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La tactique hollandaise d'effacement de Nicolas Sarkozy de la mémoire collective est vouée à l'échec
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Damnatio memoriae

Tout au long de la campagne, François Hollande n'a quasiment jamais utilisé le nom du candidat Sarkozy. Ce choix n'était pas anodin, le candidat socialiste préparait déjà une disparition mémorielle, c'est la dammatio memoriae.

Christophe de Voogd

Christophe de Voogd

Christophe de Voogd est historien, spécialiste des Pays-Bas, président du Conseil scientifique et d'évaluation de la Fondation pour l'innovation politique. 

Il est l'auteur de Histoire des Pays-Bas des origines à nos jours, chez Fayard. Il est aussi l'un des auteurs de l'ouvrage collectif, 50 matinales pour réveiller la France.
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Les signes ne sont pas trompeurs, même si le nouveau président a encore du mal à le prononcer : de sondages en couvertures de presse le nom de l’ancien président revient peu à peu à la une. Bientôt sa photo ? Des documentaires sur son quinquennat ? Voire, sait-on jamais, l’homme lui-même, en direct sur les antennes d’Etat ? Hypothèses qui ne sont plus invraisemblables, car une chose est d’ores et déjà acquise : la vaste entreprise de damnatiomemoriae, dont il a été l’objet, est en train de tourner court. Elle aura battu son plein pendant exactement quatre mois (début mai-début septembre), durant lesquels le pouvoir socialiste et la quasi-totalité des médias, par proximité idéologique et/ou attirance pour le nouveau, auront envoyé aux « oubliettes » (le mot dit tout !), le précédent titulaire de la charge suprême. Avec, pour être exact, des prémices dès la campagne électorale lorsque François Hollande refusait de nommer son adversaire autrement que par la périphrase – au demeurant incorrecte en bon français – de « candidat sortant ». Disparition des écrans favorisée, il est vrai par le retrait médiatique du principal intéressé, qui, contre son tempérament, a compris qu’il lui fallait se faire oublier. Le plus longtemps possible, malgré les tentations et autres démangeaisons syriennes…

Une pratique bien ancienne

Vouer son adversaire à la disparition mémorielle est en tout cas un procédé bien connu : sa plus pure expression est, comme toujours, à trouver en littérature avec le 1984 d’Orwell et son « Ministère de la Vérité », réécrivant l’histoire au fur et à mesure et vouant à l’oubli définitif les disgraciés du jour. Echo de l’histoire contemporaine et des pratiques en vigueur dans les régimes totalitaires, en particulier de Staline : on connaît ces photos retouchées, où les Trotski, Kamenev et autres Zinoviev avaient disparu comme par miracle. En fait la damnatio memoriae est aussi vieille que le pouvoir lui-même et l’on en trouve trace dès Égypte ancienne avec la destruction des cartouches et des statues du pharaon Akhenaton, coupable d’hérésie contre le dieu Amon et surtout contre son tout-puissant clergé…

Politique de la mémoire

Mais c’est à Rome que ce phénomène trouva son expression la plus systématique et la plus durable dans le cadre d’une véritable politique de la mémoire. En furent victimes nombre d’empereurs, de Néron à Geta (le visage effacé sur le portrait de famille des Sévères, ci-dessus) en passant par Galba, Domitien ou Commode ; des membres de la famille impériale comme les proches de Germanicus ; des ambitieux intrigants comme Séjan, le terrible préfet du prétoire de Tibère. Prononcée officiellement par le Sénat, la damnatio memoriae, entraînait la disparition du nom (abolitio nominis) et la destruction de toutes les traces du condamné, proclamé ennemi (hostes) de Rome : destruction des statues, effacement des inscriptions et jusqu’au martelage des monnaies !

Véritable instrument du pouvoir, rythmant les « alternances » de l’époque, la pratique était favorisée par la lassitude de l’opinion, la coalition des mécontents et l’opposition conservatrice du Sénat. Toute analogie…Mais aussi fréquente fût-elle, aussi dommageable soit elle pour notre connaissance de certaines périodes – ainsi du règne de Domitien- il s’en dégage une leçon claire et presque toujours vérifiée : la damnatio memoriae n’atteint jamais son but et s’avère même souvent contre-productive.

L’oubli commandé ne fonctionne pas !

