Hollande au 20h de TF1 : le président peut-il faire oublier le tempo Sarkozy ?<!-- --> | Atlantico.fr
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Il est évident que la façon dont Nicolas Sarkozy a joué le jeu de l’hyperprésidence a imprimé une marque de fabrique personnelle.
Il est évident que la façon dont Nicolas Sarkozy a joué le jeu de l’hyperprésidence a imprimé une marque de fabrique personnelle.
©Reuters

Question de style

François Hollande sera l'invité du 20 heures de TF1, ce dimanche, pour sa première interview télévisée de la rentrée. Une rentrée marquée par une sévère chute de sa popularité, avec des Français plus nombreux à juger Nicolas Sarkozy dynamique et apte à prendre les décisions qui s'imposent.

Arnaud Mercier

Arnaud Mercier

Arnaud Mercier est professeur en sciences de l'information et de la communication à l'Institut Français de Presse, à l'université Paris-Panthéon-Assas. Responsable de la Licence information communication de l'IFP et chercheur au CARISM, il est aussi président du site d'information The Conversation France.

Il est l'auteur de La communication politique (CNRS Editions, 2008) et Le journalisme(CNRS Editions, 2009), Médias et opinion publique (CNRS éditions, 2012).

Le journalisme, Arnaud Mercier

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Atlantico : Croissance nulle, franchissement du cap des 3 millions de chômeurs, la rentrée est rude pour François Hollande. Mais face à l’ampleur de la crise, les éditorialistes pointent du doigt l’immobilisme du président de la République. Cette impatience est-elle seulement liée à l’urgence de la crise ou également au style  "normal" de la présidence Hollande ?

Arnaud Mercier : L’impatience actuelle est liée à la convergence de quatre facteurs. La gauche revient au pouvoir après 10 ans d’opposition. Ses électeurs ont donc vécu une certaine frustration et sont impatients de voir des choses différentes se mettre en place. C’est logique.

De plus, François Hollande a lui-même induit un tempo d’impatience de par son slogan. Car disait-il, le changement "c’est maintenant". Voilà bien un terme qui implique une immédiateté des changements perceptibles. Même s’il a essayé de rester le moins déraisonnable possible dans ses promesses électorales, sachant qu’il n’aurait pas toutes les marges de manœuvres budgétaires, par son seul slogan, il a ancré l’idée que des changements seraient perceptibles rapidement.

Ensuite, l’amplification de la crise économique et sociale amène un nombre croissant de Français à ressentir concrètement les effets de cette crise et/ou à s’inquiéter davantage des perspectives pour l’avenir. Cela entretient un climat d’incertitude, d’angoisse qui génère une frustration si le gouvernement donne le sentiment de tergiverser, de ne pas prendre à bras le corps les problèmes. Enfin, le positionnement  stratégique du candidat Hollande : une "normalité" faite du refus d’apparaître comme trop agité, trop hyper-réactif (ce qui a pu être reproché au président Sarkozy) et qui a été un atout durant sa campagne pour incarner une rupture de style, peut se révéler aujourd'hui être un handicap dès lors qu’il faut agir dans un climat d’urgence, qu’il faut être très réactif justement !

François Hollande se défend de tomber dans "l’agitation" de son prédécesseur. Pourtant, le président de la République a décidé d’accélérer son agenda. Avant son intervention télévisée sur TF1 ce dimanche, il n’y a pas eu un jour sans qu’on voie Hollande sur le terrain. François Hollande serait-il finalement en voie de sarkoïzation ?

Dans le monde contemporain, fait de médias en activités 24h sur 24, 7 jours sur 7, de libre et immédiate parole citoyenne sur les réseaux sociaux, d’estimations de la popularité des gouvernants quasi quotidiennes, et en tout cas hebdomadaires, vous ne pouvez pas ne pas tenir compte des climats d’opinions que tout ceci créer, sans apparaître comme autiste ! Dans le brouhaha médiatique permanent, ce sont les silences qui s’entendent. C’est quand vous ne réagissez pas, que vous ne dites rien, que cela se remarque.

Donc, François Hollande et Jean-Marc Ayrault sont aussi obligés de donner des preuves qu’ils ont entendu les impatiences, de donner des gages qu’ils sont aux commandes pour agir, qu’ils ont pleinement conscience de la gravité et de l’urgence des enjeux. Ils accélèrent donc leur tempo, reviennent plus sur le devant de la scène et plus souvent. En ce sens, ils sont en effet amenés à reproduire un rythme que Nicolas Sarkozy avait réussi à imposer dès 2002, alors qu'il était ministre de l'Intérieur. C’est d’ailleurs un modèle implicite pour l’actuel ministre de l’Intérieur, Manuel Valls, qui fait beaucoup de terrain, qui se montre omniprésent. Et ce n’est sans doute pas un hasard si c’est un des ministres les plus populaires du gouvernement. Ce que vous appelez la  "sarkoïsation" est cependant loin d’être complète. Sur le plan institutionnel, on voit le président soucieux de continuer à mettre en avant son Premier ministre, de le laisser aller au charbon, pour lui servir de fusible si besoin.

