Chute libre : la compétitivité française paie finalement la facture de trois décennies d'errements économiques<!-- --> | Atlantico.fr
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Selon les dernières prévisions de l'OCDE, la France plafonnera à 0,1% de croissance en 2012.
Selon les dernières prévisions de l'OCDE, la France plafonnera à 0,1% de croissance en 2012.
©Reuters

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Alors que l'OCDE a révisé à la baisse sa prévision de croissance pour l'hexagone à 0,1% pour 2012, la France a été éjectée du Top 20 des économies les plus compétitives au monde dans le classement du Forum économique de Davos. Pourquoi une telle chute et comment y remédier ?

Marc Ivaldi

Marc Ivaldi

Marc IVALDI est Directeur d’Etudes à l’Ecole des Hautes Etudes en Sciences Sociales (EHESS) et enseigne à Toulouse School of Economics (TSE) et Président du Comité Permanent sur la Recherche de l’European Economic Association. Sa spécialité académique est l’économie industrielle qui analyse les stratégies des acteurs sur les marchés et les industries, notamment les industries de réseaux.
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La France perd donc encore trois places dans le classement global de la compétitivité réalisé par le World Economic Forum, et six places depuis 2010. On peut ne pas aimer ce thermomètre, mais il faut bien avouer qu’il n’est pas contradictoire avec d’autres mesures comme celle de l’OCDE sur  la qualité de vie dans 34 pays dits développés qui classe la France en 18ème position. Car sans compétitivité, pas de productivité ; sans productivité, pas de croissance ; et sans croissance, pas de qualité de la vie !

Pas étonnant dans ces conditions que le président Hollande affirme dans son discours de Châlons-en-Champagne : « La France a un problème de compétitivité qu’il faut résoudre ». De fait le débat ne porte déjà plus sur la réalité du décrochage de compétitivité de la France mais sur ses causes.

A la suite des travaux de nombreux économistes, la compétitivité d’une économie se définie par l’ensemble des institutions, politiques et facteurs qui concourent à sa productivité. Pour synthétiser tout ça et permettre une comparaison entre pays d’une année à l’autre, Xavier Sala-i-Martin, Professeur d’économie à Columbia University et co-auteur du rapport du World Economic Forum, a créé un indice de compétitivité globale qui repose sur 10 piliers de compétitivité.

A côté des piliers qui sont traditionnellement cités comme soutiens indéfectibles du modèle économique français, à savoir sa démographie et la santé de sa population, la qualité de ses infrastructures, la qualité et le niveau d’offre de ses services d’éducation ; la culture managériale de ses élites, sa capacité à intégrer les nouvelles technologies, il y a quelques piliers qui présentent de sérieuses fissures voire un affaissement gravissime. Peu ou prou, tout le monde s’accorde sur le même diagnostic mais préfère mettre en avant telle ou telle faiblesse structurelle plutôt qu’une autre pour des raisons qui tiennent plus du positionnement politique ou de la pédagogie sociale que de l’analyse économique articulée.

Premier pilier bancal, la place et le rôle de l’Etat. Par tradition et parce qu’il faut bien reconnaître que l’Etat français a de beaux atouts, l’Etat doit tout résoudre dans ce pays et tout remonte vers lui. Cela a trois conséquences. Premièrement, l’Etat qui doit satisfaire des intérêts divergents a du mal à réformer et à se réformer. Du coup, on est obligé d’en passer par une règle abrupte du type « remplacement d’un départ à la retraite sur deux » pour pouvoir avancer. Pas étonnant qu’on note une baisse de confiance envers les institutions publiques dans l’enquête du World Economic Forum.

Deuxièmement, l’Etat laisse perdurer des monopoles et des rentes de situation. La France ne déréglemente qu’en traînant les pieds, a une vision archaïque de la concurrence et ne fait pas assez confiance à ses concitoyens. Ainsi, si la loi sur l’autonomie des universités accorde de réels pouvoirs aux présidents de nos universités, ils envient certainement les instruments de gestion de la recherche dont disposent les présidents d’universités américaines. Pourquoi a-t-il fallu attendre si longtemps l’ouverture à la concurrence du transport routier interrégional de passagers alors qu’il permet à de nombreuses personnes avec des budgets limités de pouvoir se déplacer à moindres frais ? Finalement, la troisième conséquence est que l’Etat a besoin de beaucoup d’argent, ce qui se traduit par un niveau de prélèvement obligatoire parmi les plus élevés en Europe.

Deuxième pilier bancal, le fonctionnement du marché du travail. Avec en premier lieu des relations entre patrons et travailleurs qui ont du mal à s’inscrire dans un cadre coopération pour privilégier le mode conflictuelle. Cela se traduit par une rigidité des relations contractuelles et il n’est pas étonnant que le France soit classée 141ème pour son système d’embauche et de rupture du contrat de travail.

Les discussions sur la flexibilisation du marché du travail sont tout de suite perçues comme une tentative des employeurs pour exploiter les travailleurs sans qu’on veuille bien prendre conscience que la rigidité des relations salariales se traduit indirectement par un le coût du travail plus élevé. Ajouter à cela la rigidité à la baisse des salaires et la tendance de l’Etat à se défausser sur les entreprises et les travailleurs du financement de la protection sociale, pas étonnant qu’il y ait un problème de coût du travail en France. D’ailleurs les coûts unitaires de main-d’œuvre se sont élevés beaucoup plus rapidement en France qu’en Allemagne. Selon les données publiées par Eurostat en avril 2011, le taux horaire en France était de 34,2€, par rapport à 30,1€ en Allemagne, un taux de presque 20% supérieur à la moyenne de la zone euro de 27,6€.

D’autres piliers sont en train de se fissurer, et c’est l’intérêt de cette étude du World Economic Forum. Nous étions fiers de notre système bancaire, voilà qu’il est décrié de toute part pour son incapacité à financer les PME. Nous étions fiers de notre système éducatif et universitaire, mais nos universités brillent par leur absence dans le classement de Shangaï et nous avons quelques inquiétudes lorsque l'on regarde les classements PISA (le Programme international pour le suivi des acquis des élèves effectué par l'OCDE pour mesurer l'efficacité les systèmes d'éducations des pays membres de l'organisation, ndlr).

Que faire ? Les chantiers sont clairement nombreux pour remettre d’aplomb tous les piliers de la compétitivité française. Mais les actions n’auront pas le même effet dans le temps et ne nécessitent pas le même degré d’investissement et d’autorité politique.

A court terme, il ne faut certainement pas alourdir le coût du travail et au contraire tout faire pour le faire baisser, surtout dans cette période de crise de l’euro qui met en évidence la difficulté les divergences de productivité entre économies européennes. A moyen terme, l’Etat doit chercher à se désengager, doit chercher à améliorer l’efficacité de la dépense publique et doit donner aux acteurs économiques les incitations pour une meilleure utilisation de leur capital humain et de leurs ressources naturelles et techniques. A plus long terme, il faut miser sur la recherche et sur l’innovation ce qui nécessite une mise à niveau de notre système éducatif et universitaire aux meilleurs critères d’excellence internationaux.

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