Hausse du prix du tabac : le fumeur rentable n'est pas celui qui paie des taxes, mais celui qui arrête de fumer<!-- --> | Atlantico.fr
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Najat Vallaud-Belkacem a indiqué mercredi qu'une "réflexion" était "en cours" sur une hausse du prix des cigarettes, qui serait "assez faible" selon elle.
Najat Vallaud-Belkacem a indiqué mercredi qu'une "réflexion" était "en cours" sur une hausse du prix des cigarettes, qui serait "assez faible" selon elle.
©Reuters

Ecran de fumée ?

L'augmentation de 6% du paquet de cigarette devrait entrer en vigueur le 1er octobre prochain. Le gouvernement se préoccupe-t-il plus de la santé des Français ou de ses recettes ?

Christian Ben Lakhdar

Christian Ben Lakhdar

Christian Ben Lakhdar est enseigant à l'Université catholique de Lille.

Il est spécialisé dans l'économie des drogues et des addictions.

Il collabore avec l'Institut des Stratégies et Techniques de Communication (www.istc.fr)

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Par la voix de la ministre de la Santé, Marisol Touraine, le gouvernement annonce un plan de lutte incisif contre le tabac. Ce plan était attendu par les acteurs de santé publique tant peu de choses avaient été entreprises depuis le plan Cancer lancé par le président Chirac.

Dans ce plan de lutte, comme le rapport du Député Yves Bur et l’avis du Haut Conseil de la Santé Publique - tous deux publiés en ce début d’année - le mettaient en avant, l’harmonisation du système de taxes et l’augmentation des taxes sur le tabac seraient les bienvenues.

Harmonisation tout d’abord parce qu’on ne comprend rien au système de taxation des produits du tabac. En effet, les taxes sur le tabac ne sont pas les mêmes en fonction des produits (cigarettes manufacturées, tabac à rouler, à tuber, à priser, à pipe, cigares…) et se composent de différentes parts (fixe, variable, Droit de consommation, TVA…), ce qui amène facilement à dire que tout semble fait pour que personne ne s’y retrouve.

Augmentation d’autre part, même si on se demande toujours si la hausse des taxes (et donc du prix) du tabac est une mesure de rentrée fiscale ou de santé publique. Autrement dit, on se demande si sous couvert de lutte contre le tabac, le gouvernement ne souhaite pas plutôt engranger des recettes fiscales (qui sont plus qu’espérées en ce moment étant donné la conjoncture économique) que d’empêcher les Français de commencer à fumer ou d’arrêter.

Les deux objectifs ne sont incompatibles mais l’objectif de santé publique prime puisqu’il présente l’avantage de diminuer le coût social du tabac en France.

Avant de démontrer cela, il est utile de souligner que la littérature scientifique sur le sujet s’accorde à démontrer que la lutte contre le tabagisme nécessite de fortes augmentations de prix. Pourquoi fortes ?

On mesure la sensibilité au prix de la demande par le concept d’élasticité prix. Cet outil vise à mesurer de combien baisse la demande quand le prix du bien considéré augmente. Ainsi par exemple, si le prix des carottes augmente, on s’attend à ce que la demande de carottes diminue. Les choses ne sont pas aussi évidentes pour le tabac. Du fait de l’accoutumance à la nicotine, on dit que la demande de tabac est inélastique ; autrement dit, on constate que des augmentations de prix ne mènent pas nécessairement à une baisse drastique de la demande et ce d’autant plus que ces augmentations sont faibles. C’est pour cette raison que les acteurs de santé publique recommandent des augmentations de prix conséquentes, au minimum de 10% (et non de 6% comme toutes les dernières augmentations) et fréquentes.

Alors oui, ces augmentations peuvent augmenter les recettes fiscales mais ce n’est pas l’objet d’une politique de santé publique. L’objectif de cette dernière est bien de faire diminuer les prévalences tabagiques en France, qui pour rappel, sont de nouveau en augmentation ces dernières années. Mais ô miracle, en faisant baisser le nombre de fumeurs, l’Etat et ses finances publiques peuvent parfaitement s’y retrouver d’un point de vue budgétaire. En effet, il faut savoir que le tabagisme coûte excessivement cher à la collectivité : le coût social du tabac a été estimé en 2003 à plus de 47,7 milliards d’euro (ce qui représentait plus de 3 points de PIB cette même année). Dit autrement, certes un fumeur contribue aux finances publiques car il paie les taxes sur le tabac, mais son tabagisme coûte nettement plus qu’il ne rapporte ; en d’autres termes encore, le fumeur rapporte plus à l’Etat et à la collectivité s’il ne fume pas plutôt que s’il fume !

Mais il existe un bémol à cette équation, à savoir la contrebande et les achats transfrontaliers. En effet, les fumeurs français qui contournent les augmentations de prix en achetant à l’étranger ou sur le marché noir peuvent conduire à la situation où les recettes fiscales diminuent alors même que le coût social du tabac reste stable. Cette situation n’est toutefois que peu encline à arriver pour une raison et une condition.

La raison est que les augmentations de taxes et de prix du tabac ne sont pas seulement mises en place pour inciter les fumeurs à arrêter, elles visent aussi à inciter les non-fumeurs à le rester. Du fait qu’il soit peu probable que l’initiation au tabac se fasse par des cigarettes obtenues sur le marché noir, les augmentations des taxes sur le tabac jouent pleinement le jeu de la santé publique en désincitant les non-fumeurs à fumer.

La condition est que le plan annoncé de lutte contre le tabagisme soit un plan mobilisant l’ensemble des outils de lutte contre le tabac : augmentation des prix bien sûr, mais aussi photos-choc et paquets anonymes comme l’Australie l’expérimente, campagnes de prévention… et surtout accompagnement et remboursement intégral du sevrage tabagique. Il a en effet été montré d’une part que nombre de fumeurs souhaitaient arrêter mais n’y arrivaient pas, et d’autre part que le sevrage tabagique était une mesure de santé publique pleinement coût-efficace.

Encore une fois, aussi bien pour les finances publiques que la collectivité dans son ensemble, un fumeur rentable n’est pas un fumeur qui paie les taxes sur le tabac, un fumeur rentable est un fumeur qui arrête de fumer.

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