Plan anti-chômage : des mesures palliatives mais pas de traitement de fond<!-- --> | Atlantico.fr
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Les mesures anti-chômage préparées par Michel Sapin ne devraient pas suffire à créer durablement de l'emploi.
Les mesures anti-chômage préparées par Michel Sapin ne devraient pas suffire à créer durablement de l'emploi.
©Reuters

Contre-productif

Emplois d'avenir, contrats de génération, sécurisation des contrats et homologation des licenciements... Alors que le nombre de chômeurs vient de franchir la barre des 3 millions, Michel Sapin prépare des mesures anti-chômage. Mais elles ne suffiront pas à créer durablement de l'emploi.

Nicolas Bouzou et Jean-Luc Gréau

Nicolas Bouzou et Jean-Luc Gréau

Nicolas Bouzou est économiste et directeur-fondateur d'Asterès. Il enseigne le droit des affaires et de management à Paris II-Assas.

Jean-Luc Gréau est un économiste, ancien expert du Medef.

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Atlantico : Alors que le seuil symbolique des 3 millions de demandeurs d'emploi sans activité a été franchi fin août, Michel Sapin espère faire baisser le chômage en 2013. Il souhaite notamment créer 150 000 emplois d'avenir en deux ans, et 500 000 contrats de génération sur le quinquennat. Ces deux mesures peuvent-elles être efficaces ?

Nicolas Bouzou : Je ne fais pas de procès d'intention au gouvernement. Si l'idée de ces deux dispositifs est de permettre de gagner du temps, d'abaisser le coût social du chômage en attendant que les grosses reformes que le gouvernement va mettre en place et négocier avec les syndicats – la « souplesse » dont a parlé Jean-Marc Ayrault  à l'université d'été du Medef – fassent effet, c'est formidable. Mais si l'idée est d'en faire la politique de l'emploi, non seulement c'est insuffisant, mais c'est aussi néfaste, en particulier les emplois d'avenir qui pèseront sur la dette publique.

Les emplois d'avenir et les contrats de génération ne sont pas à mettre sur le même plan. Les emplois d'avenir est un dispositif d'emploi aidés qui est très classique, et qui présente un défaut majeur : il n'est pas accompagné par une politique de formation suffisamment ambitieuse.

Le contrat de génération est plus astucieux, du moins l'idée qui consiste à imaginer un dispositif qui prenne le marché du travail par les deux bouts : les jeunes et les vieux. Mais, bien évidemment, tout ceci ne règle pas le problème du chômage, qui est à la fois un problème de croissance et de structure du marché du travail.

Jean-Luc Gréau : Ce sont des mesures sans portée véritable, et je ne regrette car nous avons besoin de quelque chose de nouveau. Les emplois jeunes, nous les avons connus dans le passé. Or, pour qu'ils fonctionnent, il faut que nous ayons une économie suffisamment active pour créer des emplois d'une façon régulière. La dernière fois que cela a eu lieu, c'était sur la période 1997-2000. Aujourd'hui, je pense que le gouvernement veut seulement montrer qu'il ne désespère pas d'un changement conjoncturel.

Les allégements de charge pour créer des contrats de génération, d'accord. Mais dans une situation où nous avons une concurrence avec des pays à bas salaires, il faudrait faire des allègements de charge ciblés sur les secteurs qui sont en concurrence avec ces pays. Or, l'Europe l'interdit : ou on les abaisse pour tout le monde, le cafetier-restaurateur comme le fabricant d'automobiles, ou on ne le fait à personne.

Michel Sapin a également proposé de reformer le contrat de travail, afin de mieux sécuriser les salariés. Est-ce une piste intéressante pour lutter contre le chômage ?

Nicolas Bouzou : J'aime beaucoup Michel Sapin, mais il y a une erreur majeure dans ce qu'il dit : le CDD, contrairement à ce qu'on dit, est le contrat le plus protecteur pour les salariés. Certes, il est à durée déterminée, mais pendant ce temps, le salarié ne peut pas être licencié, par exemple.

Ce qu'il faut bien comprendre, c'est que le marché du travail est rigide. Toutes les études de l'OCDE montrent que nous avons le marché du travail le plus rigide de tous les pays de l'Organisation. Du coup, la flexibilité rentre par la fenêtre. Car à partir du moment où le marché est rigide, soit l'entreprise ne recrute pas, soit elle prend des contrats d'intérim. En réalité, contrairement à ce que dit Michel Sapin, il faut assouplir les contrats en facilitant les licenciements.

