Incident nucléaire de Fessenheim : les médias savent-ils évaluer ces événements à leur juste mesure ? <!-- --> | Atlantico.fr
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La centrale nucléaire de Fessenheim a été victime d'un incident.
La centrale nucléaire de Fessenheim a été victime d'un incident.
©Reuters

Pierre et la centrale

La centrale nucléaire de Fessenheim a été victime, ce mercredi, d'un incident. Sans gravité, il a pourtant mis en ébullition la presse. Coup de gueule d'un ingénieur des mines, qui appelle les médias à éviter le catastrophisme, et les lecteurs/spectateurs à faire preuve d'esprit critique.

Henri Prévot

Henri Prévot

Henri Prévot est ingénieur général des Mines. Spécialiste des questions de sécurité économique et de politique de l'énergie, il tient un site Internet consacré à la lutte contre les émissions de gaz à effet de serre.

Il est l'auteur du livre "Avec le nucléaire" paru chez Seuil.

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Cinquante pompiers sont intervenus ce mercredi dans la centrale nucléaire de Fessenheim, ce qui a causé un grand émoi. La « blogosphère » entre en ébullition. Des annonces sont faites sur les sites Internet d’un grand nombre de journaux. On parle d’incendie, de huit blessés, d’une fumée.

De quoi s’agit-il ? Dans un local auxiliaire, hors des locaux qui abritent les réacteurs nucléaires, deux ouvriers sont légèrement blessés à la main après avoir versé de l’eau oxygénée qui est entrée en réaction avec un autre corps chimique, ce qui a causé une fumée qui a déclenché les détecteurs à incendie, alertant automatiquement les équipes de secours qui se tiennent l’arme au pied en toute circonstance. Les deux ouvriers concernés sont touchés sans gravité et sans conséquence.

Au journal télévisé de 20 heures d'une des principales chaînes, le présentateur passe plusieurs minutes à dire que, en définitive, il n’y avait rien à dire mais trouve le moyen de dire qu’il s’agit de l’usine la plus ancienne et qu’elle « cumule les fragilités », l’âge, les possibilités de sismicité et le fait qu’elle se trouve en dessous du niveau d’un canal voisin. Il se garde bien de dire que cette situation est bien connue, que l’Autorité de sûreté nucléaire, l’ASN, a estimé que la situation est suffisamment sûre pour continuer l’exploitation et que l’âge n’est pas a priori une cause de fragilité. Puis en moins de dix secondes, il nous informe de la mort de deux ouvriers sur un site industriel sidérurgique ; c’était peut-être par autodérision, pour monter a contrario la vanité des quelques minutes qu’il nous a fait passer auparavant.

On est tenté d’ironiser, comme le fait cette annonce lue dans un forum sur la toile : « deux ouvriers de l’usine de Sochaux se sont foulé la cheville en se rendant au travail, ce qui signe l’arrêt des usines de PSA ».

Plus sérieusement, cette anecdote pose à nouveau crûment la question de l’information sur le nucléaire. C’est une bonne occasion car tout le monde reconnaît que cet incident est bénin. Et beaucoup se sont fait prendre… à quoi ?

Au désir de rendre compte avant les autres d’un drame secrètement désiré ?

… Au désir de complaire au pouvoir qui dit qu’il a décidé de fermer la centrale de Fessenheim d’ici quelques années ?

… Ou, tout simplement, sans réfléchir, à la mode du moment, assuré que l’on est de faire de l’audience en montrant systématiquement que l’on se méfie du nucléaire ?

Tous les médias ne sont pas tombés dans ce piège. Il en est qui sont conscients qu’ils ont un rôle essentiel à jouer.

Certains faits ont une importance par eux-mêmes, quoi que fassent les médias qui en parlent ou n’en parlent pas. D’autres n’ont de l’importance que par celle que leur donnent les médias. Une fois qu’ils ont acquis cette importance, les médias et le pouvoir politique sont bien obligés de les traiter comme quelque chose d’important. De rien, on a fait quelque chose ! Oui, la responsabilité des médias est grande.

Pour ce qui est du nucléaire, il est tellement facile de tromper en ne disant que des choses apparemment exactes. Ces jours derniers, une histoire des papillons prétendument mutants autour de Fukushima : de la blague ! Il y a quelques mois, les cas de leucémie infantile près des centrales nucléaires : de la blague aussi, mais qui a fait couler tellement d’encre !

Chers médias, nous avons besoin de vous. Votre pouvoir est grand. Apprenez donc à vos lecteurs à savoir vous contrôler ; à savoir critiquer ce que vous nous dites ! Qui nous l’apprendra, sinon vous-mêmes ? Les enseignants ne touchent que les jeunes. Le pouvoir politique lui-même est lié à ce que vous dites.

Pour ce qui est du nucléaire, ne vous précipitez pas ! Attendez de savoir de quoi il s’agit. Cette anecdote vous montre que l’information, même bénigne, arrive très vite. Sachez aussi que, si quelque chose de très grave arrivait, l’inertie des installations et des bâtiments est telle qu’il ne se passera rien à l’extérieur de l’usine avant plusieurs heures. Vous avez le temps de rechercher puis de vérifier vos informations. Vous avez le temps de ne pas faire comme Jean qui criait au loup pour s’amuser et que personne n’a cru lorsque effectivement le loup est venu chasser dans son troupeau.

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