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Si le Roi devait montrer sa proximité et son empathie avec ses sujets, il devait s’abstenir de s’adresser directement à eux sous peine de perdre de sa légitimité et de son aura.
Si le Roi devait montrer sa proximité et son empathie avec ses sujets, il devait s’abstenir de s’adresser directement à eux sous peine de perdre de sa légitimité et de son aura.
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Paradoxe

Cette semaine, François Hollande enchaîne les rendez-vous publics. Une façon de donner le "la" médiatique, typique de l'hyperactivité qu'attendent les Français de la part d'un président aujourd'hui.

Éric Verhaeghe

Éric Verhaeghe

Éric Verhaeghe est le fondateur du cabinet Parménide et président de Triapalio. Il est l'auteur de Faut-il quitter la France ? (Jacob-Duvernet, avril 2012). Son site : www.eric-verhaeghe.fr Il vient de créer un nouveau site : www.lecourrierdesstrateges.fr
 

Diplômé de l'Ena (promotion Copernic) et titulaire d'une maîtrise de philosophie et d'un Dea d'histoire à l'université Paris-I, il est né à Liège en 1968.

 

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Cette semaine, François Hollande enchaîne les rendez-vous publics. Aujourd’hui, il intervenait devant la Cour des Comptes, sur sa stratégie budgétaire. Dimanche soir, il a donné rendez-vous aux Français sur TF1 pour un exercice qui s’annonce pédagogique. Lundi dernier, il s’était exprimé depuis un collège francilien.

Quand un Président commet au moins trois interventions publiques dans la semaine,il se livre à l’exercice normal du pouvoir, tel que nous l’avons connu sous Nicolas Sarkozy pendant cinq ans : celui de l’hyper-présidence. Dans ce système, c’est le Président qui donne le «la» de la politique gouvernementale, c’est lui qui s’active pour l’expliquer aux Français et c’est lui qui s’engage sur sa réalisation.

Cette relation en prise directe avec le peuple, cette proximité quotidienne, feinte ou sincère, avec les citoyens dans la conduite des affaires publiques caractérise la conception de la présidence telle que les Français l’attendent. Tout entière fondée sur l’engagement de la responsabilité personnelle du chef de l’Etat dans la conduite des affaires, elle ne souffre plus de la technique de délégation auprès du gouvernement, telle que François Hollande semblait l’avoir souhaitée à ses débuts, et telle qu’aucun Président ne l’a véritablement pratiquée depuis 1981, à part peut-être Jacques Chirac.

Car il serait erroné d’imaginer que François Mitterrand fût un praticien de la déprésidentialisation. En choisissant Pierre Mauroy, qui n’était pas le plus brillant des socialistes, comme Premier Ministre, Mitterrand s’était assuré qu’il n’en subirait aucune ombre et qu’il aurait les mains libres pour agir. Le choix d’un Matignon fantoche, en quelque sorte.

L’erreur de François Hollande fut probablement d’imaginer qu’en reproduisant le choix d’une personnalité terne à Matignon, il pourrait préserver son rêve d’un exercice fainéant du pouvoir, consistant à fixer les grands caps, tout en laissant les clés de la maison au Premier Ministre. En réalité, la maison France a besoin d’être gouvernée par une personnalité forte, qui d’un seul geste trace la voie et l’éclaire.

La leçon que nous tirerons de ces quelques mois, sans doute, est qu’il est désormais impossible pour un Président d’échapper à ce rôle de visionnaire et de stratège, tout en même temps. Les Français n’acceptent plus que, en situation de crise profonde, le Président n’assume plus personnellement cette fonction bifide d’invention de l’avenir et de construction de lendemains meilleurs.

Nous retrouvons ici une conception toute monarchique du pouvoir présidentiel. Le Président n’est pas seulement l’élu du peuple, il en est l’incarnation. De tout son être, il est le peuple français. Il ne gouverne pas seulement, il incarne. Il est doté du pouvoir magique de changer la réalité, même la plus répugnante ou la plus douloureuse, comme le Roi faisait le toucher des écrouelles pour guérir les lépreux.

Si la lèpre a disparu en France au sens propre, les Français n’en attendent pas moins de leur Président qu’il reprenne à son compte les fonctions magiques assumées par nos Rois. Le Président doit guérir du chômage, de la souffrance sociale, de l’injustice. Il doit être présent, toucher du doigt les fléaux sociaux pour les guérir.

Pour le Président, cet exercice est loin d’être simple, quelle que soit sa personnalité. Elle contribue en effet à le surexposer de façon de plus en plus fréquente à l’actualité, et à faire de lui le fusible de premier rang que cherche l’opinion pour se venger d’une dégradation économique évidente.

Sur ce point, François Hollande semble oublier la technique mitterrandienne : celle du silence. Mitterrand parlait très peu et se départissait peu de son laconisme un peu altier. François Hollande, au contraire, parle de façon répétée, au risque de s’exposer très vite au feu des critiques qui se répètent déjà.

Devant la Cour des Comptes, il a par exemple réaffirmé que ses engagements de campagne seraient tenus, et qu’une grande réforme fiscale serait présentée en loi de finances. A peu près au même moment, la presse révélait que l’imposition à 75% des revenus supérieurs à 1 million d’euros, mesure phare qu’il avait proposée, bénéficierait d’aménagements tels que les exceptions seraient plus nombreuses que la règle.

Dans la pratique, les chefs d’entreprise qui créent de l’emploi et se rémunèrent grassement seront soumis à la taxe. En revanche, les footballeurs, qui ne créent pas d’emploi et vivent dans un luxe effrayant, n’y seront pas soumis. De même que les rentiers et autres héritiers.

François Hollande touche ici aux risques d’une excessive exposition médiatique. A force de parler et d’être vu, on ne peut plus guère s’exonérer du risque de lasser, de banaliser sa parole et d’être tôt ou tard piégé par ses propres diatribes, ou par les déclarations contradictoires de ses ministres.

Au fond, si le Roi devait montrer sa proximité et son empathie avec ses sujets, il devait s’abstenir de s’adresser directement à eux sous peine de perdre de sa légitimité et de son aura. Le risque que François Hollande court aujourd’hui, dans sa volonté louable d’être plus présent devant les Français qu’il ne le souhaitait, est celui-là : apparaître comme un homme normal dans un fauteuil extraordinaire.

Et ainsi s’éloigner encore un peu de la dimension magique que les Français confèrent au poste qu’il occupe.

Un nouveau signe de l’épuisement de la Vè République?  

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