L’ancien président de la République a-t-il définitivement imposé un nouveau  modèle dans l’exercice de la fonction présidentielle ?  Peut-on parler d’un "avant" et d’un "après" Nicolas Sarkozy ?

En partie sans doute. Nicolas Sarkozy s’est notamment imposé grâce à un style en rupture. Mais ce style a aussi généré des réserves dans son propre camp (notamment de l’électorat le plus âgé) et des rejets forts dans le camp d’en face. On ne peut donc pas dire que cela doit être un modèle absolu à reproduire. C’est d’ailleurs visiblement le point de vue de François Fillon, qui cherche dans sa campagne pour la présidence de l’UMP à se démarquer en affirmant que les deux hommes ont toujours différé non par leurs convictions mais par leur style.  Donc s’il y a un avant et un après, c’est dans le sens où sa façon d’agir sert pour l’instant de maitre étalon pour d’autres hommes politiques qui cherchent à marquer des différences plus ou moins prononcées avec lui. Dans le même temps, l’attitude de Nicolas Sarkozy et le succès qu’il a eu sont un signe qu’il avait bien capté un certain air du temps, que ce tempo ultra-réactif était assez en phase avec la façon dont une bonne partie de la société s’est mise à fonctionner. Comme d’autres leaders politiques avant lui (Blair, Berlusconi, Koizumi au Japon notamment), il a joué sur des ressorts politico-médiatiques en concordance avec son temps.

Sommes-nous tellement devenus une démocratie d’opinion que nous ne parvenons plus à nous extraire du temps court. Ne faut-il pas laisser un peu de temps à François Hollande ?

C’est le vrai problème ! Nous sommes dans une société de "l’accélération" très bien décrite par le sociologue allemand Hartmut Rosa dans son livre intitulé justement L’accélération. Nous éprouvons tous une sensation d’accélération de notre monde vécu, couplée à l’idée que les progrès et changements sont de plus en plus rapides. On tend donc à se laisser prendre par ce tempo de l’immédiateté (les médias les premiers) où on a le sentiment que la performance nait davantage du fait de pouvoir répondre vite à un défi que d’y répondre de façon la plus adéquate.

Le temps, François Hollande l’a de toute façon, puisque le PS est majoritaire pour l’instant à tous les principaux niveaux de gouvernance. Il peut donc inscrire son action dans la durée de son mandat, même si, vu le contexte, il est probable que la gauche perde des plumes lors des élections intermédiaires à venir (municipales de 2014 par exemple ou régionales). Mais pour le bon fonctionnement démocratique, rien ne serait pire que de voir la pression de l’instant obliger les dirigeants actuels à tomber dans la facilité des effets d’annonce, des coups symboliques donnant le sentiment d’agir, alors qu’en fait rien ne se résout. C’est une forme de dérive de la communication politique où d’autres ont déjà plongé, à l’instar de Tony Blair.

D'après un sondageTNS Soffres pour iTélé, 75% des personnes interrogées jugent que Nicolas Sarkozy était dynamique lorsqu'il était président de la République alors qu'ils ne sont que 27% à penser cela de François Hollande aujourd'hui. Nicolas Sarkozy, en imprimant un style dynamique à sa présidence, a-t-il obligé a posteriori ses successeurs à exercer le pouvoir de la même façon que lui ?

Il est évident que la façon dont Nicolas Sarkozy a joué le jeu de l’hyperprésidence a imprimé une marque de fabrique personnelle qui rejaillit sur la conception qu’on peut se faire de la fonction présidentielle. Il revient à F. Hollande de mieux expliquer sa conception des choses, s’il prétend s’inscrire en rupture avec le style Sarkozy. C’est d’ailleurs ce travail pédagogique qu’il vient de commencer à entreprendre dans différents médias, dont sa récente interview au Monde.

Mais il va être difficile pour lui de ne pas sacrifier quelque peu à certains des aspects très actifs du président Sarkozy. Car sous la Ve République la personnalisation du pouvoir autour de la figure du Président est forte, et il faut donc savoir se mettre en avant assez régulièrement ou de façon forte en certaines circonstances. F. Hollande cherche ses marques, et cela n’est sans doute pas sans lien aussi avec le fait qu’il n’a jamais exercé de fonction exécutive au niveau national.

Propos recueillis par Alexandre Devecchio


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