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François Hollande se rend-il compte que le quinquennat a tué la logique de la relation Président/Premier ministre qu'il appelle de ses vœux ?
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Institutions

François Hollande, dans une interview au Monde, a déclaré qu'il doit "réhabituer les Français à ce qu'ils aient un Premier ministre à part entière". Mais lors de son interview sur TF1, le chef de l’État a fait marche arrière, tirant les leçons de la logique institutionnelle du quinquennat qui met plus facilement le Président en avant. François Hollande se veut désormais "en première ligne".

Christophe de Voogd

Christophe de Voogd

Christophe de Voogd est historien, spécialiste des Pays-Bas, président du Conseil scientifique et d'évaluation de la Fondation pour l'innovation politique. 

Il est l'auteur de Histoire des Pays-Bas des origines à nos jours, chez Fayard. Il est aussi l'un des auteurs de l'ouvrage collectif, 50 matinales pour réveiller la France.
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Atlantico : François Hollande, dans une interview au Monde, explique qu'il doit « réhabituer les Français à ce qu'ils aient un Premier ministre à part entière […] et les réhabituer à ce que le Parlement soit considéré, à ce que le gouvernement soit valorisé". Cette vision qu'a François Hollande du rapport entre le Premier ministre, le Parlement et le président est-elle dépassée par la réalité institutionnelle imposée par le quinquennat ?

Christophe de Voogd : La première chose que j'ai notée, c'est que pour la première fois depuis des mois, François Hollande a prononcé le nom de Nicolas Sarkozy. Cela montre que nous sortons de la damnatio memoriae de l'ancien président. Alors que dans la campagne, il ne parlait que du « candidat sortant », il recommence à prononcer son nom.

Sur la question du rééquilibrage des institutions, je vois deux problématiques très différentes : le rapport du président avec le Premier ministre, et son rapport avec le Parlement.

Concernant le rapport avec le Premier ministre, nous avons en effet vécu une hyperprésidence, avec un Premier ministre plus effacé, mais qui néanmoins a réussi à exister, à garder une image et une position assez forte pour être aujourd'hui bien placé dans la course pour la présidence de l'UMP. J'ai donc des réserves sur la thèse d’une élimination totale du Premier ministre dans la période Sarkozy, puisque que François Fillon est resté populaire et a préservé toutes ses chances pour être le leader de l'opposition.

Sur le Parlement, je ne suis pas d'accord avec ce que dit François Hollande, dans la mesure où les pouvoirs ont été renforcés sous Nicolas Sarkozy, notamment par une réforme constitutionnelle majeure, celle de 2008, dont on mesurera petit à petit tous les effets, sur la limitation de la procédure d’urgence, sur le pouvoir des commissions parlementaires, sur les droits de l'opposition, sur la répartition du temps de parole... Toute une série de dispositions qui font que jamais le Parlement n'a été aussi réhabilité. C'est un fait indéniable, puisqu'ancré dans la Constitution. Je suis toujours étonné qu’on parle si peu de cette réforme majeure dans le débat public et dans le bilan de Nicolas Sarkozy.

Cette relation président/Premier ministre rééquilibrée prônée par le président a-t-elle néanmoins un sens aujourd'hui ?

J'émets encore une fois une forte réserve, car je pense que François Fillon n'a pas été inexistant, loin de là. Il a notamment orchestré toutes les réformes, qui étaient particulièrement nombreuses sous Nicolas Sarkozy. Il a été un rouage absolument décisif sur la période pour gérer la machine administrative française, qui n'est pas d'une simplicité extrême... Davantage, je suis convaincu que François Fillon a joué un rôle politique décisif dans le tournant vers la rigueur à la fin du quinquennat. L’histoire, à mon sens, le confirmera.


Mais le quinquennat, à partir du moment où il n'y a pas de cohabitation – qui a d'ailleurs moins de chance d'arriver, du fait même du quinquennat – donne au régime une orientation encore plus présidentielle. Et je ne pense pas qu'on puisse revenir là-dessus, à cause de la logique même du quinquennat. La concomitance quasi-assurée entre mandat du président et mandat de l’Assemblée fait du premier le principal responsable du programme gouvernemental devant les députés comme devant l’opinion. On le voit d'ailleurs très bien : même si François Hollande voudrait donner plus d'espace au Premier ministre, il revient depuis 15 jours sur le devant de la scène. Il y a bien une logique institutionnelle plus forte que le style personnel.

Sachant que la cote de popularité du président a chuté très rapidement, cette tentative de mise en avant du Premier ministre est-elle une façon pour lui d'avoir un fusible sous la main ?

Si sa cote de popularité a chuté rapidement, c'est aussi à cause de la crise, ne l'oublions pas. La cote de popularité de Nicolas Sarkozy avait aussi été démolie par la crise, en 2008. Elle transcende donc les clivages. Nous sommes donc dans une situation qui rend les gouvernants, quels qu'ils soient, impopulaires.

Il y a certes une volonté tactique du Président à mettre le Premier ministre en avant. Il faut se souvenir que François Hollande est un « ancien jeune homme » qui a travaillé avec François Mitterrand. Comme toute sa génération, il a été très impressionné par ce mode de fonctionnement politique. On voit très bien, dans le début de son quinquennat, qu'il a essayé de « remitterrandiser » la fonction présidentielle, en redonnant « du temps au temps », en remettant en avant son Premier ministre, comme François Mitterrand a bien su le faire en utilisant ses Premier ministres comme autant de fusibles. Il en a consommé un certain nombre !

Le Premier ministre-fusible est donc un instrument politique compréhensible, mais je pense que cela est de moins en moins possible dans le cadre du quinquennat. Le fait que Nicolas Sarkozy lui-même n’ait pas pu ou voulu changer de chef de gouvernement va dans ce sens. Encore une fois, le comportement de François Hollande, le fait même qu'il parle ce soir sur TF1 (comme son prédécesseur !), montre qu'il adopte un comportement inscrit dans la logique institutionnelle du quinquennat, et surtout dans le contexte de crise, qui remet en avant la figure du « capitaine de navire » dans la tempête. Le président en "première ligne", c'est d'ailleurs ce qu'a dit Hollande lui-même sur TF1.

Propos recueillis par Morgan Bourven

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