvelle Autorité européenne : autant dire que la locomotive de la régulation ne sera pas un Tgv, mais bien au contraire un omnibus, avec de nombreuses haltes-débats, une sorte de « whistle-train » à l’américaine, ces trains à l’arrière desquels les hommes politiques faisaient campagne. Et il faudra surtout éviter « la voie de garage » ! Tout dépendra de qui contrôlera la tour des aiguillages de la régulation bancaire. Espérons aussi que des experts français figureront dans les commissions d’étude puis dans ces instances de décision, et que la place de Paris ne sera pas court-circuitée – car il faut prendre en compte par surcroît la rivalité, discrète mais réelle, entre Francfort et Paris pour l’animation de la banque et de la finance en Europe continentale…

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