Désobéissance des uns, nostalgie des autres, versatilité bien connue de l’opinion et curiosité insatiable de la postérité, autant de facteurs qui ont entravé l’efficacité de la mesure. Quel empereur romain est plus présent à nos mémoires que le « damné » Néron ? Ne connaît-on pas mieux Domitien que son « damnateur », Nerva ? Commode n’est-il pas devenu un héros des péplums hollywoodiens d’Anthony Mann à Ridley Scott ? La politique elle-même peut entraîner la résurrection du disparu : ainsi lorsque Septime Sévère, soldat parvenu en mal de légitimité, réhabilita le même Commode pour rehausser son pouvoir du prestige des Antonins. Qui peut nous dire que la France ne connaîtra pas pareille alternance… et pareille réhabilitation de qui vous savez?

Aléas de la mémoire que connaissent bien les historiens, familiers de ses flux changeants, de ses vagues générationnelles et du retour inévitable du refoulé. Mais il y a plus : si la damnatiomemoriae est vouée à l’échec c’est en raison de son caractère profondément contradictoire.

Instrument politique et marqueur identitaire d’un nouveau pouvoir qui cherche, par elle, à s’opposer à son prédécesseur, la damnatio memoriae est prise dans une alternative fatale, entre l’abolition du passé et la condamnation répétée de celui-ci. De deux choses l’une : soit l’on n’en parle plus du tout, soit l’on s’y réfère sans cesse, fût-ce négativement. Au risque, d’entretenir la flamme du souvenir. L’histoire montre que tel est bien le danger : à quoi bon détruire les statues de Néron ou de Domitien quand Suétone et Tacite leur consacrent des portraits monstrueux mais fascinants ? En somme, l’on ne peut ordonner d’oublier ; c’est seulement par la qualité de sa propre action que l’on peut faire oublier.

Comparaison est bien raison

Traduction contemporaine : après avoir martelé que « le changement c’est maintenant », n’est-il pas vain d’arguer sans cesse aujourd’hui de la « situation que j’ai trouvée », de la « lourdeur de l’héritage », du « temps perdu sous le quinquennat précédent », du « prédécesseur qui n’a rien fait ». Car, à toujours s’excuser sur le dos de ce dernier, non seulement on en réactive sans cesse le souvenir, mais l’on invite immanquablement à la comparaison.

Certes le peuple a la mémoire courte ; mais cette mémoire est à ressac. Il est dans sa nature même de revenir en boomerang miner la position du vainqueur. Il n’est ainsi pas besoin d’être grand prophète pour prédire que d’ici la fin de l’année – on en fait ici le pari – les images et les mots du début du nouveau quinquennat reviendront en boucle et à charge contre le nouveau pouvoir : l’inélégance -pour le moins- à l’égard du prédécesseur lors de la passation des pouvoirs ; le tweet de la première dame ; les vacances à la plage… Alors reviendront aussi sur les écrans, désormais lestées de l’amertume de la désillusion, les promesses naguère si alléchantes de la campagne : un président » normal » ? Un traité européen « renégocié » ? Des classes moyennes et populaires « épargnées » ? Etc. Et comme tout en politique est question de circonstance, les traits de génie d’hier passeront pour autant de couacs : le fameux « moi président », anaphore brillante de l’espoir, deviendra le leitmotiv de la déception. Car, autre paradoxe de la mémoire : elle est équitable dans son injustice même. A chacun son Fouquet’s

Le temps accéléré de la crise et de l’opinion

Avant la fin de l’année, disons-nous. Parce que nous sommes en crise et en démocratie d’opinion qui, hélas, ignorent le temps long (2014 est si loin!). Parce que trois chiffres seront alors tombés : ceux du chômage en septembre, octobre et novembre 2012. Et parce que la comparaison, de fait, s’imposera : « au fait, où en était le chômage en mai 2012 ? »

Invitation au parallèle d’autant plus tentante que l’impression progresse de jour en jour que, loin de tourner le dos à ce passé maudit, l’on renoue avec ses idées, ses discours et ses pratiques : « la crise est exceptionnelle », « la France a un problème de compétitivité » ; « deux séjours en province chaque semaine », une interview sur TF1, pour ne rien dire des Roms, et autres contrats passés avec des proches du pouvoir : tout cela ne vous rappelle-t-il pas furieusement quelqu’un?

D’autant plus, surtout, qu’à la différence de ses prédécesseurs, damnés post mortem, Nicolas Sarkozy – ça y est, le nom tabou est prononcé !- est lui, bel et bien, vivant…

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