Jean-Luc Gréau : La sécurisation, c'est l'activité économique qui vous la donne, que ça soit en France, en Europe ou aux Etats-Unis. Il faut donc soutenir les secteurs économiques qui sont capables de créer de l'emploi ou d'investir, et prendre des mesures de protection qui disposent d'un avantage concurrentiel considérable.

Des licenciements que le ministre du Travail souhaiterait voir homologués par l'inspection du travail. N'essaye-t-il pas avec ces deux mesures de limiter la hausse du chômage, plutôt de de créer des emplois ?

Nicolas Bouzou : Exactement, et c'est ma principale critique du travail gouvernemental. On l'a vu avec les plans sociaux cet été. Le gouvernement essaye de freiner les destructions d'emplois, mais ne laisse pas les créations d'emploi s'exprimer. Or, je vais dire quelque chose qui va choquer : en réalité, il n'y a pas assez de destructions d'emploi en France. Une économie dynamique, qui en plus est dans une vague d'innovation, ce qui est le cas du monde aujourd'hui, génère une destruction créatif : elle détruit beaucoup d'emplois pour en générer encore plus. Il ne faut donc pas se focaliser sur les plans sociaux. Ce n'est pas le sujet.

Et si on fait homologuer les licenciements par l'inspection du travail, il y aura encore moins de création d'emploi. Tout simplement parce qu'un chef d'entreprise qui n'est pas sûr de pouvoir licencier ne recrute pas. Si on demande à l'inspection du travail d'homologuer les licenciements, on observera une augmentation du chômage.

Jean-Luc Gréau : Il veut simplement freiner l'évolution statistique, c'est tout. L'homologation des licenciements par l'inspection du travail est en fait un retour de l'autorisation administrative de licenciement, qui était plutôt bien acceptée par les employeurs il y a 40 ans. C'était une sécurité juridique. Mais la situation a changé depuis. On est dans une récession que semblent ignorer les dirigeants, et les dernières nouvelles sont inquiétantes. La récession en zone euro s'aggrave de trimestre en trimestre et je ne crois pas que ces mesures paliatives changent quoi que ce soit au fond du problème. Par contre, je crains que nous observions dans les mois à venir une décision des employeurs qui souhaitent encore investir – et ils sont peu nombreux – à ne pas le faire en France.

A part les emplois d'avenir et les contrats de génération - qui créeront des postes, même si c'est de manière ponctuelle - voyez-vous dans le discours du gouvernement des mesures qui pourraient faire baisser le taux de chômage ?

Nicolas Bouzou : Pas du tout. Il y en a pourtant une qui serait simple à mettre en œuvre : baisser massivement les cotisations sur tous les salaires et les faire financer par un autre impôt, par exemple la CSG. Mais il s'agit de le faire de façon franche et massive, pas en augmentant la CSG de 0,5 point, mais en l'augmentant de 3 points, ce qui permettrait de baisser massivement les cotisations patronales.

Jean-Luc Gréau : Non, je suis sans espoir, car le gouvernement fait comme si c'était un problème d'ajustement de politique et pas un problème de fond. J'ai dit, à l'université d'été du Parti socialiste, que le contexte de la fin des années 90, marqué par de fortes créations d’emplois, a disparu. Un problème de compétitivité français s’est manifesté depuis l’année 2004 qui a vu réapparaître un solde extérieur négatif.  Il faut donc envisager un troc honnête consistant à échanger une sortie négociée des 35 heures, par entreprise et par branche, en contrepartie de la sécurisation des parcours professionnels.

L'autorisation administrative de licencier est une mesure qui ne fera que confirmer aux entreprises qu'il ne faut pas faire d'agissements sur le territoire national. Par toutes bien sûr, celles qui n'ont pas le choix le feront, mais les nouveaux investissements, les nouvelles lignes de production, iront ailleurs. De peur de ne pas pouvoir licencier ensuite, ou de faire face à des retards. Un plan social, plus on le retarde, plus il coûte de l'argent.

Propos recueillis par Morgan Bourven

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